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CHAPITRE VI.

LOI ÉLECTORALE DU 31 MAI.

Exposé des motifs, demande d'urgence, la question préalable écartée, M. Michel (de Bourges), hypocrisie de la loi, l'alliance du peuple et de la bourgeoisie, de quel côté des barricades sont les factieux, M. Gustave de Beaumont, M. Victor Lefranc, vote de l'urgence; rapport de M. Léon Faucher, aggravation nouvelle, vote de l'urgence sur le rapport; M. le général Cavaignac contre le projet; M. V. Hugo, langage passionné; M. J. de Lasteyrie, le complot des honnêtes gens; MM. Béchard et Canet; M. de Montalembert, expédition de Rome à l'intérieur; M. Cavaignac, malentendu, susceptibilité exagérée; M. V. Hugo, personnalités, flatteries à tous les pouvoirs, sanglante biographie esquissée par M. de Montalembert, exécution parlementaire; discussion des articles, M. de Lamartine, incident, une page de l'histoire du 24 Février par M. le général Bedeau; M. Baroche justifie la loi; M. Thiers, argumentation vigoureuse, le peuple et la vile multitude, protestation inattendue, M. Napoléon, cinq minutes sur l'Aventin; le mépris de M. Nadaud; M. de Flotte, éloge de l'autorité et du juste milieu en politique, tactique nouvelle, amortiret endormir; M. Grévy; M. L. Faucher et M. J. Favre, la liberté du vote sous le provisoire; amendments repoussés, MM. P. LeToux, Saint-Romme, Dupont (de Bussac), Corne, Cavaignac, de Lasteyrie, Monet, de Lamoricière, combattus par MM. Léon Faucher, de Vatimesnil, Berryer; incidents, sincérité politique, Louvel et Alibaud; amendement légitimiste, MM. de Tinguy et de Larochejaquelein, rejet ; amendement orléaniste, M. Vezin, insinuations, accusations voilées; rejet des amendements de MM. J. Favre, Beaumont (de la Somme), Charamaule, Rigal; vote d'un amendement de M. Benoît-Champy; M. Loyer et M. Versigny, les faillis ; M. Victor Hennequin, réhabilition des exclus; exclusions nouvelles, MM. Léo de Laborde, Grimaut, Nettement; vote de la loi.— La loi sort du scrutin plutôt fortifiée qu'affaiblie, union éclatante du parti modéré, sera-telle durable? heureuse influence du vote sur les transactions commerciales et industrielles; quel sera l'effet pratique de la loi, impossibilite d'en préjuger la portée. Pétitions contre la loi, rapport de M. Faucher, renvoi au ministre de la Justice pour contravention. Résultats bizarres de la loi, faut-il l'abroger lorsqu'à peine elle est votée; propositions de MM. Bourzat, de Larochejaquelein, Arnaud (de l'Ariége), etc.; la magistrature consultée, la Cour de cassation commente et corrige la loi. Annexes à la loi, proposition de M. Dabeaux sur les élections municipales et départementales; proposition de M. P. Duprat relative à l'élection de la municipalité du département de la Seine, commune de Paris, rejet.

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L'exposé des motifs du projet de la nouvelle loi électorale pro

testait dans les termes les plus formels du respect du Gouvernement pour la lettre et pour l'esprit de la Constitution; il repoussait toute intention de l'enfreindre ou de l'éluder.

Le projet de loi se composait en tout de onze articles, et comprenait quatre dispositions principales.

Aujourd'hui la seule condition exigée pour exercer les droits politiques dans une commune était d'y résider depuis six mois. Le projet de loi rentrait dans les termes de la Constitution en exigeant, non plus une simple résidence, une habitation de fait pendant six mois, mais un domicile de trois ans, dans le sens légal du mot, c'est-à-dire à la condition d'avoir son principal établissement dans la commune. Le domicile serait constaté soit par l'inscription au rôle de la taxe personnelle, soit par la déclaration des père ou mère en ce qui concerne leurs enfants, et des maîtres ou patrons en ce qui concerne les ouvriers, soit encore par l'exercice des fonctions publiques dans un lieu déterminé, soit enfin par la présence sous les drapeaux dans les armées de terre et de

mer.

