La province d'Oran présente un aspect différent de celui des deux autres provinces. La colonisation n'y est ni échelonnée ni continue: elle y procède par des massifs tendants à s'avancer les uns vers les autres. La ville d'Oran, au fond du golfe de ce nom, chef-lieu de la province, et la ville de Mostaganem, près de la corne est du golfe d'Arzew, creusé lui-même à l'orient de celui d'Oran, forment, chacun de son côté, la base des deux massifs distincts qui se trouvent dans le territoire civil de la province. Le premier massif se compose de : Arcole, à l'est d'Oran; Sidi-Chami, au sud-est d'Arcole; Valmy, au sud-ouest de Sidi-Chami; Miserghin, à l'ouest de Valmy; Ain-Turk, au nord-est de Miserghin. Ces établissements, sur le littoral, près des belles plaines de l'Eufra et des Andalous, décrivent autour d'Oran un demi-cercle, à l'intérieur duquel se trouve un sixième village, la Sénia. Le second massif, beaucoup moins étendu, borde la route qui côtoie le golfe. Il ne compte encore, en territoire civil, qu'un village, Mazagran, tout près de Mostaganem; mais il s'appuie, en territoire militaire, sur le voisinage presque immédiat de la Stidia et du village affecté aux militaires libérés. Les points principaux du territoire militaire sont pareillement situés à de grandes distances les uns des autres. Les trois villes de Tlemcem, de Sidi-bel-Abbès et de Mascara se trouvent, de l'ouest à l'est, en arrière d'Oran, sur une ligne droite qui coupe la province et qui, après avoir touché à LallaMaghrnia, frontière du Maroc, va s'appuyer, sur le littoral, au petit port de Nemours. Ces villes forment néanmoins autant de points de départ pour la colonisation extensive de proche en proche. Déjà, en effet, le territoire de Mascara contient deux villages, Saint-André et SaintHippolyte, et se relie à Oran par le village de Saint-Denis-du-Sig. Les environs de Sidi-bel-Abbès se couvrent de fermes et de hameaux. Tlemcem, ville agricole par excellence, voit se développer en avant de lui les villages de Bréa, de Négrier, de Monsourah et de la Seysaf. Arsew, quatrième ville de la province, située en face de Mostaganem, à l'autre extrémité du golfe, protége la colonie prussienne de Sainte-Léonie, et a servi de base à un nouvean massif, au moyen des colonies agricoles. Je citerai pour mémoire, et comme pouvant être utilisés un jour pour la colonisation, les postes permanents de: Ain-Temouchen, sur la route d'Oran à Tlemcem, au sud de la ligne intérieure dont je viens de parler; Sebdou, plus à l'ouest; Daia, Saïda et Tiaret, se dirigeant vers l'est. Colonies agricoles. Pour compléter le tableau de nos établissements algériens, il me reste à mentionner les 42 colonies agricoles, créations exceptionnelles, et dont, par ce motif, je parle à part. Ces colonies, disposées de manière à fortifier le réseau de colonisation, ont été réparties, savoir: 12 dans la province d'Alger, 21 dans celle d'Oran, 9 dans celle de Constantine. Dans la province d'Alger, on a groupé sur le littoral, à l'ouest et auprès de Koléah les colonies de Castiglione et de Tefeschoun. La ligne de la Mitidja, dégarnie de Blidah à Cherchell, a reçu pour complément, en remontant de l'est à l'ouest, les villages de Bouroumi et de l'Affroun, massés sur le point où aboutit une ligne de colonisation qui pourra s'étendre vers Milianab, et les villages de Marengo et de Zurich, celui-ci au sud-ouest du précédent, dans la direction de Cherchell, dans le voisinage duquel on a placé Novi, sur le littoral à l'ouest. La ligne médiane de l'Atlas a été renforcée aux portes de Médéah par Lodi au nord-ouest, de Damiette au sud-est, et auprès d'Orléansville par la Ferme et Ponteba; enfin, Tenès, sur le littoral, a vu s'élever auprès de lui un nouveau village, Montenotte. Dans la province de Constantine, les colonies agricoles sont venues fortifier, sur la ligue de Constantine à Bone, le triangle susmentionné, compris entre ces deux villes et Philippeville, savoir: Guelma, Heliopolis, Millesimo, Petit, Barral, Mondovi. Guelma s'est en quelque sorte confondu avec l'ancien établissement auquel il a pris son nom et forme lui-même le sommet d'un petit triangle dont le côté, perpendiculaire au nord, aboutit à Héliopolis, tandis que le côté courant vers l'est passe par Millesimo et s'arrête à Petit. A moitié chemin environ de ce dernier point à