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LE COMMUNISME ET LE FÉMINISME

A ATHENES

Le dialogue de Platon connu sous le nom de « La République est célèbre entre tous, mais on connait moins la comédie « l'Assemblée des femmes >> où Aristophane a su mettre en scène les erreurs de la doctrine du philosophe. Il y aurait peut-être quelque intérêt à rechercher si ses traits frappent juste et si la verve impitoyable du poète comique saisit tout ce qu'ont d'impraticable les théories communistes de Platon. Car celui-ci fait de l'Etat une véritable personne et comme un corps dont les citoyens ne sont que les membres dociles. Ainsi l'Etat est le maître, le citoyen est l'esclave, tandis qu'au contraire, dans nos idées modernes, l'Etat est constitué dans le but de protéger la vie et les biens des hommes associés : être défendu et rester libre, voilà l'immense avantage de la vie sociale.

Or on sait que Platon ignore ou méconnaît ce principe si simple et si vrai, lui qui, au début du livre VIII de sa République (1), admet que « dans un Etat qui « aspire à la perfection tout est mis en commun,

(1) Pour toutes les citations nous renvoyons à la traduction de Victor Cousin.

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« les femmes, les enfants, l'éducation ainsi que les «<exercices qui se rapportent à la guerre et à la paix; les chefs conduiront les guerriers dans des «<logements tels que nous avons dit, communs à « tous, où personne ne possède rien en propre et <«< ils s'y établiront tous ensemble. Les guerriers « n'auront la propriété de quoi que ce soit, car ils « sont comme autant d'athlètes destinés à combattre <«<et à veiller pour le bien public; ils doivent pour« voir à leur sûreté et à celle de leurs concitoyens « et recevoir de ceux-ci, pour prix de leurs services, <«< ce qui leur est nécessaire chaque année pour leur << nourriture. »

D'autre part au livre V, § 11, Socrate ou plutôt << Platon avait dit : « Les femmes de nos guerriers << seront communes toutes à tous; aucune d'elles « n'habitera en particulier avec aucun d'eux; les << enfants aussi seront communs et les parents ne <«< connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci leurs pa<< rents. » A ces paroles Glaucon, l'interlocuteur de Socrate, reste interdit et il lui dit aussitôt : « Tu << auras beaucoup de peine à faire passer cette loi « et à montrer qu'elle ne prescrit rien que de pos«sible et d'utile. SOCRATE. Je ne crois pas qu'on «me conteste les grands avantages de la commu

nauté des femmes et des enfants, si elle se peut « réaliser; mais je pense qu'on m'en contestera «< surtout la possibilité. — GLAUCON. On pourra très << bien contester l'un et l'autre. >>

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Glaucon insiste alors pour que Socrate s'explique et justifie de suite la loi qu'il a proposée. Mais Socrate, sentant qu'il s'est trop avancé, sollicite pru

demment un délai « Laisse-moi prendre un peu « congé, comme ces esprits oisifs qui ont coutume << de se repaître de leurs rêveries, lorsqu'ils peuvent « se donner carrière. Ces sortes de personnes né

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gligent de chercher par quels moyens elles obtien« dront l'objet de leurs désirs, dans la crainte de <«<se fatiguer en examinant si la chose est possible <«< ou impossible; elles la supposent accomplie, arrangent tout le reste à leur gré et se plaisent à « énumérer les choses qu'elles feront après le suc« cès. Eh bien, je suis effrayé comme elles et je « désire renvoyer à un autre temps l'examen de la possibilité de ce que je propose. Ainsi réglons « d'abord les mariages. Il faudra selon nos principes « rendre les rapports très fréquents entre les hom«mes et les femmes d'élite et très rares entre les « sujets inférieurs de l'un ou de l'autre sexe. Il sera à propos d'instituer des fêtes où nous rassemble<<rons les époux futurs avec leurs épouses. Ces « fêtes seront accompagnées de sacrifices religieux. << Ensuite on fera tirer les époux au sort, mais avec << une telle adresse que les sujets inférieurs accu<< sent la fortune et non les magistrats du lot qui « décidera de leur union. -GLAUCON. Parfaitement. SOCRATE. Quant aux jeunes gens qui se seront « signalés à la guerre, on leur accordera, entre « autres récompenses, des relations plus fréquentes << avec les femmes. Ce sera un prétexte pour que « la plupart des enfants proviennent de ces unions. GLAUCON. Très bien. »

