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ait pu être tenté, le conflit est envenimé, l'entente est devenue difficile, les concessions réciproques traitées de reculades humiliantes. Nous avons vu bien des exemples d'une telle situation, causés par une question prématurée d'un député aux Communes et le déchaînement de l'opinion jingoë anglaise.

Si, au contraire, nous avions un traité permanent, qu'arriverait-il? Le différend survient; le Gouvernement n'a qu'à répondre : il y a litige pendant devant la juridiction arbitrale compétente, l'affaire suit son cours. On sait quelle facilité une telle réponse présente dans la politique intérieure; dans la politique extérieure, il en serait de même. On s'entendrait peut-être même avant d'aller devant les arbitres qui n'auraient qu'à sanctionner un accord préalable avantageux aux deux partis.

On fait encore une objection: un traité de ce genre lierait les mains à notre diplomatie, lui enlèverait de son indépendance pour conclure des alliances; il nuirait aux alliances existantes. Aucunement, car ces alliances ne visent pas et ne peuvent pas viser les conflits d'ordre secondaire, que le traité d'arbitrage aurait pour but d'étouffer dans l'œuf.

Sans doute ce ne serait pas une garantie de

paix perpétuelle et un argument en faveur du désarmement général; mais ce serait pour le commerce et le développement des affaires entre les deux pays un précieux stimulant. On aurait alors l'espoir fondé de ne plus voir les intérêts les plus graves compromis par une querelle souvent de minime importance et par les accès périodiques de gallophobie dont sont affectées certaines feuilles publiques de l'autre côté de la Manche.

M. HENRI LORIN

PROFESSEUR DE GÉOGRAPHIE COLONIALE A L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

On doit considérer comme très désirables le maintien, la consolidation des relations amicales rétablies entre la France et l'Angleterre. Un traité permanent d'arbitrage serait-il utile à cette entente cordiale? Je n'en suis pas sûr, et je crois, tout au contraire, qu'un tel traité serait peu conforme à l'intérêt français.

D'abord, entre deux grandes puissances, un traité permanent d'arbitrage serait une nouveauté diplomatique, une expérience pleine d'inconnues; on connaît le sort de l'unique tentative antérieure, celle d'un traité d'arbitrage anglo-américain, arrêté par le Sénat des États

Unis. Nous pouvons signer des conventions de ce genre avec des États petits ou lointains, tels que les républiques Sud-Américaines; mais, entre la France et l'Angleterre, l'impossibilité me paraît absolue d'un traité qui, d'avance et pour tous les cas, nous lierait les mains. Consen- . tirions-nous, par exemple, quelles que fussent l'autorité et l'indépendance de l'arbitre, à lui soumettre nos légitimes prétentions sur telles parties de l'Afrique du Nord? L'Angleterre accepterait-elle un arbitrage qui pourrait la condamner à l'évacuation de l'Égypte ? Comment a-t-elle accueilli les propositions d'arbitrage du président Krüger avant la guerre du Transvaal? Il est trop évident qu'un traité général d'arbitrage, dès que les intérêts primordiaux de l'une des parties entreraient en jeu, serait dénoncé ou inappliqué.

Pour nous, Français, particulièrement, qui avons le respect quasi superstitieux des textes, un traité permanent serait une gêne perpétuelle ; il grèverait nos alliances d'une serrvitude lagement diminutive de leur valeur; il priverait de toute liberté d'action nos Ministres des Affaires étrangères; il énerverait tous les ressorts de notre diplomatie. De plus, il serait inopportun, en France même, de ne pas prendre garde

que notre suffrage universel, qui raisonne gros, ne verra pas assez qu'arbitrage et désarmement ne sont pas synonymes, et comprendra de moins en moins les sacrifices imposés par la défense nationale, à mesure qu'on lui répétera plus assidûment qu'il est aisé de résoudre tous les conflits par l'arbitrage.

Supposons cependant le traité signé quelle garantie avons-nous, et quelle garantie auront les Anglais que les sentences arbitrales seront exécutées ? Dans le droit privé, après les juges et en tant que de besoin, huissiers et gendarmes entrent en scène: un tribunal international d'arbitrage n'a ni huissiers, ni gendarmes, sauf peut-être la garde d'honneur que lui léguera l'ironie supérieure de quelque milliardaire américain. Il n'existera donc, dans l'espèce, d'autre sanction que la bonne volonté de la partie qui aura succombé. Comment penser qu'en matière grave une grande nation acceptera une sentence défavorable, sans aller jusqu'à l'appel suprême, la guerre? Dans un cas pareil, l'arbitrage est inutile; il reculera simplement l'échéance belliqueuse, laissant à la partie la

moins scrupuleuse ou la mieux avisée le loisir de préparer sa mobilisation.

Je combattrais encore le projet d'un arbitrage toujours obligatoire, parce que, entre la France et l'Angleterre, il interposerait en permanence un groupe de tiers or, précisément, ce qu'il faut à nos deux pays, c'est une mutuelle connaissance d'eux-mêmes, plus directe et plus générale; il faut que, de part et d'autre de la Manche, nous discutions abondamment, publiquement, avec une franchise que nous ne devons pas craindre de pousser jusqu'à la brutalité. Autant l'Anglais est incapable de comprendre chez autrui les intérêts qui ne se défendent pas, autant il est frappé d'estime, autant il incline à des égards pour un adversaire qui lui déclare carrément ce qu'il croit son droit. Tâchons donc à organiser, entre la France et l'Angleterre, un actif échange d'articles, de conférences, de visites, telles que celle qui vient de conduire à Londres une centaine de parlementaires français; prenons contact avec nos voisins et convions-les à prendre contact avec nous; de ces relations diffuses, toutes nouvelles entre les deux peuples, naîtra certainement un état d'esprit favorable à la solution pacifique des conflits qui pourraient surgir; et c'est là,

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