La loi nouvelle étendait le cercle des incapacités légales, et y comprenait les condamnés pour vol, escroquerie, abus de confiance, soustraction commise par des dépositaires de deniers publics, ou attentat aux mœurs prévu par l'article 354 du Code pénal, quelle qu'eût été la durée de l'emprisonnement auquel ils auraient été condamnés. Etaient également déclarés incapables les officiers ministériels destitués en vertu de jugements, les condamnés pour rébellion, outrages envers les dépositaires de l'autorité de la force publique, pour délits prévus par la loi sur les attroupements ou la loi sur les clubs, pendant cinq ans, à partir du jour de leur condamnation.

Les votes des électeurs militaires seraient recueillis et envoyés au chef-lieu du département, et confondus dans les diverses sections électorales du chef-lieu avec les bulletins des autres électeurs.

Pour être élu représentant, au premier tour de scrutin, un candidat devrait réunir un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits et la moitié plus un des suffrages exprimés; au second tour de scrutin, il devrait réunir un nombre de voix égal

au quart des électeurs inscrits et la majorité relative; au troisième tour de scrutin, la majorité relative serait seule exigée. Telles étaient les principales dispositions de la loi nouvelle. Après avoir terminé cette lecture, M. Baroche expliqua en quelques mots que l'agitation qu'on avait cherché à produire, faisait un devoir au Gouvernement de demander l'urgence pour le projet. Il pria l'Assemblée de prendre cette demande en considération. La réponse de l'extrême gauche était toute prête : elle réclama la question préalable sur la loi et le vote public à la tribune. L'Assemblée s'étant prononcée à l'unanimité pour ce mode de votation, procéda au scrutin. Le dépouillement donna le résultat suivant nombre des votants, 650, majorité, 326; pour la question préalable, 197 bulletins, contre, 453.

La question préalable ainsi écartée, le débat s'engagea sur la prise en considération de la demande d'urgence. Sans un discours de M. Michel (de Bourges), il se serait réduit à quelques courtes explications. Le discours de l'honorable membre fut assez succinct, mais souleva, à plusieurs reprises, de vives protestations. On conçoit, au reste, son langage d'après sa manière d'envisager la nouvelle loi : « Je lis à son frontispice, dit-il en commençant, les mots de mensonge et d'hypocrisie, et j'entrevois au bout les horreurs de la guerre civile.»

« Quel motif, demandait l'orateur, invoque-t-on à l'appui de la demande d'urgence? L'agitation des esprits? sans doute, celle qu'a soulevée le projet de loi, car il n'en existe pas d'autre. Le peuple partout est calme, il est entré dans les voies de la légalité qu'on lui recommandait, il a rejeté le fusil et fait alliance avec la bourgeoisie et avec l'armée : les votes du 10 mars et du 28 avril sont là pour l'attester. Comment avez-vous reconnu ses dispositions pacifiques, son amour de l'ordre, son respect de la légalité? Vous avez supprimé ses réunions et bâillonné la presse; vous vous êtes crus les maîtres alors, et l'esprit de faction a voulu relever les barricades de juin au sein des comices électoraux ! >> Une explosion de murmures accueillit ces paroles, et M. le président Bedeau invita l'orateur à les expliquer. M. Michel (de Bourges) se contenta de les répéter en ajoutant que la dernière élection avait fait éclater l'alliance entre le prolétaire, le soldat et la bourgeoisie,

et que le peuple avait repoussé le choix fait par le parti modéré.

