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voient dans l'art. 5 de la Charte le principe de liberté absolue pour les citoyens et les ministres du culte, mettent volontairement ou involontairement le régime de la Constitution de l'an III et de la loi du 7 vendémiaire an IV à la place du régime de la Charte constitutionnelle.

Cet article 5 au surplus a donné lieu à de graves questions qui touchent au droit public: nous devons les passer en revue la cour de cassation les a, pour la plupart, éclairées de sa doctrine.

§ IV.-QUESTIONS SPÉCIALES DE DROIT PUBLIC ET DE LIBERTÉ RELIGIEUSE. 1re Question. Les cultes nouveaux ont-ils besoin de l'autorisation du gouvernement?

L'article 5 contient deux parties distinctes : la liberté religieuse (chacun professe sa religion avec une égale liberté); la protection des cultes (et obtient pour son culte la même protection),

La liberté de religion est la liberté de foi et de conscience, refusée aux citoyens par les édits de Louis XIV et de Louis XV, qui imposaient le dogme politique de l'unité de foi. La liberté religieuse tient à la liberté individuelle; elle constitue dans la Charte un droit personnel et absolu. Mais la Charte ne consacre pas d'une manière absolue, et comme la Constitution de l'an III, la liberté des cultes : elle ne protége cette liberté qu'en faveur des cultes autorisés par l'État avant d'obtenir la protection de l'État, il faut la demander (1); et l'État est libre d'accorder ou de refuser sa protection aux cultes nouveaux qui se produisent. — Le culte catholique et les cultes dissidens sont reconnus dans la Charte, et ont droit par cela même à la protection du pouvoir social pour que les cultes nouveaux puissent obtenir le même avantage, il faut qu'ils se mettent dans la même condition, qu'ils se fassent reconnaître, que l'État puisse apprécier leur doctrine, leur morale, leur discipline, et juger si elles sont favorables ou contraires à l'ordre social dont le gouvernement est le défenseur naturel. —

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(1) Voir une dissertation de M. Hello, avocat-général à la cour de cassation (Revue de législation, t. VIII, De la liberté religieuse en France.)

Tout le système de notre législation, en cette matière, repose sur la nécessité de l'autorisation des cultes ; c'est aux cultes autorisés ou légalement établis en France que s'appliquent les garanties de pénalité contenues dans les articles 260 et 386 du Code pénal.

Tel est donc le principe de notre droit constitutionnel : liberté de conscience, absolue, liberté des cultes, relative; protection de l'État due seulement aux cultes reconnus par I'État. Trois arrêts de la cour de cassation ont appliqué cette doctrine depuis 1830: arrêts du 23 déc. 1831, sur les saint-simoniens; du 22 juillet 1837, sur l'église française; arrêt du 12 avril 1838, qui déclare la loi du 7 vendémiaire an IV abrogée, comme inconciliable avec la loi du 18 germinal an X, et qui contient ce motif fondamental « Que la surveillance et l'intervention de l'autorité publique ne doivent point être séparées de la protection promise à tous les cultes; que cette protection est aussi <«< une garantie d'ordre public, mais qu'elle ne peut être « réclamée que par les cultes reconnus et publiquement

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«<exercés. >>

2e Question. -Les personnes professant un culte reconnu par l'État peuvent-elles se réunir dans tout lieu, tout édifice, sans autorisation?

L'art. 291 du Code pénal, confirmé par la loi du 10 avril 1834, prohibe les associations non autorisées, de plus de vingt personnes, dont le but est de s'occuper d'objets religieux; mais cet article n'est pas applicable quand il s'agit d'une réunion de personnes sans association entre elles. C'est l'article 294 qui régit le cas d'une réunion pour l'exercice d'un culte dans un lieu non consacré à cet usage. La permission de l'autorité municipale est exigée; c'est à elle qu'appartient, dans ce cas, la police du culte. Il ne suffit pas de déclarer à l'autorité communale l'intention d'ouvrir un édifice à l'exercice d'un culte, comme le permettait la loi abrogée du 7 vendémiaire; il faut avoir obtenu l'autorisation municipale. Si cependant la demande a été faite, et si la déclaration n'a été suivie d'aucune réponse, l'autorité est en défaut, et la condition exigée par la loi peut

être tenue pour remplie, pro impleta tenetur; telle est du moins la grave opinion exprimée deux fois devant la cour de cassation par M. Dupin, procureur-général (1).

3 Question, Les ministres du culte peuvent-ils être poursuivis directement et sans autorisation préalable du conseil d'État, pour des faits relatifs à leur ministère?

