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» chevêque, ce prélat si pieux. On va découvrir »sa conduite; son bel esprit ne le tirera pas de » cet embarras.

» Voilà l'état des choses que je vous expose >>> simplement; vous en pénétrerez mieux que >> moi toutes les conséquences, et vos amis mêmes » s'en laisseront persuader. Que j'aurois souhaité » vous pouvoir cacher des détails si affligeans! » Mais dans une occasion où il y va de tout pour » vous, ne dois-je pas vous être fidèle jusqu'à la » mort (1). Au milieu de toutes nos craintes et » de ces profondes ténèbres dans lesquelles nous » marchons depuis quelque temps, nous voulons >> toujours être fermes et constans à résister à la » tempête. On nous avertit de toutes parts que » notre cause est désespérée, et je dis avec con>> fiance à notre Seigneur : Domine, salva nos, » perimus; Seigneur, sauvez-nous, nous péris» sons. J'espère pourtant le juste peut être opprimé, mais la vérité ne sauroit l'être. La bonne >> doctrine sera défendue, et pourvu qu'on la sou>> tienne on ne sauroit vous faire tomber. Plus » je vous vois en danger, plus je me hâte de vous » secourir, et je sens réveiller dans mon cœur » tout mon zèle et toute ma tendresse : du moins » je veux prendre part à votre affliction comme (1) 19 juillet 1698.

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» les disciples de Jésus-Christ: allons et mou>> rons avec lui ».

Des motifs aussi impérieux ne permirent plus à Fénélon de se renfermer dans le silence qu'il s'étoit prescrit ; mais il lui étoit plus facile de se justifier que de publier sa justification. Il peint lui-même son embarras à ce sujet, dans une lettre à l'abbé de Chanterac (1). « Vous comprenez bien » qu'après le coup qui a chassé quatre de mes >> amis, je n'ai plus personne pour faire répandre » mes réponses à Paris, supposé même qu'elles » fussent imprimées: on trouve mauvais que j'imprime hors du royaume; au dedans je suis ex-» posé à d'étranges inconvéniens; je n'ose écrire » à personne à Paris, de peur de commettre ceux » à qui j'écrirois. Peut-être même ne pourrois-je plus vous écrire dans la pleine liberté d'un se>> cret entièrement assuré. De votre part, prenez >> toutes sortes de précautions pour ne m'écrire » que ce qui pourroit être surpris. Nous n'avons, » dieu merci, aucun secret qui ne soit très-in» nocent et convenable à des gens qui sont très>> bons catholiques et très-bons français. Au reste, » quoi qu'il arrive, plus vous verrez l'orage croî» tre, plus il faut élever votre voix avec une >> fermeté douce et modeste, pour demander

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(1) Du 18 juillet 1698. (Manuscrits.)

» exacte et prompte justice dans une vexation » aussi longue et aussi manifeste ».

Il ajoutoit dans une autre lettre (1): « Il ne >> faut pas s'étonner des lettres qui viendront de » Paris. On ne peut que me condamner quand » on allègue une suite de faits atroces, ren» dus vraisemblables par des lettres de moi, et » que je ne réponds rien. Vous recevrez cette se» maine ma Réponse à la Relation de M. de » Meaux. Le travail est très-long; je n'ai pu avoir » les ouvriers; il m'a fallu ramasser des pièces et » transcrire exactement mot pour mot de peur >> de chicanes. J'attends encore un éclaircissement » important de Paris : pourvu qu'on attende ma » réponse, on verra si clair sur les faits, que j'es» pérerai justice. Quoi qu'il arrive, j'adorerai

Dieu, et je le bénirai mille et mille fois de m'a>> voir donné en vous un ami selon son cœur, qui >> console le mien de toutes ses croix. Je vous re>> verrai avec le même attendrissement que si vous >> reveniez victorieux ».

Fénélon n'avoit eu connoissance de la fameuse Relation de Bossuet que le 8 juillet; et sa ré

ponse fut composée, imprimée, et étoit parvenue à Rome le 30 août. En l'adressant à l'abbé de Chanterac, il lui écrivoit (2) : « J'ai tâché de

(1) Du 2 août 1698. (Manuscrits. )

(2) Manuscrits.

LX.

Réponse de

Fénélon à la

Relation sur le Quiétisme.

» faire ma Réponse avec sincérité, et vous pour >> rez remarquer que je tire mes principales preu>ves de la Relation même de M. de Meaux. Je >> remercie Dieu de ce qu'il met dans votre cœur » et dans votre bouche pour moi s'il veut que »je succombe, il faut adorer ses desseins une » de mes plus sensibles douleurs, c'est de penser » à l'état violent et amer où votre amitié pour >> moi vous a mis ».

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Ce fut donc dans l'intervalle de cinq semaines, dans un moment où ses adversaires venoient de publier quatre écrits très-importans contre lui (1), dans un temps où son cœur étoit brisé par le sentiment cruel de la disgrâce de ses amis, et par l'inquiétude encore plus cruelle d'entraîner dans sa chute le seul qui lui restoit à la Cour, que Fénélon conserva assez de facultés et d'énergie pour composer ce chef-d'œuvre de discussion et d'éloquence. Aussi rien n'égala l'étonnement et l'admiration dont tous les esprits furent frappés à Paris, à Rome et dans toute l'Europe, en voyant la justification suivre de si près l'accusation. Il y eut telle province en France et telle contrée en Europe, où la Réponse à la Relation sur le Quiétisme parvint en même temps que la Relation

(1) La Lettre de l'archevêque de Paris, une Lettre de Bossuet, la Relation sur le Quiétisme par le même, une Instruction pastorale de l'évêque de Chartres.

elle-même. On ne savoit ce qu'on devoit le plus admirer dans cette Réponse. La clarté dans l'exposition des faits; l'ordre et l'exactitude rétablis dans leur marche naturelle, chaque accusation détruite par des preuves irrésistibles; le mérite si rare de mettre dans la justification plus de précision que n'en offroient les accusations; l'accord encore plus rare de la simplicité, de l'élégance et de la noblesse du style; l'art admirable avec lequel Fénélon avoit su, sans foiblesse et sans mollesse, mettre à l'écart le cardinal de Noailles et l'évêque de Chartres, le Roi et madame de Maintenon, pour ne faire tomber ses traits que sur Bossuet seul qui l'avoit si cruellement offensé :: en un mot, cette profonde indignation d'une ame vertueuse, qui se fait plutôt sentir qu'apercevoir, parce qu'elle conserve encore assez d'empire sur elle-même pour respecter, dans son adversaire, la dignité de son propre caractère: telles sont les foibles nuances qui peuvent offrir une image imparfaite de cette admirable composi

tion.

Fénélon s'étonne d'abord, dans sa réponse, de ce que Bossuet a transporté tout-à-coup, sur des faits, une discussion qui n'avoit été, jusqu'alors, agitée et traitée que sur des points dogmatiques.

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