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ventions existantes entre les deux pays ». Lord Lansdowne se déclara, paraît-il, « très frappé » de l'expression et ajouta « qu'il y avait peutêtre là une base d'entente satisfaisante », mais ses déclarations, que nous avons rapportées cidessus, donnèrent à penser: on comprit, au quai d'Orsay, que pour arriver à un résultat, il faudrait se contenter d'un acte modeste et, à la formule primitive, on en substitua une nouvelle on peut ainsi suivre les décolorations de l'idée première1.

La rédaction définitive emprunta à cette deuxième formule les idées qu'elle contenait, - en essayant de les exprimer dans un meilleur style; d'autre part, elle y inséra encore une réserve celle concernant les traités touchant aux intérêts des tierces puissances 2; puis elle

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1. Voici la deuxième formule approuvée par le Conseil des Ministres de France: « Les différends tombant sous l'application de l'article 16 de la Convention pour le réglement pacifique des conflits internationaux, conclue à la Haye le 29 juillet 1899, c'est-à-dire les différends d'ordre juridique et particulièrement ceux qui sont relatifs à des difficultés d'interprétation ou d'appréciation des conventions existantes, qui viendraient à se produire entre les Hautes Puissances contractantes seront, à la condition cependant qu'ils ne touchent ni aux intérêts vitaux, ni à l'honneur des dites Puissances contractantes, et si, d'autre part, ils ne peuvent être résolus par la voie diplomatique, -Soumis à la Cour permanente d'arbitrage, conformèrent aux dispositions de la Convention susmentionnée. » (Dépêche du 16 juillet). 2. Cette rédaction définitive nous est signalée par une dépêche du 7 octobre. On peut voir que dans notre enquête, publiée presque tout entière dans les Questions diplomatiques entre le 16 juillet et le 7 octobre, nous avons insisté sur cette question des tierces puissances.

y ajouta l'article 2 obligeant à un compromis spécial pour chaque espèce et l'article 3 qui limite à cinq ans, sans prolongation prévue, - la durée de cet arrangement'.

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Il est donc aujourd'hui certain que, comme nous l'avons dit, les Anglais, du moins les sphères gouvernantes, n'ont qu'un goût très modéré pour l'arbitrage: malgré leurs désirs de nous être agréables et il semble qu'ils le veuillent actuellement, surtout quand il s'agit d'une manifestation aussi platonique. le Gouvernement Anglais n'a surmonté sa répulsion pour l'arbitrage généralisé que dans la mesure où il pourra se dégager quand il lui plaira; c'est ce qu'une note officieuse publiée par le Times, le 10 octobre 1903, a très bien marqué: « La seule raison d'être de ce bruit (d'un traité général d'arbitrage), c'est qu'il est question d'un simple et bref arrangement tendant à soumettre à l'arbitrage des différends d'un caractère juridique, particulièrement ceux affectant l'interprétation à donner à des traités existants. Il y a même une ou deux restrictions à ce modeste arrangement. On n'aurait recours à l'arbitrage que dans les cas où les méthodes

1. Voyez-en le texte aux Documents annexes, I,

p. 260.

ordinaires de la diplomatie seraient inefficaces... On verra de la sorte que la convention projetée n'a pas grand'chose de commun avec un traité général d'arbitrage applicable à tous les différends sérieux pouvant s'élever entre les deux pays. L'opinion compétente est en général opposée à un traité de ce genre, et il n'en est pas question.» Tel est l'esprit de la convention; et il nous renseigne sur les dispositions de nos voisins d'outre-Manche en cette matière.

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La signature de cet arrangement a cependant une signification qui n'est pas absolument à dédaigner elle est, comme le demandait M. Barclay, le sceau donné à ce que l'on appelle l'entente cordiale, à ce que nous préférons nommer le rapprochement franco-anglais; à ce sujet, nous avons déjà dit nettement notre sentiment: nous nous en réjouissons. Ces relations de bon voisinage sont souhaitables; seulement nous serions très désireux qu'elles aient un effet utile et pratique; et vraiment, si notre diplomatie a été occupée cinq mois durant à négocier ce traité, nous ne pouvons que regretter le temps perdu en paroles vaines et nous espérons qu'elle aura à cœur de mettre à profit les dispositions actuelles pour résoudre les différends sérieux qui subsistent à l'état latent :

on n'a pas su employer à propos la manière forte; on veut aujourd'hui employer la manière douce, nous en sommes heureux; mais, de grâce, qu'on ne laisse pas passer l'heure encore une fois nous sommes en droit de compter sur la bonne volonté et la vigilance de notre diplomatie à Paris comme à Londres et nous attendons autre chose qu'une signature au bas d'un vou platonique : le moindre grain de mil ferait bien mieux notre affaire'...

1. Les idées développées dans ce chapitre sur la valeur et la signification du traité du 14 octobre avaient été esquissées par nous dans la Revue des Questions diplomatiques et coloniales, dès le 1 novembre 1903. Dans le Correspondant (25 octobre 1903) M. Dupuis, dans la Revue politique et parlementaire (10 décembre 1903) M. Abrami, sont arrivés à des conclusions analogues. Dans la Revue générale de Droit international public (1903, p. 799), M. Mérignhac estime que ce traité « a comme orientation générale une portée des plus considérables », mais reconnaît que « les parties, si elles ne l'appliquent pas de bonne foi, lui échapperont

souvent »>.

V

CONCLUSION: L'ARBITRAGE, LE DÉSARMEMENT
ET L'ENTENTE FRANCO-ANGLAISE

A désirer pour le moment limiter non pas l'arbitrage, mais les traités généraux obligeant préventivement à l'arbitrage, à mettre en garde, comme nous venons de le faire, sur leur valeur effective et réelle, nous sentons bien que nous encourrons les reproches de certains pacifiques aussi bien intentionnés que peu réalistes.

Comment, nous diront-ils, mais sans traité général vous n'obtiendrez aucune sauvegarde sérieuse pour l'avenir vous nous parlez d'une institution spéciale qui peut avoir son utilité, mais ne présente point cette garantie que nous estimons trouver dans une convention longuement prévoyante. Dès lors, la paix n'est plus assurée pour toujours. Notre but n'est pas atteint. C'est la faillite de nos espérances.

Hélas! c'est trop exact; mais je crois qu'il vaut mieux l'avouer franchement que jeter des

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