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diminuerait les chances de guerre et augmenterait les chances de paix. C'est le plus grand bienfait qu'on puisse concevoir dans l'état actuel de l'Europe.

Je n'espère pas du tout que l'arbitrage puisse supprimer la guerre, car tant que dureront les bases économiques actuelles de la société, la guerre durera. Elle est l'essence de la société capitaliste. Mais, s'il est chimérique d'espérer, dans notre état social, la suppression de toute guerre, c'est un devoir absolu pour tout homme de faire effort pour la rendre aussi rare que possible.

Voilà pourquoi je suis partisan de l'arbitrage international et pourquoi, en particulier, je souhaite vivement un traité de ce genre avec. l'Angleterre.

L'heure est propice, car jamais nous ne retrouverons une disposition plus favorable dans le peuple anglais. Il importe d'en profiter, car telle question, celle par exemple de TerreNeuve, qui en ce moment comporterait une solution amiable, peut, durant une période de tension diplomatique, entraîner un conflit aigu.

Pour moi, ce que je souhaite, c'est un traité d'arbitrage permanent, absolument général, sans exception ni réserve; un traité qui rende,

dans les rapports de la France et de l'Angleterre, l'arbitrage toujours obligatoire, la Cour de la Haye décidant dans tous les cas.

Quand je questionnai à ce sujet M. Delcassé, il me répondit : « Mais c'est impossible! Il y a des litiges, des différends qu'on ne peut régler par cette voie et qui ne se prêtent pas à l'arbritrage, surtout à un traité d'abritrage permanent. » J'ai répondu et je réponds encore: << Tous les conflits peuvent se régler par la guerre. Or, nous ne voulons pas de guerre; c'est l'arbitrage qui doit prendre sa place; donc tous les conflits, qui autrefois se réglaient par la guerre, doivent aujourd'hui se régler par l'arbitrage. >>

C'est pour cela que je préconise un traité d'arbitrage permanent et général, sans aucune réserve, et j'estime que c'est là la politique de demain.

II

LES JURISCONSULTES

M. FRANTZ DESPAGNET

PROFESSEUR DE DROIT INTERNATIONAL A L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

Il s'agit de faire usage, dans les rapports des deux pays, de l'article 19 de la Convention de la Haye, qui rappelle le droit, pour tous les États, de conclure des traités d'arbitrage obligatoire en dehors des stipulations de ladite convention qui organisent le recours facultatif à cette institution. Je suis trop adversaire de la guerre, aussi irrationnelle en soi et antijuridique qu'elle est odieuse dans ses conséquences, pour ne pas appeler de tous mes vœux les solutions pacifiques. Mais n'est-il pas permis de se demander, tout d'abord, s'il ne serait pas plus sage, plus sûr et, en quelque sorte, tout indiqué, d'user en premier lieu, largement et loyalement, du fonctionnement de la Cour permanente de la Haye, toutes les fois que l'occasion s'en présenterait,

avant de prendre des engagements étroits qu'il est peut-être difficile de préciser exactement et plus difficile encore de tenir quand on les a souscrits? L'expérience récente m'inspire de la méfiance, et je voudrais bien croire à un désir sincère, attesté par les faits, de n'employer de part et d'autre que les solutions pacifiques, en usant des moyens pratiques et commodes établis par la Conférence de la Haye, avant de compter sur l'efficacité d'un traité solennel, liant striclement les deux parties pour l'acceptation de l'arbitrage à priori, et qui, quelque bonne foi, que l'on y mette des deux côtés, ne résistera peutêtre pas à l'épreuve d'un conflit véritablement grave. Le mieux, comme il arrive souvent, pourrait être ici l'ennemi du bien. C'est ce dont ne paraissent pas s'être rendu compte ceux qui, animés de généreuses intentions et soucieux d'écarter entre la France et l'Angleterre toute perspective de guerre calamiteuse pour ces deux pays, ont vu dans l'arbitrage rendu permanent, général et obligatoire la sauvegarde des intérêts économiques sur les deux rives de la Manche. Je crains qu'ils aient un peu trop méconnu le caractère juridique et nécessaire de l'arbitrage. Tant que les puissances ne seront pas organisées en une Confédération ou Fédération de l'Huma

nité civilisée régie par des institutions communes tout en gardant chacune leur organisation et leur fonctionnement particuliers, il n'y aura pas et il ne pourra pas y avoir de tribunal international investi d'une compétence précise et d'une autorité absolue pour les cas rentrant dans cette compétence. Dans l'état actuel des choses, il ne peut y avoir que des ententes spontanées des États pour préférer la décision d'un arbitre au recours à la force. Or, cette façon de procéder, la seule possible à l'heure actuelle, constitue le compromis au sens juridique de l'expression : c'est-à-dire l'accord des parties pour s'en remettre à un arbitrage dans une difficulté déterminée ou, tout au plus, pour une catégorie spéciale de difficultés. L'abandon à priori à une juridiction, si je puis ainsi dire, est imposé par la loi aux justiciables; mais l'essence de l'arbitrage est de dériver d'un compromis qui est lui-même l'expression d'un accord sur un point bien précisé et nettement connu de part et d'autre. La clause compromissoire générale, sagement interdite par la loi aux particuliers, équivaudrait à un contrat dont l'objet serait ignoré de part et d'autre : c'est-à-dire à quelque chose d'éminemment irrationnel et même de fort dangereux. Conçoit-on qu'un État, dont l'exis

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