« Je ne puis, interrompit le général Bedeau, tolérer un pareil langage; je ne puis laisser dire ici qu'un candidat qui a courageusement rempli un devoir de citoyen en défendant les lois, ait été un factieux. » La majorité salua de ses bravos répétés, cette énergique déclaration contre laquelle un membre voulut protester en s'écriant : « Il n'y a pas de candidat à l'Assemblée, il n'y a que des élus ! »

Deux orateurs prirent encore part au débat. M. Gustave de Beaumont, tout en se montrant peu favorable à la loi proposée, expliqua loyalement les motifs qui le déterminaient à se prononcer pour l'urgence. M. Victor Lefranc en nia la nécessité. Sans doute, à la lettre, il n'y aurait pas d'élections avant 1852; mais c'était dans le sens politique que le Gouvernement réclamait l'urgence; ce n'était pas, à ses yeux, l'application de la loi, mais la discussion, la décision qui étaient urgentes. Il ne fallait pas laisser cette cause d'agitation et d'inquiétude suspendue sur le pays pendant les lenteurs des délibérations ordinaires. L'Assemblée s'associa à cette pensée en prenant la demande d'urgence en considération à une majorité considérable (8 mai).

Le 18 mai eut lieu la présentation du rapport de la commission chargée d'examiner le projet : M. Léon Faucher en donna lecture. Le projet amendé par la commission maintenait toutes les dispositions fondamentales du projet du Gouvernement, et n'en différait qu'en quelques points de détail. Voici en quoi consistaient les modifications introduites par la commission dans l'œuvre primitive. Le maire ne pourrait pas procéder seul à la formation de la liste électorale de la commune ; il devrait être assisté, dans cette opération, de deux délégués choisis par le juge de paix, et domiciliés dans le canton. L'obligation d'avoir trois ans de domicile dans la même commune pour pouvoir être inscrit sur la liste des électeurs, était remplacée par celle du domicile dans la circonscription du canton pendant le même laps de temps. La commission admettait un nouveau moyen de constatation du domicile, l'inscription personnelle au rôle des prestations en nature pour les chemins vicinaux ; elle demandait que les ouvriers et domestiques fussent censés habiter chez les maîtres ou patrons, quand ils demeuraient dans les bâti

ments servant à l'exploitation; elle comblait une lacune du projet en décidant, au sujet de la déclaration de domicile que les maîtres ou patrons devraient à leurs ouvriers ou domestiques à gages, qu'en cas de refus ou d'empêchement du maître ou patron, le fait du domicile serait constaté par le juge de paix. La commission créait, en outre, de nouvelles catégories d'incapables; elle proposait de rayer de la liste électorale les militaires envoyés par punition dans les compagnies de discipline, et les condamnés pour outrage public à la pudeur, pour outrage à la morale publique ou religieuse et aux bonnes mœurs, pour attaque contre le principe de la propriété ou de la famille. La commission, enfin, n'adoptait pas la disposition du projet qui avait pour but de faire déclarer qu'il n'y aurait élection au premier tour de scrutin qu'autant que le candidat aurait obtenu la moitié, plus un, des suffrages exprimés; elle élevait seulement du huitième au quart des électeurs inscrits, le chiffre de la majorité relative nécessaire à la validité de l'élection. Le délai fixé pour la formation des listes était étendu de douze jours à vingt jours. Les fonctionnaires publics seraient inscrits sur la liste électorale de la commune où ils exerceraient actuellement leurs fonctions, quelle que fût la durée de leur domicile dans cette commune, mais à la condition qu'ils fussent attachés depuis trois années, sans interruption, au service de l'Etat. Tout électeur qui quitterait la commune sur la liste électorale de laquelle il serait inscrit, continuerait à être porté sur cette liste pendant trois ans, à la charge de justifier, dans les formes établies par la loi, de son domicile dans la commune où il aurait fixé sa nouvelle résidence.

Quant à l'urgence, le rapporteur concluait à ce que la question fût vidée sans désemparer. L'Assemblée s'associa à cette pensée. Après un discours de M. Lagrange, et une dissertation très-calme et très-modérée du nouvel élu socialiste, M. de Flotte, l'urgence fut adoptée par 461 voix contre 259, sur 700 votants, 222 voix de majorité.

Immédiatement après, M. le général Cavaignac prit la parole contre le projet. Représentant d'une situation intermédiaire mais peu considérable par le nombre de ses adhérents dans le sein de l'Assemblée, le général repoussa la loi parce qu'elle lui parais

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