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Voilà comment on pratique le vote et le tirage au sort quand on est dominé par l'esprit de secte ou de

parti. Tout ce passage respire l'improbité politique et le mépris de la personne humaine. Un directeur de haras ne parlerait pas autrement.

Socrate continue en ces termes : « Les enfants << seront remis entre les mains d'hommes ou de << femmes préposés à ce soin. Ils porteront au ber<«< cail commun les enfants des sujets d'élite et les «< confieront à des nourrices. Pour les enfants des « sujets inférieurs, on les cachera dans quelque <<endroit secret. GLAUCON. Si l'on veut conser«ver dans toute sa pureté la race des guerriers.— « SOCRATE. Si les mères ne suffisent pas à les allaiter, << on les fera aider par d'autres. GLAUCON. En « vérité tu rends la maternité bien facile aux fem« mes des guerriers. - SOCRATE. J'ai mes raisons « pour cela. Les femmes donneront des enfants à « l'Etat depuis vingt ans jusqu'à quarante et les << hommes, après avoir passé la première fougue de l'àge, jusqu'à cinquante-cinq ans.

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<< Telle est en elle-même (1), mon cher Glaucon, la «< communauté des femmes et des enfants qu'il s'agit d'établir parmi les gardiens de l'Etat. Il faut <«<maintenant prouver que cette institution s'accorde «avec les autres et qu'elle est à beaucoup près la <«meilleure. Car avons-nous un plus grand mal « pour un Etat que ce qui le divise (2) et en fait <«<plusieurs Etats au lieu d'un seul? Ou avons-nous «< un plus grand bien que ce qui en lie toutes les << parties et le rend un? Si les citoyens disent pres

(1) Livre V, 1, 4.

(2) Ce principe fonde toute la politique de Platon; il en explique toutes les utopies.

« que tous sur les mêmes choses: ceci m'intéresse, << ceci ne m'intéresse pas, l'Etat ne va-t-il pas le << mieux du monde ? L'Etat est alors comme un

seul homme qui souffre tout entier du mal qui << survient à l'un de ses membres. De même l'Etat, << tel que nous le concevons, se réjouira ou s'affligera de ce qui arrivera à un citoyen; et à quoi « attribuer ces heureux effets si ce n'est à la com«munauté des femmes et des enfants entre les guerriers? - GLAUCON. Oui, c'en est la cause << principale. SOCRATE. Et cela est très propre à « les rendre de vrais gardiens; et en outre la chi« cane et les procès n'apparaîtront pas dans un Etat <«< où personne n'aura rien à soi que son corps et

ou tout le reste sera en commun; les citoyens se«ront à l'abri de toutes les discussions qui naissent parmi les hommes à l'occasion de leurs biens, de «<leurs femmes et de leurs enfants. >>

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Appréciation. Platon a donc eu pour idéal politique l'union de tous les citoyens, l'union des cœurs, l'union des volontés. Il ne s'est pas trompé, car dans cette aspiration incessante des peuples à l'empire et à la domination, celui qui s'est le mieux concerté, qui a fait taire les voix des partis, qui s'est créé les alliances les plus redoutables, à la fin a remporté la victoire et a vu marcher à sa suite les nations naguère rebelles. Rome a jadis triomphé par l'union du peuple et du sénat. La Pologne est devenue la proie de ses voisins parce qu'elle était livrée aux ambitions rivales de plusieurs grandes familles. Platon, d'ailleurs, trouvait dans l'histoire de son pays la justification de son principe unie, Athènes avait repoussé les

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