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LE PASSAGE DE

MADAME, DUCHESSE D'ANGOULÊME

A SAINT-SEINE-L'ABBAYE

En août 1816.

Les rois et princes de l'ancienne monarchie ne voyageaient pas autant que les Napoléons ou les présidents de la troisième république, mais, pour n'être pas venus au temps des chemins de fer, ils se montraient cependant au dehors et remplissaient ponctuellement les programmes, toujours les mêmes, des voyages officiels. Sous la restauration, Louis XVIII ne se déplaçait pas et pour cause; on sait que de cruelles. infirmités, royalement supportées, le clouaient aux Tuileries, mais Monsieur, le duc et la duchesse d'Angoulême, le duc et la duchesse de Berry, représentaient volontiers en province la monarchie restaurée. Monsieur, surtout, mettait dans ces apparitions princières une bonne grâce qui, pendant qu'on le voyait, ravissait tous les cœurs; il n'en était pas tout à fait de même de ses fils et de sa belle-fille; le duc d'Angoulême, un silencieux et appliqué, honnête mais d'une docilité d'enfant envers le roi, qu'il fût son oncle

ou son père, le duc de Berry, trop vif, quelquefois brutal, bien que de nature foncièrement bonne, nuisaient plus à la cause royale qu'ils ne la servaient. La duchesse de Berry, au contraire, exerçait une véritable fascination sur tous ceux qui l'approchaient. Quant à Madame, duchesse d'Angoulême (1), la voix dure, les dehors sans grâce qu'elle tenait de son père, cette rigidité que l'on prenait pour de l'insensibilité hautaine alors que c'était l'angoisse inapaisée d'une âme pétrifiée par le malheur, l'avaient faite impopulaire dès ce jour de mai où elle faisait son entrée à Paris assise à la gauche de Louis XVIII, et dans ses voyages assez fréquents à travers la France, il s'en fallait de beaucoup qu'elle produisit une impression de charme et de sympathie.

En cette horrible année 1816, où à tous les maux de l'invasion vinrent s'ajouter des pluies continuelles qui perdirent les récoltes et menacèrent de renouveler les famines des anciens temps, la duchesse d'Angoulême avait fait un séjour à Vichy et, dans les premiers jours d'août, rentrait à Paris par la Bourgogne. Le mercredi 7, au matin, accompagnée de la duchesse de Damas, de la vicomtesse d'Agoult, de la vicomtesse de Béarn, du vicomte de Montmorency, chevalier d'honneur, du vicomte d'Agoult, premier écuyer, et de deux officiers des gardes du corps, elle partait de Chalon-sur-Saône et s'arrêtait à Beaune où le sous-préfet, le chevalier Perrin du

(4) Pendant le règne de Louis XVIII, la duchesse avait pour titre officiel, Madame, duchesse d'Angoulême ; quand Monsieur devint Charles X, elle prit le titre de Madame la Dauphine, et celui de Madame passa à la duchesse de Berry.

Lac, lui offrait un déjeuner à la sous-préfecture. A trois heures et demie, elle arrivait en vue de Dijon, à la hauteur du jardin avec maison que l'on nomme le clos Charpentier, et était saluée par le général comte Charles de Damas, gouverneur de la XVIII division militaire (1). Le cortège fit son entrée en ville avec le cérémonial accoutumé et la duchesse fut reçue à la préfecture; le préfet était alors le comte de Tocqueville, le père de l'écrivain mort en 1859; le soir il y eut un diner de 29 couverts. Le lendemain, la princesse entendit la messe à NotreDame, visita les promenades et accomplit toutes les corvées obligatoires d'un voyage princier; puis le comte de Damas lui offrit un dîner de 40 couverts au quartier général de la XVIIIe division militaire, c'est-à-dire au Palais de Monsieur, nom que l'on donnait alors à l'ancienne sénatorerie, la partie occidentale du Palais des Etats, où le gouverneur occupait les anciens appartements des Elus. Il est difficile en l'état de préciser d'une manière certaine la distribution des pièces qui ont été absolument désaffectées; peut-être le diner eut-il lieu dans l'ancienne salle à manger de l'Elu de la noblesse, aujourd'hui bibliothèque de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon.

