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m'a semblé

que l'objet le plus important était la méthode et l'établissement des principes. Ramener la science à ses véritables bases, simplifier les choses et les détails par une méthode rigoureuse, telle a été ma pensée. J'ai eu présente à l'esprit cette maxime d'un mathématicien philosophe du siècle dernier : « Plus on diminue le nombre des principes d'une « science, plus on leur donne d'étendue. » Il ne s'agissait pas, en partant de ce point de vue, de donner beaucoup de développemens; c'est dans le cours oral qu'ils trouvent naturellement leur place; il fallait donner la substance même des idées, et toutefois y rattacher les détails nécessaires pour éclairer les principes, pour montrer les liens entre la théorie et la pratique : en un mot, j'ai cherché à simplifier la méthode pour les étudians en droit, et à généraliser, pour les hommes instruits, les principes du droit administratif.

Les documens que nous fournissent l'histoire, l'économie politique, la statistique, dans leur rapport le plus direct avec le droit administratif, ont dû s'unir dans le plan de l'ouvrage, et quelquefois faire corps avec la théorie même du droit. Ce n'est pas seulement l'ensemble des droits et des devoirs de l'administration et des citoyens que nous avons voulu faire connaitre en étudiant l'administration de son pays, il faut que l'on connaisse les principales ressources qu'il possède. C'est peut-être, d'ailleurs, le moyen de donner quelque intérêt à un ouvrage de droit, sans manquer aux exigences rigoureuses de l'esprit scientifique.

Nous indiquons le but que nous nous sommes

proposé; nous sommes loin de l'avoir atteint; mais nous faisons acte de dévoûment pour nous en rapprocher, et nous demandons que, par ce motif du moins, on veuille bien nous tenir un peu compte de nos efforts. Nul n'est plus que nous convaincu de la difficulté de faire un livre vraiment scientifique sur le droit public et administratif : MM. de Cormenin et Macarel ont, les premiers, dirigé la pratique; MM. de Gérando (1), Proudhon (2) et Foucart (3) ont dignement ouvert la voie à l'enseignement de cette branche du droit. Arrivé un des derniers dans la carrière, j'ai tâché de profiter de leurs travaux; je n'ai pas eu la pensée de faire mieux, à Dieu ne plaise! J'ai voulu faire autrement, persuadé que l'état de la science et la diversité des esprits demandent que l'homme qui travaille consciencieusement présente son point de vue personnel.

Le Droit administratif est l'objet principal de ce livre, mais il n'en est pas l'unique objet. Ce n'est pas sans réflexion que nous avons franchi les limites apparentes que semblait nous imposer la spécialité de l'enseignement qui nous est confié. Aussi croyonsnous devoir exposer ici quelques considérations qui touchent aux graves intérêts de l'enseignement dans les Facultés de provinces, lesquelles ont des chaires de droit administratif et non des chaires de droit constitutionnel. (4)

(1) Programme du cours de droit public positif et administratif à la Faculté de droit de Paris, 1819. Institutes du droit administratif français (4 vol. 1829-1830). - C'est dans le programme de 1819 que M. de Gérando a exposé les principes généraux. (2) Traité du domaine public, 5 vol. 1833,

(3) Élémens du Droit public et administratif (2o édit., 3 vol. 1839).

(4) La loi du 22 vent. an XII, porte «qu'on enseignera le droit public français, « et le droit civil dans ses rapports avec l'administration publique. » - Elle n'a pas séparé le droit public et le droit administratif; les associer, c'est se conformer au vœu de la loi fondamentale.

En contemplant le droit administratif dans sa propre nature, et en présence de ses nombreuses ramifications, nous nous sommes demandé s'il ne pouvait pas être exposé isolément, si, par lui-même et abstraction faite de tout autre élément, il ne pourrait pas constituer une science ou du moins une branche vivante de la science et de l'enseignement du droit; mais nous nous sommes convaincu, d'abord, que séparer le droit administratif du droit public ce serait lui enlever sa raison d'existence; et, de plus, nous avons aussi reconnu que séparer le droit public des principes philosophiques, pris dans la nature de l'homme et de la societé, ce serait lui enlever sa base scientifique : nous avons été ainsi ramené, par la nécessité logique, du droit administratif au droit public, du droit public au droit philosophique.

