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de sa grande ame, et il publia sa Relation sur le Quiétisme.

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Cette fameuse Relation étoit appuyée toute entière sur les manuscrits que madame Guyon lui avoit confiés, sur les lettres pleines de tendresse; de respect et de déférence que Fénélon lui avoit écrites dans un temps où il le regardoit comme son père, son ami, son maître dans la science ecclésiastique, et son supérieur dans l'ordre de la hiérarchie; elle étoit enfin terminée par un commentaire de Bossuet sur cette lettre de Fénélon à madame de Maintenon (1), où il s'étoit ouvert à elle avec tout l'abandon de la confiance et de l'estime. L'évêque de Chartres, persuadé par les motifs de conscience que lui avoit présentés Bossuet, lui avoit remis cette lettre, qu'il tenoit dé madame de Maintenon, et l'avoit autorisé de sa part à en faire usage.

Bossuet avoit lié ces pièces principales par le récit de quelques faits historiques plus ou moins essentiels, plus ou moins indifférens; mais il avoit mis tant d'art dans cet exposé, il avoit trouvé le moyen de répandre tant de charme et d'intérêt dans un sujet si grave et si sérieux, il avoit fait ressortir avec tant de finesse et sous une forme si

(1) Du 2 août 1696. On la trouve aux Pièces justificatives du livre troisième, n.o I.

piquante les singularités, les visions et les prétentions de madame Guyon; il avoit su mêler d'une manière si naturelle à ces scènes ridicules des mouvemens d'une éloquence noble et épiscopale, il y paroissoit déplorer avec tant d'onction l'éblouissement de l'archevêque de Cambrai, il présentoit avec des circonstances si spécieuses le récit de leurs premières discussions; en un mot, cet écrit si court par sa précision, et si plein de choses et de faits par la rapidité avec laquelle ils se succèdent sans mélange et sans confusion, réunissoit, pour le style et pour le raisonnement, tous les genres de mérite qu'on ne pouvoit guère espérer de rencontrer dans une composition de cette nature. Il peut encore être regardé comme un des morceaux les plus accomplis dans le genre polémique.

Rien aussi ne peut être comparé au succès qu'il eut aussitôt qu'il fut devenu public. On peut s'en former une idée une par lettre de madame de Maintenon au cardinal de Noailles, du 29 juin 1698. « Le livre de M. de Meaux fait un grand » fracas ici; on ne parle d'autre chose. Les faits » sont à la portée de tout le monde; les folies de >> madame Guyon divertissent; le livre est court, » vif et bien fait : on se le prête, on se l'arrache, » on le dévore, il réveille la colère du Roi sur ce

» que nous l'avons laissé faire un tel archevêque; il m'en fait de grands reproches; il faut que >> toute la peine de cette affaire tombe sur moi.... » Je ne doute point que M. le duc de Beauvilliers »> ne soit fâché de me perdre; mon amitié pour >> lui étoit très-sincère; je crois qu'il en avoit pour » moi ».

La Cour étoit à Marly lorsque Bossuet y vint présenter lui-même au Roi, aux princes, à madame de Maintenon, et à tous les seigneurs qui s'y trouvoient, sa Relation sur le Quiétisme. Madame de Maintenon vient de nous peindre l'enthousiasme général avec lequel elle fut accueillie ; c'étoit le sujet de tous les entretiens du salon de Marly, et des allusions perfides ou piquantes des courtisans qui cherchoient à plaire aux heureux du jour, ou qui s'abandonnoient au torrent qui les entraînoit. On doit bien croire que cette disposition fut un peu secondée par l'affectation singulière que madame de Maintenon mit à faire elle-même les honneurs du livre de l'évêque de Meaux. Il en étoit sans doute parmi eux qui, en se rappelant l'époque encore bien peu éloignée où madame de Maintenon professoit une amitié si déclarée pour Fénélon, s'étonnoient de voir une femme de tant d'esprit, et toujours si attentive aux égards et aux convenances, distribuer elle-même

avec une satisfaction insultante un écrit où son ancien ami étoit si cruellement déchiré (1). On ignoroit dans le public tous les efforts inutiles que madame de Maintenon avoit tentés pour prévenir les événemens qui avoient amené la disgrâce de Fénélon; tous les ménagemens délicats qu'elle avoit employés pour le désabuser et l'éclairer sur sa situation; toutes les précautions de sagesse et de piété qu'elle avoit prises pour s'éclairer ellemême; on ignoroit qu'elle avoit rempli pendant long-temps tous les devoirs d'une amie fidèle et dévouée, et qu'elle n'avoit fait qu'obéir, dans une question de religion, à l'autorité de ses supérieurs dans l'ordre de la religion, aux avis et aux inspirations des trois évêques de l'Eglise de France, qui y jouissoient de la plus haute réputation de science, de vertu et de piété, et qui avoient été long-temps eux-mêmes les amis et les admirateurs les plus sincères de l'archevêque de Cambrai. On ignoroit tous ces détails, encore secrets, de cette longue et mystérieuse discussion. On se ressouvenoit seulement de la confiance et de la faveur qu'elle avoit montrées pendant tant d'années à Fénélon. On ne voyoit que les témoignages éclatans de l'appui qu'elle prêtoit alors à ses adversaires, et un contraste si extraordinaire et si inex

(1) Voyez les Pièces justificatives du livre troisième, n. VII.

plicable devoit naturellement exciter l'attention et l'étonnement de tous ceux qui en étoient témoins.

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LIV. Consterna

Cet ouvrage de Bossuet arriva à Rome dans le temps où les amis et les défenseurs de l'archevêque tion des amis de Cambrai étoient encore étourdis de tous les de Fénélon. coups qu'on venoit de lui porter; c'étoit au moment où l'abbé Bossuet annonçoit, avec la plus intrépide assurance, des preuves juridiques des. désordres de madame Guyon, et qu'il mêloit à des déclarations publiques des demi-confidences plus perfides encore, dans la vue de faire remonter jusqu'à Fénélon la trace honteuse de ces horribles imputations. La nouvelle de la disgrâce des parens et des amis de Fénélon avoit été un nouveau triomphe pour ses ennemis, et la Relation sur le Quiétisme acheva de consterner et d'attérer tous ceux qui s'intéressoient à lui; on ne savoit plus que croire et que penser. Cette Relation paroissoit dire tant de choses; elle paroissoit en supprimer tant d'autres par égard et par ménagement; Louis XIV et madame de Maintenon donnoient par leurs discours et leur approbation un tel caractère d'authenticité à toutes les accusations; Bossuet s'y étoit exprimé au sujet du père Lacombe et de madame Guyon, d'une manière si sombre et si mystérieuse en disant : Le temps est venu où

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