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duit.

qu'elle pro- lution subite que la Réponse de Fénélon opéra dans tous les esprits. Plus la Relation de Bossuet avoit fait naître de préventions contre l'archevêque de Cambrai, plus on fut étonné de la facilité avec laquelle il avoit dissipé tous les nuages, éclairci tous les faits et montré sa vertu dans tout son éclat.

Bossuet avoit fait valoir, avec tant d'art, sa modération et ses ménagemens pour Fénélon, dans les premiers temps, qu'on sembloit plaindre ce grand homme de n'avoir éprouvé que de l'ingratitude de la part de son ancien disciple. Les témoignages qu'il avoit produits de la déférence filiale que l'abbé de Fénélon avoit promise dans tant de lettres, à un prélat que son antiquité (1) et ses grands talens avoient établi l'oracle de l'Eglise de France, paroissoient convaincre l'archevêque de Cambrai d'une espèce d'hypocrisie, par le contraste de sa conduite actuelle.

L'assurance avec laquelle Bossuet avoit présenté tous les faits de sa Relation, le nom du,

(1) C'est l'expression qu'emploie Bossuet, et que lui seul pouvoit hasarder; elle peint à la fois le caractère auguste de cette figure si noble et si imposante, et ce génie antique et solennel qui sembloit avoir assisté à l'origine des temps, pour révéler les secrets de la Providence, et apprendre à la longue suite des générations les causes premières de tant de révolutions, qui ont changé si souvent la face du monde.

Roi et de madame de Maintenon, qui y étoient invoqués à chaque page, leur avoient donné une sorte d'évidence qui n'admettoit aucune explication et ne permettoit aucun doute. On a vu; par tout ce que nous avons déjà rapporté, que dans ce moment d'une crise si terrible, les amis les plus zélés de Fénélon furent frappés d'une espèce de stupeur : leur triste silence ne laissoit entendre que les cris triomphans de ses ennemis ; ce n'étoit plus que dans les prières, dans les larmes et dans cette pieuse confiance que la religion entretient toujours dans les cœurs vertueux, qu'ils cherchoient les consolations nécessaires pour fixer leur opinion incertaine et soulager leurs cœurs oppressés par la douleur.

Ce fut au milieu de toutes les clameurs de la prévention, au milieu de ce grand scandale de la religion, ce fut dans ce deuil de l'amitié consternée que parut tout-à-coup la Réponse de Fénélon : elle rendit, par une espèce d'enchantement, le bonheur et la sérénité à ceux qui n'avoient pas cessé de croire à la vertu, et la confiance à ceux qui avoient eu la foiblesse d'en douter. Il ne vint à l'idée de personne de blâmer la noble indignation avec laquelle Fénélon avoit élevé sa voix pour repousser des accusations qui auroient dégradé la sainteté de son ministère, si elles avoient

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pu trouver le plus léger fondement dans l'irrégularité de sa conduite.

On sentit qu'écrasé par la puissance et l'autorité, abandonné des hommes dont l'opinion légère étoit égarée par les prestiges de l'éloquence, il avoit le droit de ne se confier qu'au courage de la vertu; qu'il devoit braver toutes les foibles et pusillanimes considérations qui auroient pu arrêter l'essor de sa voix et comprimer les mouvemens d'une ame profondément indignée. On l'avoit forcé de renoncer à cette modération que sa douceur et sa modestie lui avoient prescrite jusqu'alors. Réduit à combattre pour l'honneur, l'accusé devoit se montrer encore plus imposant que l'accusateur, s'il ne vouloit pas rester accablé sous le poids de l'accusation.

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On s'étoit bien attendu que Fénélon, que l'on supposoit embarrassé dans ses moyens de justification, chercheroit à employer toutes les ressources d'un esprit fécond et brillant pour pallier ou pour excuser tout ce qui paroissoit le charger avec tant d'évidence; mais personne n'avoit imaginé, qu'appuyé sur le seul témoignage de sa conscience, il sauroit s'élever à cette hauteur prodigieuse qui lui permit, non-seulement de repousser tous les coups que son adversaire lui avoit portés, mais de le forcer lui-même à se

défendre pour se justifier. Cette révolution inattendue excita autant de surprise dans les esprits qu'elle trouva d'admirateurs.

De cette première impression générale, résultèrent des réflexions plus raisonnées sur les moyens dont Bossuet avoit fait usage dans sa Relation.

Ils étoient fondés sur des actes que la confiance seule lui avoit transmis, et dont la délicatesse sembloit lui interdire l'usage. Il devoit à la seule confiance de madame Guyon tous ces manuscrits dont il avoit employé les extraits à la couvrir de ridicule.

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Les lettres si humbles et si soumises de l'abbé de Fénélon au plus grand évêque de l'Eglise de France avoient été également écrites dans la sécurité de la confiance et de l'amitié. Elles attestoient la candeur et la bonne foi d'un cœur docile et religieux ; elles étoient d'ailleurs conformes aux règles de la discipline ecclésiastique. Fénélon, alors simple prêtre, devoit cette soumission au caractère dont Bossuet étoit revêtu; sans doute Fénélon, devenu archevêque de Cambrai, n'avoit pas le droit de changer d'opinion sur des points de doctrine, mais il prétendoit n'avoir changé ni d'opinion ni de conduite. Il croyoit s'être conformé, dans son livre des Maximes,

aux trente-quatre articles d'Issy, et il accusoit Bossuet de s'être lui-même écarté de ces articles. C'étoit là le point de la controverse, et le jugement du Pape devoit seul décider entre les deux prélats.

Quant à la lettre de Fénélon à madame de Maintenon (1), que Bossuet avoit présentée dans sa Relation comme un mystère d'iniquité, on peut se rappeler que cette lettre avoit été lue en présence de M. de Beauvilliers, de M. de Chevreuse, du cardinal de Noailles, de l'évêque de Chartres et de M. Tronson; que les deux prélats avoient paru approuver toutes les considérations qu'elle renfermoit, et qu'ils les avoient même fait approuver à madame de Maintenon en lui remettant cette lettre, qui ne pouvoit déplaire qu'à Bossuet seul. On avoit autant de peine à comprendre que Bossuet pût établir, sur une pareille lettre, une conspiration effrayante pour la religion et la morale, qu'à excuser madame de Maintenon d'avoir trahi la confiance de Fénélon, en livrant cette lettre à son adversaire (2).

(1) Celle du 2 août 1696.

(2) On ignoroit alors que des considérations puissantes et respectables avoient commandé ce sacrifice à madame de Maintenon. Des autorités auxquelles elle devoit naturellement déférer, Favoient convaincue que l'intérêt de l'Eglise et de la vérité

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