Bone, mais en appuyant à l'est, a été placé au bord de la Seybouse le village de Barral, et un peu plus loin, celui de Mondovi. La ligne du littoral ne réclamant pas immédiatement de nouvelle création, Gastonville et Robertville, à sa droite, ont été jetés au milieu du parcours de la route de Philippeville à Constantine. Jemmapes a été installé au centre même du triangle, entre Gastonville et le lac Fetzara, sur la route projetée de Constantine à Bone et à Philippeville. Dans la province d'Oran, les vingt et une colonies out été réparties en nombre égal entre les trois massifs principaux déjà existants. Le massif d'Oran a reçu : Mangin, au sud-est d'Oran; Assi-bouNif, Assi-Ameur, Assi-ben-Okba, tous trois au nord-est de Mangin, et étagés perpendiculairement vers le nord; SaintLouis, Ali-ben-Fercha, Fleurus, disposés à l'est des précédents, dans le même ordre et presque parallèlement. Le massif d'Arzew renferme : SaintCloud, au nord-est de Fleurus, sur la route de l'ancien Arzew à Oran; Mefessour, sur la même route plus à l'est; Kléber, Muley-Magoug, Damesme, SaintLeu (l'ancien Arzew). Ces quatre dernières colonies forment, au nord de Mefessour, et à distance à peu près égale de l'ouest à l'est, une ligue aboutissant au littoral. Enfin Ar zew, au nord de cette ligne et auprès d'Arzew-le-Port. En tout, 14 colonies qui, réunies dans le triangle décrit par la côte entre les deux golfes, présentent de ce côté un solide appui. Il en est de même des sept colonies créées au nord et au sud de Mostaganem. Au sud, Ain-Nouissy appuie Rivoli, placé plus avant vers le nord, sur la route qui, à l'ouest, s'étendra de Mostaganem à Mascara, en passant par la redoute de Perregaux, tandis qu'à l'est de Rivoli Aboukir fait étape sur une autre route déjà en partie achevée entre les mêmes points. La ligne du nord commence à Karouba, sur le littoral, se continue de l'ouest à l'est par Tounine, Ain-Tedlès et Souk-el-Mitou, situés, ce dernier surtout, à peu de distance de la rivière du Chelif. Je n'ai pas à apprécier en lui-même le principe des colonies agricoles, puisque ce système a été abandonné par l'Assemblée nationale. Toutefois, grâce aux améliorations qu'une courte expérience a introduites dans le régime et le personnel de ces colonies, il est permis d'espérer qu'avec le temps elles formeront de beaux établissements. Vous le voyez, Monsieur le président, il résulte de l'ensemble et de la disposition respective des divers établissements ci-dessus mentionnés que l'administration n'a point agi à l'aventure; qu'au contraire, ses créations procèdent toutes d'une pensée constamment suivie. Et encore, vous voudrez bien le remarquer, convient-il d'avoir égard aux difficultés d'exécution. L'Algérie n'était point une table rase, de tracer des lignes à son gré. Il fallait sur laquelle on fût maître, dès l'origine, d'abord tenir compte des établissements anciens et les prendre pour base des créations nouvelles; et puis le territoire de l'Algérie n'a été occupé que successivement. Les villages dont la conception remonte à 1841, au commencement d'une lutte longue et acharnée avec les Arabes, et dont la fondation a généralement eu lieu durant la période de guerre, durent être combinés conformément aux nécessités militaires du temps, au donble point de vue de la défense générale et de leur sûreté particulière : aussi Dès les Cultures particulières. premiers jours de la conquête, la majeure partie des terres situées à portée des grandes villes du littoral ont été achetées par des Européens, dans l'espoir de les revendre à prime. Cette spéculation n'a guère réussi et a causé des embarras au gouvernement. Néanmoins, on rencontre çà et là d'honorables exceptions. En dehors des villes et des villages, d'ancienne ou de nouvelle création, existe certain nombre de fermes particulières, dont quelques-unes ont une véritable importance; fraîches et riantes oasis, où la plus splendide végétation témoigne de ce que peut, en Algérie, la fertilité du sol vivifié par l'intelligence, le travail et les capitaux. Heureusement, les colons instruits par l'expérience, commencent à comprendre cette vérité, que la prospérité générale et l'avenir du pays dépendent de la mise en valeur et du peuplement de la campagne. Il se manifeste en ce moment une tendance marquée vers l'agriculture. Cette tendance mérite des