L'art. 75 de la Constitution de l'an VIII, dont nous examinerons plus tard l'application aux diverses classes de fonctionnaires publics, exige une décision du conseil d'État, préalablement à toute poursuite contre les agens du gouvernement. Mais cet article, antérieur au Concordat, ne pouvait pas avoir en vue les ministres de la religion CATHOLIQUE, car ce culte n'était pas encore reconnu par la loi. Depuis le Concordat, nulle loi n'a identifié le prêtre avec le fonctionnaire public, aucune disposition n'a étendu aux ecclésiastiques un article spécial aux agens du gouvernement. « Les agens du gouvernement dont parle l'art, 75 << sont ceux qui, dépositaires d'une partie de son autorité, «< agissent directement en son nom, et font partie de la «< puissance publique or, les ministres des cultes ne« sont par dépositaires de l'autorité publique, ils n'agis« sent pas au nom du prince et ne sont pas ses agens di<< rects (2), »

Toutefois, une distinction est essentielle : quand le fait imputé à l'ecclésiastique rentre dans un des cas d'abus prévus par l'art. 6 de la loi du 18 germinal an X, alors le plaignant doit, avant tout, saisir le conseil d'État de l'appel comme d'abus; si le conseil déclare l'abus, il renvoie l'affaire devant les tribunaux, pour être statué suivant l'exigence des cas; par exemple, la diffamation dont un ecclésiastique peut, du haut de la chaire, se rendre coupable envers un citoyen, constitue une cause d'appel comme d'abus; la personne lésée par la diffamation doit déférer l'abus au conseil d'État, et attendre une déclaration conforme et un renvoi devant l'autorité compétente avant d'in

(1) Réquisit. de M. Dupin, t. II, p. 489; arrêts cass. 22 noy. 1833 et 20 mai 1836. (2) Réquisit. de M. Dupin, t. II, p. 25; arrêt cass. 23 juin 1831.

tenter contre l'ecclésiastique une action judiciaire (1). 4e Question. Comment se concilie le droit de surveillance de l'épiscopat sur les livres d'église imprimés dans les diocèses, avec le droit public qui garantit la liberté de la presse?

La surveillance des évêques sur les livres de piété est nécessaire pour maintenir, dans l'enseignement de la loi, la pureté de la doctrine catholique.

Sous l'ancienne monarchie, le droit d'approbation était accordé par les rois à l'évêque comme gardien de la foi de de son diocèse (2). Au plus fort de la révolution, le décret du 19 juillet 1793 laissait absolument libre la faculté de réimprimer les livres d'église. Sous la Charte de 1814, on reconnaissait aux évêques un droit de propriété sur les livres de cette nature; on regardait leur responsabilité religieuse et politique comme la base de cette propriété tout exceptionnelle (3).

Sous la Charte de 1830, le principe de surveillance a été rétabli dans ses véritables limites: la loi du 18 germinal an X [art. 14] porte que les archevêques veilleront au maintien de la foi et de la discipline dans les diocèses dépendant de leur métropole: tel est le principe général également applicable aux évêques dans l'étendue de leur diocèse. Ce principe a été spécialisé au sujet des livres d'église par le décret du 7 germinal an XIII: « Les livres d'église, les heu«‹ res et prières ne pourront être imprimés ou réimprimés « que d'après la permission donnée par les évêques diocé<< sains, laquelle permission sera textuellement rapportée « et imprimée en tête de chaque exemplaire. » — Mais une permission réclamée pour garantir la pureté de la doctrine catholique ne peut être le fondement d'une propriété littéraire; c'est un objet de police ecclésiastique confié à la sollicitude pastorale; ce n'est pas un titre de propriété pour l'évêque, de privilége ou de monopole pour l'imprimeur qui a obtenu le visa et le permis d'imprimer. Le but de

(1) Arrêts de cass. 18 février 1836 et 12 mars 1840, affaire Guille.

(2) Déclaration de juin 1674.

(3) Arrêts cass. 30 avril 1825, 23 juillet 1826.

la loi est la surveillance de la doctrine; la permission s'applique donc au livre et non à tel imprimeur plutôt qu'à tel autre : chaque exemplaire reproduisant le permis d'imprimer, porte avec lui son certificat de fidélité à la doctrine de la foi. Si un imprimeur faisait une édition inexacte du livre autorisé, il s'exposerait au péril d'un jugement qui ordonnerait à son préjudice la saisie et la destruction de l'édition fautive. Ainsi donc, point de propriété littéraire pour l'évêque, à l'égard des livres dont il n'est pas personnellement l'auteur; point de privilége et de monopole pour un imprimeur à l'égard des livres d'église; liberté pour tous d'imprimer en rapportant l'approbation donnée au livre par là se concilie le droit de surveillance de l'épiscopat avec le droit public du royaume et les droits individuels (1).

§ V.— INSTITUTIONS PARTICULIÈRES ET ACCESSOIRES AU CATHOLICISME. Nous avons examiné sous le point de vue historique et dogmatique, général et spécial, les rapports de l'Église avec le pouvoir politique et les citoyens; il faut nous occuper des institutions particulières du catholicisme, dans leur rapport avec le droit public; ce qui comprend 1o les congrégations religieuses, 2o les biens des établissemens ecclésiastiques, 3° l'existence légale des séminaires et pepetits-séminaires, 4° enfin les priviléges personnels des ecclésiastiques.

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1. Congrégations religieuses. Les décrets des 13 et 19 janvier 1790 et 18 août 1792 avaient prohibé les ordres monastiques et les congrégations: le Concordat et la loi organique ne rétablirent point les institutions de cette nature. «Toutes les institutions monastiques ont disparu, <«< disait Portalis au conseil d'État, elles avaient été minées « par le temps; il n'est pas nécessaire à la religion qu'il «<existe des institutions pareilles ; et, quand elles existent, <«< il est nécessaire qu'elles remplissent le but pieux de leur « établissement. >> Toutefois, la répugnance pour les congrégations ne pouvait pas s'étendre, comme sous la con

(1) Arrêt cass. 26 avril 1836. — Réq. de M. Dupin, 2-515.

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