Le lendemain matin, vendredi 9, à6 heures, la duchesse reprenait la route de Paris par Saint-Seine, Châtillon et Troyes. L'itinéraire était fixé à l'avance et,dès le 3, le maire de Saint-Seine, Mielle, un vieux

(1) Les divisions militaires avaient alors à leur tête un gouverneur et sous lui un commandant.

nom saint-seinois aujourd'hui disparu, notifiait en ces termes le passage princier aux habitants (1):

Le maire de la commune de Saint-Seine, chef-lieu de canton, aux habitants de Saint-Seine et à ceux des communes composant l'arrondissement dudit canton.

Habitants,

En vous prévenant du passage de Son Altesse Royale Madame, duchesse d'Angoulême, sur le territoire respectif de vos communes, c'est vous mettre à même de rendre à l'auguste héritière des rois les honneurs qui lui sont si justement dus et de satisfaire envers Son Altesse cette dette de vos curs trop longtemps comprimés, en lui exprimant le tribut d'amour et de respect que ses vertus royales lui ont acquis et dont vous êtes si empressés de lui donner des témoignages.

Qui de nous, en effet, ne désire voir et contempler cette princesse si célèbre par ses malheurs, si honorable par les vertus publiques et privées qui caractérisent sa vie entière, et dont l'exemple doit, en nous rendant meilleurs, nous ramener à cette simplicité de mœurs, à l'exercice de ces vertus paisibles et domestiques qui faisaient autrefois notre bonheur.

Connaissant les sentiments dont vous êtes animés dans le fond du cœur pour la famille royale de France (quoique la calomnie se soit plue à les dénaturer et à peindre ce canton en général comme ennemi des institutions royales), vous vous empresserez de les manifester dans cette circonstance intéressante et véritablement religieuse.

En conséquence, que toute la population en habit de fête se porte au-devant et garnisse la route que parcourra la respectable fille de Louis XVI, et la salue par ses acclamations. Jeunes filles, jonchez de fleurs son passage, pères et mères

(4) Registres de la mairie de Saint-Seine, extraits relevés par M. Nageotte, instituteur; on a respecté l'orthographe des deux pièces rapportées ici.

de famille, honorez l'élue du malheur, l'auguste orpheline du Temple, cette victime seule de sa famille échappée à la fureur démagogique des factieux qui crurent, en frappant le monarque, renverser à jamais le trône de Saint Louis, dont l'existence peut seule assurer celle du corps social et autour duquel doivent se réunir les citoyens de toutes les classes qui ont intérêt au maintien de l'ordre, à la sûreté des personnes et des propriétés.

Dans ces circonstances, quelles qu'aient été nos opinions et nos erreurs, hâtons-nous d'abjurer tout esprit de haine et de division pour fêter et célébrer une princesse qui ne veut voir dans les Français réunis qu'une famille de frères, à laquelle (à l'exemple de son auguste père) elle a tout pardonné.

Pour faciliter et régulariser le mouvement des différentes communes sur le territoire desquelles doit passer Son Altesse Royale, sans les constituer en dépenses,

Nous les invitons à dresser des arcs de triomphe en feuillage sur les différents points de la route que traversera son cortège et près desquels la population entière de chaque commune se trouvera réunie vendredi matin 9 août, jour fixé pour le passage de Son Altesse Royale.

1° Celle de Val-Suzon se réunira à six heures du matin ; elle élèvera son arc de triomphe à l'entrée du pays, au-dessus de la maison de M. Démorey, maire; la voiture de Son Altesse Royale devant changer de chevaux, elle sera complimentée par le maire à la tête du corps municipal; la population des deux communes (1) garnira la route en formant la haie des deux côtés depuis le pont jusqu'à la montée; elle fera retentir l'air des cris de « Vive le roi! « Vive Madame! Vive la famille royale! »

2o Celle de Francheville à six heures et demie, auprès de son arc de triomphe qui sera élevé sur la route vis-à-vis le chemin qui conduit à Francheville; la population garnira la route en formant la haie, les filles en avant et séparées, tous dans leurs habits de fête ; mêmes acclamations.

(4) Val-Suzon formait alors deux communes, Val-Suzon-Haut et Val-Suzon-Bas.

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