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PRÉFACE

Voici un bon livre, un livre sage et mesuré qu'on me prie de présenter au public. Je le fais bien volontiers. La jeunesse française travaille beaucoup, elle est instruite et indépendante; elle cherche les voies nouvelles; elle ne jure pas dans les paroles du maître. Tant mieux; j'ai toute confiance en elle. On verra.

M. Louis Jaray est un jeune. Il représente avec M. de Caix, avec M. Terrier, avec M. Pinon, avec M. Darcy, avec M. Henry et d'autres, la nouvelle école diplomatique et coloniale. Si je compare ce que nous faisions et ce qu'ils font, je les admire. Ils ont vu les pays dont ils parlent; ils renouvellent les sujets qu'ils traitent; ils nous instruisent et nous font dire à chaque page: si nous avions su!

Cette matière de l'Arbitrage, traitée dans ce livre, est une de celles sur lesquelles on a le plus raisonné et déraisonné. Réunir dans un ouvrage une documentation solide, sincère, complète, un exposé clair, vif, réel, pas de fatras, rien de poncif, et, en plus, l'avis fidèlement reproduit

de la plupart des hommes compétents, voilà certes des mérites rares et qui assurent au livre un succès actuel et une autorité durable.

Les opinions de M. Louis Jaray lui appartiennent en propre. Il a beaucoup lu et beaucoup retenu; mais aussi il a comparé, réfléchi. On ne lui en impose pas. Il dit tranquillement ce qu'il croit le vrai. Il a une façon gentille et douce d'avoir raison qui est très convaincante: lisez ce livre.

Quant au fond, puisque M. Louis Jaray, poursuivant son enquête, me demande mon avis, voici quelques lignes, écrites à la hâte, sous l'impression des événements actuels, — bien courtes pour un si vaste sujet. Mais le préfacier sait bien que le lecteur saute la préface pour en venir au livre lui-même.

La guerre russo-japonaise, éclatant soudainement, a été, pour de bien braves cœurs, une cruelle désillusion.

Et l'arbitrage international? Et ce moyen infaillible d'assurer la paix, de mettre fin à l'horrible fléau? Et la Conférence de la Haye? Et ces traités que les peuples signaient à l'envi? ces engagements d'hier? ces embrassements? Est-ce la faillite de la fraternité des peuples? La lutte pour la vie reste-t-elle la loi suprême de la vie? L'homme sera-t-il toujours un loup pour l'homme?

On croyait avoir inventé un verrou de sûreté : le fusil part tout seul; on s'endormait sur l'oreiller

des effusions internationales: l'oreiller n'est qu'un paquet d'épingles? on prêchait la paix à tout prix, et c'est la guerre quand même.

Certes, le réveil est dur. Il est soudain; il est tragique; il porte loin. Les événements actuels prouvent, tout au moins, que l'humanité n'est pas au bout de son effort vers l'unité et l'homogénéité.

Longtemps encore, les peuples seront dissemblables; il restera, sur la carte morale de l'univers, des dénivellations dangereuses; le rêve d'un vaste apaisement et d'un vaste aplanissement est toujours un rêve.

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Certes, les distances s'abrègent, les marchandises s'échangent, les idées circulent, la propagande se poursuit; mais peut-être que ce qui se propage le plus vite, encore, c'est le mal. De peuple à peuple, la philosophie s'enseigne, aussi la chimie; le commerce exporte des Bibles, aussi des armes. Chaque nation, chaque individu songe d'abord à sa défense, et il faudrait que les unes et les autres fussent bien raisonnables pour ne pas mêler à la défense un peu d'offense.

Les nations se sont constituées lentement, domptant le séculaire obstacle des dissensions privées. Aujourd'hui, ces nationalités, à peine formées en Europe, débordent sur le monde; elles rencontrent en face d'elles ou elles voient naître autour d'elles d'autres nationalités demandant, à leur tour, leur place au soleil; et derrière celles-ci, on en entrevoit déjà d'autres qui remuent dans leurs langes, ou qui surgissent de leurs linceuls.

Pense-t-on qu'on endormira par des mots, qu'on enchaînera par des formules ces êtres qui aspirent à l'être, que l'on comprimera cet avenir qui veut se lever, qu'on refoulera ce passé qui ne veut pas mourir?

Les peuples réclament la paix; mais ils la troublent sans cesse. Demandez le mystère de cette contradiction à la nature qui fait que les âges se suivent, que la turbulente jeunesse pousse la vieillesse vers la tombe; il faut en revenir aux lieux communs et aux truismes du bon Horace!...

Cette double aspiration et cette double illusion de l'humanité sont éternelles. J'ai, sous les yeux, un ouvrage en soie tissé à Lyon au début du siècle, et la décoration porte ces simples mots : « Il nous a donné la paix! » De qui s'agit-il? — De Bonaparte. Il venait d'Arcole et il allait à Austerlitz.

Antique romance que celle de la paix perpétuelle ! Je viens de retrouver dans ma bibliothèque un vieux livre intitulé Le Nouveau Cynée ou discours des occasions et moyens d'établir une paix générale et la liberté du commerce pour tout le monde. C'était, à la fois, «< l'arbitrage» et «< la porte ouverte »>; il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Le livre fut publié en 1623. L'auteur est donc contemporain des plus affreuses horreurs qu'ait vues l'Europe et le monde modernes : celles de la guerre de Trente Ans!

Plus tard, un excellent homme, l'abbé de SaintPierre, ouvrit le chemin aux «< arbitragistes » présents et futurs, avec son projet de Paix perpétuelle

qui occupa longtemps les beaux esprits : il avait, celui-là, pour contemporain, Frédéric II!

Et ce Kant, dont on célèbre le centenaire, n'était pas moins affirmatif dans sa foi humanitaire, tandis qu'autour de lui l'Allemagne était secouée par les guerres de conquête et les guerres de principe, suite de cette Révolution qu'il avait d'ailleurs acclamée !

A aucune époque, l'idéal pacifique et les dispositions qu'il suppose n'ont été plus répandus qu'à l'heure présente. La plupart des esprits qui influent sur la direction des idées et sur la conduite des affaires sont pénétrés des sentiments qui animent les plus zélés fauteurs des diverses <«< Ligues de la paix ».

Aussi, tous les vœux ont-ils suivi, avec confiance, l'initiative prise, il y a cinq ans, par le tsar Nicolas, quand il proposa au monde la réunion d'une Conférence ayant pour objet de déterminer les moyens de sauvegarder la paix. Personne ne discuta la constitution du tribunal permanent, tel qu'il fut décidé par l'accord des puissances.

Si on se plaignit, par la suite, ce fut plutôt de son peu d'emploi: quelques conflits pécuniaires, une difficulté entre les États-Unis d'Amérique et le Mexique, relative à une question de circonscriptions ecclésiastiques. Et c'est tout. Y avait-il donc quelque mauvais vouloir de la part des gou

vernements?

Surgit alors une autre panacée : les traités d'ar

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