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» hardiesse du projet, il en approuva l'exécution, » et jugea le livre correct et utile. Il refusa à la » vérité de lui donner son approbation par écrit, » mais ce fut uniquement parce qu'il avoit des » mesures à garder avec Bossuet, dont il avoit promis d'approuver le livre ».

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Fénélon fit plus encore : « le cardinal de » Noailles désira (1) qu'il montrât son ouvrage » à quelque théologien de l'Ecole, qui fût plus >> rigoureux que lui. Fénélon se rendit avec em» pressement à son vœu; il prévint même sa pen»sée, en lui proposant pour examinateur M. Pirot, >> docteur de Sorbonne, homme aussi savant que » judicieux, examinateur habituel de tous les li>>vres et de toutes les thèses de théologie, le même qui avoit travaillé sous M. de Harlay, à la cen» sure de madame Guyon, qui avoit été chargé » de l'interroger, qui étoit peu prévenu pour elle » et pour sa doctrine, qui étoit dévoué depuis » long-temps à Bossuet, et qui alors même étoit » occupé à examiner l'ouvrage que ce prélat » alloit publier.

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L'archevêque de Cambrai se renferma avec » M. Pirot, et ils examinèrent ensemble le livre >> si court des Maximes des Saints, en trois » séances de quatre ou cinq heures chacune,

(1) Réponse à la Relation sur le Quiétisme.

>> M. Pirot avoit un manuscrit devant les yeux, » et Fénélon en tenoit un autre semblable; ils >> lisoient ensemble; M. Pirot arrêtoit Fénélon » sur les moindres difficultés, et Fénélon changeoit sans peine tout ce qu'il vouloit. M. Pirot » finit par déclarer que ce livre étoit tout d'or; » et le cardinal de Noailles écrivit quelques jours » après à Fénélon et à M. Tronson, que M. Pirot » étoit charmé de cet examen ».

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Nous avons entre les mains un manuscrit de M. Pirot lui-même, qui constate la vérité de tous ces faits.

Fénélon avoit également communiqué son ouvrage à M. Tronson, qui l'avoit examiné avec une attention particulière (1), avoit fait des observations judicieuses, et persistoit à penser, avec le cardinal de Noailles, qu'il étoit correct et utile.

Après tant de précautions, après avoir déféré avec tant de docilité à toutes les observations des hommes les plus vertueux et les plus éclairés du clergé de Paris, Fénélon devoit naturellement se croire à l'abri de toute censure. Il eut au moins le droit de penser et de dire: «< Qui est-ce » qui ne voit pas (2) la candeur et la simplicité

(1) Lettre de M. Tronson à l'évêque de Chartres, 24 février 1697. (Manuscrits.)

(2) Réponse à la Relation sur le Quiétisme.

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» avec laquelle je ne craignois que de me trom» per et d'être flatté? Ne choisissois-je pas tous » ceux qui pouvoient être le plus en garde contre moi, et me redresser si je n'établissois pas assez précisément toutes les vérités, et si je ne con» damnois pas avec assez de précautions toutes » les erreurs ? N'étoit-ce pas vouloir être uni de >> sentimens avec M. de Meaux, lors même que » ses préventions, son procédé, et les discours » de ses amis m'avoient mis hors d'état d'agir de >> concert avec lui? Je ne proposois point à » M. l'archevêque de Paris et à M. l'évêque de » Chartres d'adoucir leurs censures contre ma» dame Guyon, ni d'ébranler les trente-quatre » articles. Je ne voulois point les empêcher d'ap» prouver le livre de M. de Meaux ; je voulois seu

lement, pour ma conduite particulière, pren>>dre les conseils des autres, ne pouvant plus >> demander ceux de M. de Meaux. M. l'arche» vêque de Paris et M. l'évêque de Chartres n'a» voient-ils pas paru persuadés par les raisons » de mon mémoire (1), que je pouvois me dis» penser d'approuver son livre? Il est vrai que >> M. de Meaux auroit pu aider, par ses lumières, >> M. l'archevêque de Paris et les autres docteurs » dans l'examen de mon livre; mais aussi il au(1) Du 2 août 1696.

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>> roit pu les embarrasser par ses préventions. Je » n'avois que trop éprouvé combien ce prélat » étoit préoccupé; n'y avoit-il au monde que >> lui seul qui fût capable d'examiner mon livre? >> M. l'archevêque de Paris, M. Tronson, M. Pi» rot, étoient-ils si faciles à séduire, eux qui de» voient être si bien avertis et si précautionnés » contre mes préventions? Quand même ils au>> roient cru avoir besoin de quelques secours, » n'en pouvoient-ils trouver ailleurs qu'en M. de >> Meaux? manquoit-on dans Paris de théologiens » capables de dire tout ce qui est essentiel au dogme sur la charité et sur l'espérance? ce » prélat devoit-il montrer tant de vivacité sur » ce que je consultois les autres sans le consul>>ter? y a-t-il rien de plus libre que la confiance? >> Ah! qu'importe que je fisse les choses sans lui, » pourvu que je ne les fisse pas mal? Supposé » même que je me fusse éloigné de lui mal-à-pro» pos, il devoit ménager ma foiblesse, et être ravi » que les autres me menassent doucement au » but. C'est ainsi qu'on est disposé quand on se » compte pour rien, et qu'on ne recherche que » la vérité et la paix. Tout au contraire, M. de » Meaux regarde comme un outrage que j'ai » voulu lui faire, en consultant les autres sans FENELON. Tom. 11.

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>> le consulter : ne le considérer pas, c'est rom» pre l'unité, c'est faire un scandale, c'est atta» quer les censures, c'est éluder les articles, c'est » défendre madame Guyon ».

Rassuré par toutes les précautions qu'il avoit prises pour donner à l'exposition de ses principes toute l'exactitude qu'on avoit droit de lui demander, Fénélon partit pour Cambrai (1); en partant il prévint le cardinal de Noailles qu'il alloit livrer son ouvrage à l'impression. Ce prélat, loin de s'y opposer, parut seulement désirer «< qu'il ne devînt

public qu'après celui de Bossuet, qu'on étoit » alors occupé d'imprimer ». Fénélon y consentit avec empressement, et recommanda de la manière la plus formelle, le jour même de son départ, à son ami le duc de Chevreuse, qui s'étoit chargé de veiller à l'impression, de ne le publier que de l'aveu du cardinal de Noailles; par malheur, le duc de Chevreuse supposa trop légèrement que Bossuet auroit le crédit d'arrêter la publication du livre de Fénélon, si on la différoit plus long-temps; il se hâta de prévenir le cardinal de Noailles de cet incident inattendu, et le pria de le dégager de la promesse que Fénélon lui avoit faite. Le cardinal ne crut devoir ni y consentir,

(1) Vers le 15 décembre 1696.

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