Ce n'est pas qu'on ne puisse et qu'on ne doive même distinguer, dans les termes et dans la réalité, le droit administratif du droit public. Cette distinction est essentielle. Le droit public, comme objet d'enseignement, est la science de l'organisation et des attributions des pouvoirs sociaux, établis pour régir l'ensemble et les divisions du territoire national. Il se confond, dans une même notion, avec le droit politique et le droit constitutionnel.

Le droit administratif est la science de l'action et de la compétence du pouvoir exécutif central et des administrations locales, dans leur rapport avec les administrés.

Mais, d'abord, quand on veut aller au fond des choses, pourrait-on séparer, dans l'enseignement du moins, l'organisation et l'action? On ne peut

faire connaître l'action d'un pouvoir sans faire connaître ce pouvoir lui-même; et comment y parvenir, si l'on n'étudie pas son organisation, ses attributions et ses rapports généraux avec les autres pouvoirs de la société ? L'étude du droit administratif est donc liée naturellement à celle du droit public, comme l'avait voulu avec sagesse la loi de l'an XII, sur les écoles de droit.

D'un autre côté, l'organisation sociale a, dans la réalité, deux origines: la tradition historique; la notion plus ou moins developpée de l'homme et de la société. Quant à la tradition historique, ou l'on présentera une vue d'ensen.ble, l'histoire même des institutions politiques et administratives, et alors on traitera un immense sujet, dont les liens avec le droit actuel ne sont pas intimes, et qui demande un développement particulier; ou l'histoire sera un moyen d'éclairer certaines parties des institutions existantes qui représentent une ancienne institution, et alors elle se confondra avec l'exposition même du droit moderne. L'histoire, dans l'un et l'autre cas, sera utile, mais elle ne constituera pas une base scientifique. - Au contraire, la notion philosophique de l'homme et de la société, c'est la nature même des choses sur lesquelles doit reposer l'organisation sociale, c'est le principe nécessaire et fondamental, sans lequel l'édifice de la science n'a plus de base.

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Droit philosophique, droit public, droit administratif, tel est donc l'ordre naturel, et telles sont les trois grandes divisions du cours. Toutefois, la dernière partie, à cause de la spécialité de la chaire instituée, doit être beaucoup plus développée que les autres. Nous allons présenter dans cette introduction quel

ques vues sur chacun des objets compris dans le cours; elles pourront faire apprécier l'esprit de la méthode qui nous a dirigé, et jeter d'avance quelque lumière sur le vaste sujet que nous avons embrassé.

I. Le droit philosophique ou la philosophie du droit, c'est le droit lui-même interrogé dans sa source rationnelle et morale. Le droit ne peut pas exister comme science sans la philosophie, puisque le droit est, pardessus tout, la science des principes et des rapports, moralement nécessaires, de l'homme et de la société.

Le grand penseur de l'Allemagne, Kant, dit, dans ses Principes métaphysiques du droit (1): « La << question Qu'est-ce que le droit en soi? est aussi <«< embarrassante pour le jurisconsulte que la question « Qu'est-ce que le vrai? est propre à embarrasser le « logicien.» -Deux philosophes chrétiens, Bossuet et Fenélon, ont d'avance répondu pour le logicien et même pour le jurisconsulte.

Bossuet a défini Dieu, CELUI QUI EST : en suivant sa trace, si élevée et si lumineuse, le logicien définit le vrai, CE QUI EST.

Fénélon (2) a distingué deux sortes de lois, l'une qu'il appelle LA LOI QUI EST (la loi universelle, éternelle, immuable), l'autre LA LOI QUI A ÉTÉ FAITE : à l'aide de cette lumière, qui fut celle des jurisconsultes romains (3), le jurisconsulte pourra définir le droit en soi, sous le point de vue naturel ou philoso

(1) Principes métaphysiques du droit, par Kant, traduction de M. J. Tissot, page 33.- (2) Essai sur le gouvernement civil.

(3) Non tam spectandum est quid Romæ factum est, quam quid fieri debeat. (Proculus dig., 1. 1, tit. XVIII, 1. 12.)—C'est aussi la doctrine de Domat (Traité des lois).

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