encouragements. Le gouvernement y appliquera tous ses soins et ses efforts. DEUXIÈME PARTIE. TRAVAUX PUBLICS. Les travaux publics sont l'énergique et indispensable auxiliaire de la colonisation, prise à son plus large point de vue. En effet, comment coloniser sans routes pour relier entre eux les centres de populations; sans dessèchements pour assainir les localités devenues insalubres par la stagnation des eaux, et pour rendre à la culture des terres perdues pour elle; sans ports destinés à ouvrir d'abord de larges voies au commerce extérieur, et à procurer ensuite l'écoulement des produits de la culture et du commerce intérieur de la colonie; sans phares et fanaux pour guider la navigation française et étrangère sur 250 lieues de côtes; sans lignes télégraphiques chargées de porter avec rapidité les ordres de paix ou de guerre; enfin, sans édifices, siéges de l'administration pnblique, autour desquels se groupent d'abord les constructions particulières qui, de l'humble condition de villages, doivent plus tard s'élever au rang de villes. Si l'on se reportait par la pensée aux époques d'occupation successive des différentes parties de l'Algérie par nos armes, on verrait Alger offrant, il est vrai, une enceinte et des bâtiments militaires en assez bon état mais n'étant à l'intérieur qu'un chaos de maisons généralement privées d'air, de rues étroites et tortueuses ne présentant à l'armée et à la population ni grandes lignes de communication, ni emplacements pour les mouvements des troupes et du com merce. On trouverait Oran attristant l'œil par un amas de ruines, suite des tremblements de terre de 1789 et 1791, comme aussi de l'insouciance et de l'incurie de l'administration turque. On trouvait enfin Bone saccagé par les soldats de Ben-Aïssa, lieutenant du bey de Constantine, qui se vengea de l'appel aux Français fait par les Bonois en couvrant leur ville de ruines et de décombres que plusieurs mois eurent peine à déblayer. Aujourd'hui Alger, Oran, Bone, sont des villes européennes où l'air circule, où de larges voies de communication facilitent les transactions commerciales en même temps que les relations ordinaires de la vie, et où s'élèvent des maisons particulières et des édifices publics à l'image des constructions de la métropole. Constantine, la ville indigène par excellence, a aussi son quartier européen. Le même tableau pourrait être tracé pour toutes les localités importantes de l'Algérie. Sauf quelques points du littoral, tels que Cherchell, Bougie, Tenès, Mostaganem, où se trouvaient encore des constructions en assez bon état, toute l'Algérie était couverte de ruines faites par la main du temps ou par la main des hommes. Dans la province du centre, Blidah, Médéal, Koléah, Milianah, n'avaient plus que leurs mosquées qui se tinssent debout. A l'est, Sétif, Guelma, La Calle, ne présentaient plus à l'œil qu'un sol nu; ce dernier point de la côte ne portait plus trace de la splendeur de l'ancien établissement français pour la pêche du corail, ruiné d'abord en 1794, puis en 1827, après le coup d'éventail qui amena pour représailles le bombardement et la prise d'Alger (1). A l'ouest, Mostaganem, Tlemcen, Mascara, patrie d'Abd-el-Kader, offraient le même spectacle, et si en parcourant cette vaste étendue, principalement la province de Constantine, on rencontrait des constructions dont les restes semblaient et semblent encore défier les siècles, c'étaient encore des ruines, mais des ruines attestant aux nouveaux conquérants l'ancienne domination et l'occupation sérieuse du pays par le peuple romain. Les hommes peu disposés à croire que de nombreux et utiles travaux, en vue de la colonisation actuelle et future de l'Algérie, y aient déjà été effectués ou soient actuellement en cours d'exé cution, éprouveraient une grande surprise s'il leur était donné d'embrasser d'un coup d'oeil depuis La Calle jusqu'à Djemma-Ghazaouat (Nemours), de la frontière de Tunis à celle du Maroc, les innombrables ouvrages qui attestent à à la fois et la puissance créatrice de la France et ses vues d'avenir pour sa colonie africaine. (1) Cet établissement, anciennement connu sous le nom de Bastion de France, remontalt à une époque antérieure à Louis XIII (1594). Deux cents ans après (1794), il fut ruine par un décret de la Convention, qui l'abolit comme un monopole, puis par