Page images
PDF
EPUB

qu'il laissa une entière conviction dans tous les esprits trop heureux s'il eût été aussi fondé à triompher sur la doctrine qu'il le fut à démontrer l'innocence de sa conduite et la pureté de ses intentions!

Bossuet avoit prévu que Fénélon ne manqueroit

pas de lui rappeler son empressement à être son consécrateur, et que cet empressement étoit difficile à concilier avec l'opinion qu'il déclaroit avoir, dès ce temps-là, des sentimens erronés du nouvel archevêque de Cambrai. Il avoit en conséquence cherché à prévenir l'effet de cette observation, en comparant son empressement à la sainte obstination des évêques d'Egypte pour consacrer Synésius, évêque de Ptolémaïde, malgré les erreurs que ce célèbre personnage déclaroit hautement professer, et vouloir professer. Fénélon démontra que l'exemple n'étoit pas fort heureusement choisi ; qu'il étoit bien évident que les évêques d'Egypte ne se seroient pas obstinés à élever à l'épiscopat, un homme qui, bien loin d'annoncer la docilité que Bossuet supposoit alors à Fénélon, affectoit de protester qu'il resteroit attaché, jusqu'à la mort, à des opinions et à des habitudes contraires aux premières vérités du christianisme et aux règles les plus essentielles de la discipline ecclésiastique. Fénélon observoit,

ainsi que tous les auteurs qui ont parlé de ce fait singulier, que les évêques ne s'étoient point arrêtés aux frivoles protestations de Synésius, parce qu'elles n'étoient qu'une pieuse ruse, assez usitée dans ce temps de désintéressement et de simplicité, pour échapper au fardeau de l'épiscopat (1).

Bossuet avoit écrit, dans sa Relation sur le Quiétisme: « Oserois-je le dire? Je le puis avec confiance et à la face du soleil, moi, le plus simple de tous les hommes, je veux dire le plus incapable de toute finesse et de toute dissimulation, ai-je pu remuer seul, par d'imperceptibles ressorts, d'un coin de mon cabinet, parmi mes papiers et mes livres, toute la Cour, tout Paris, tout le royaume, toute l'Europe et Rome même, pour exécuter le hardi dessein de perdre, par mon seul crédit, M. l'archevêque de Cambrai »?

Ce mouvement oratoire pouvoit inspirer de l'intérêt aux lecteurs. Bossuet étoit assurément bien éloquent; mais il auroit fallu plus que de l'éloquence pour persuader que, dans le moment où il écrivoit les paroles que nous venons de rapporter, il n'avoit pas en effet, à sa disposition tous les moyens de crédit et de puissance qui lui donnoient de si grands avantages contre (1) Voyez les Pièces justificatives du livre troisième, n.o víli.

l'archevêque de Cambrai alors proscrit, exilé, loin de Paris et de la Cour, persécuté dans ses amis les plus chers et n'ayant à opposer à des adversaires puissans, que sa vertu, son génie et le témoignage de sa conscience. Fénélon n'étoit-il pas en droit de lui répondre, avec une douce ironie (1): « Vous avez recours aux plus vives » figures pour dépeindre une séduction prompte » et presqu'universelle en ma faveur. Vous me >> permettrez de vous dire ce que vous disiez >> contre moi : Quoi, le pourra-t-on croire? Ai-je » réuni d'un coin de mon cabinet, à Cambrai, par » des ressorts imperceptibles, tant de personnes » désintéressées et exemptes de préventions? Que dis-je, exemptes de préventions? Ajoutons, qui » étoient si prévenues contre moi avant d'avoir, >>lu mes écrits. Ai-je pu faire pour mon livre, » moi éloigné, moi contredit, moi, accablé de >> toutes parts, ce que M. de Meaux dit qu'il ne » pouvoit faire lui-même contre ce livre, quoi>>> qu'il fût en autorité, en crédit, en état de se » faire craindre. M. de Meaux a dit (2): « Les » cabales, les factions se remuent; les passions, » les intérêts partagent le monde ». Quel intérêt » peut engager quelqu'un dans ma cause? De

[ocr errors]

(1) Réponse à la Relation sur le Quiétisme.

(2) Relation sur le Quiétisme.

[ocr errors]

» quel côté sont les cabales, les factions? Je suis >> seul et destitué de toute ressource humaine :

[ocr errors]

quiconque regarde un peu son intérêt n'ose plus » me connoître. M. de Meaux continue ainsi (1): » De grands corps, de grandes puissances s'é» meuvent. Où sont-ils ces grands corps? où sont » ces grandes puissances dont la faveur mé sou>>tient? C'est ainsi que ce prélat s'excuse sur ce » que le monde paroît partagé pour un livre » qu'il avoit d'abord dépeint comme abominable >> et incapable de souffrir aucune saine explica>>tion; et c'est dans cette conjoncture qu'il a » jugé à propos de passer de la doctrine aux » faits ».

Voilà ce que répondoit alors Fénélon à ce singulier passage de la Relation de Bossuet.

Que n'auroit-il pas pu ajouter, s'il eût eu connoissance de toutes les pièces que les derniers éditeurs de Bossuet ont jugé à propos de publier (2).

Fénélon termine sa réponse par ce défi remarquable (3): « S'il reste à M. de Meaux quelqu'é» crit ou quelqu'autre preuve à alléguer contre

(1) Relation sur le Quiétisme.

(2) Voyez les tomes XIII, XIV et xv de l'édition des OEuvres de Bossuet. (De dom Déforis.)

(3) Réponse à la Relation sur le Quiétisme.

>> ma personne, je le conjure de n'en point faire » un demi-secret pire qu'une publication abso»lue; je le conjure d'envoyer tout à Rome, afin » qu'il me soit promptement communiqué par » les ordres du Pape. Je ne crains rien, Dieu » merci, de tout ce qui sera communiqué et exa» miné juridiquement; je ne puis être en peine » que des bruits vagues ou des allégations qui >> ne seroient pas approfondies. S'il me croit telle»ment impie et hypocrite, qu'il ne puisse trou» ver son salut et la sûreté de l'Eglise qu'en me » diffamant, il doit employer, non dans des li» belles, mais dans une procédure juridique, » toutes les preuves qu'il aura. Pour moi, je ne » puis m'empêcher de prendre ici à témoin celui » dont les yeux éclairent les plus profondes té» nèbres et devant qui nous paroîtrons bientôt; » il sait, lui qui lit dans mon cœur, que je ne » tiens à aucune personne ni à aucun livre; que » je ne suis attaché qu'à lui et à son Eglise; que » je gémis sans cesse en sa présence pour lui de»mander qu'il ramène la paix et qu'il abrège >> les jours de scandale; qu'il rende les pasteurs >> aux troupeaux ; qu'il les réunisse dans sa mai» son, et qu'il donne autant de bénédictions à » M. de Meaux qu'il m'a donné de croix ».

Il est difficile de se faire une idée de la révo

LXI. Impression

« PreviousContinue »