la captivité des agents français à la suite de la guerre en 1798. Un traite nouveau du 26 décembre 1817 avait remis la France en possession. En 1822, le privilege commercial fut concédé à une maison de Marseille, et l'exploitation de la pèche du corail fut dirigée par le département des affaires étrangères jusqu'au moment où les troupes du dey détruisirent de nouveau l'établissement français, après la déclaration de guerre de 1827. domination complète du pays, du maintien de la pacification et de la colonisation future. Ce système général, adopté dès 1847, présente un réseau complet au triple point de vue: 10 Des grandes voies mettant en communication les trois provinces, partant de La Calle et de Tebessa, pour aboutir à Djemma-Ghazaouat et à LallaMaghrnia, près du Maroc et non loin du théâtre de la mémorable victoire de l'Isly; 20 Des routes partant du littoral et s'enfonçant du nord au sud jusqu'aux limites du Tell, de Bonc et de Philippeville à Batna, et même à Biskara, en passant par Constantine; de Bougie à Djebel-bou-Thaleb, en passant par Sétif, de Dellys à Aumale, d'Alger à Boghar, en passant par Blidah et Médéah, de Cherchel à Teniet-el-Ahil, de Tenès à Tiaret, de Mostaganem et d'Arzew à Saïda, d'Oran à Sid-bel-Abbès, Daïa, Sebdou et Tlemcen; 30 Des routes intermédiaires reliant entre eux les anciens centres de population et les centres de création nouvelle. Ce réseau de voies de communication se résume en 5,350 kilomètres dont 450 kilomètres sont actuellement à l'état d'entretien ou empierres; 250 terrassés, mais sans empierrement; 450 à pentes réglées; 1,650 ouverts par de simples travaux de campagne, et 2,250 à l'état d'étude plus ou moins avancée. Le moment n'est pas éloigné où ces routes, sur le parcours desquelles ont été construits 80 ponts, dont 22 en maçonnerie et 58 en charpente, et près de 300 ponceaux, seront définitivement classées, comme dans la métropole, en routes nationales, départementales et chemins vicinaux. Ces vastes travaux ont été, pour la plupart, exécutés par l'armée, qui ne déposait le fusil que pour prendre la pioche. Lignes télégraphiques. complément des voies de communication, des lignes télégraphiques ont été établies, d'abord du centre du gouvernement vers l'ouest, puis ensuite vers l'est. Ainsi, d'Alger à Tlemcen, près de la frontière du Maroc, s'avance une ligne composée de cinquante-six postes de correspondances, y compris divers enbranchements, et passant par Blidah, Médéah, Milianah, Orléansville, Tenès, Oran, Mascara et Sidi-bel-Abbès. Du côté de l'est, une autre ligne de huit postes s'étend déjà jusqu'à Aumale, et se prolongera, au moyen de trente autres postes, vers la limite tunisienne. Travaux d'assainissement. L'opinion publique s'était généralement trop inquiétée dans l'origine de la prétendue insalubrité de l'Algérie, que l'on attri buait au climat. Des expériences heureuses et réitérées ont démontré que cette insalubrité, réelle sur certains points marécageux, ne tenait qu'à une cause accidentelle, à la dégradation des anciens canaux et à la stagnation des caux depuis des siècles d'incurie turque. : Le desséchement des marais a ramené la santé. Je ne citerai que deux faits entre plusieurs Bouffarik, signalé dans l'origine pour ses fièvres pernicieuses, est redevenu parfaitement salubre, grâce aux travaux d'assainissement qui ont été exécutés, aux cultures faites par de courageux colons et aux précautions hygiéniques indiquées par l'administration. Bone a été assaini de la même manière. Les faits généraux viennent à l'appui. Les derniers états de situation de la population européenne donnent à peu près deux enfants par ménage, et il faut de bonnes conditions d'aclimatation pour que cette proportion soit obtenue. Les environs d'Alger (la Mitidja) et ceux de Bone et de Philippeville furent les premiers objets de la sollicitude administrative 2,510 hectares de marais y ont été assainis. Il serait trop long de citer ici tous les autres marais qui depuis lors dans les provinces d'Alger, de Constantine surtout, ont été desséchés, soit par le génie militaire, soit par les ponts et chaussées. Dans la province d'Oran, il y avait moins à faire. Les marais d'Aïn-Béida, de la Macta et de Sidi-bel-Abbès y ont seuls exigé des travaux. Somme totale, 7,580 hectares de marais ont été assainis et rendus à la culture. |