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Des considérations d'un autre genre servoient encore à concilier à Fénélon l'intérêt général : on s'affligeoit que Bossuet eût choisi le moment où il venoit d'obtenir de Louis XIV la disgrâce des parens et des amis de Fénélon, pour essayer de flétrir sa personne même, en le représentant comme le Montan d'une nouvelle Priscille; on s'affligeoit surtout qu'il eût fait concourir cette étrange accusation avec la procédure infamante qu'on étoit alors occupé à diriger contre madame Guyon et le père Lacombe.

Il n'est donc pas étonnant que, plus on avoit été entraîné par la Relation de Bossuet, plus on fut ramené par un sentiment de bienveillance vers Fénélon. Ce flux et ce reflux de l'opinion, ce retour de l'intérêt public contre la première surprise d'un jugement précipité, se font remarquer dans toutes les circonstances où de grandes passions et de grands hommes sont en présence et en opposition.

Mais ce qui parut surtout aux courtisans habiles, le plus grand effort de l'art et du génie, c'étoit l'adresse avec laquelle Fénélon avoit su repousser tous les traits de Bossuet, sans compromettre un

exigeoit une entière manifestation de toutes les circonstances d'une affaire à laquelle elle avoit eu tant de part, et sur laquelle les opinions paroissoient se partager.

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seul de ses amis, sans envelopper MM. de Beauvilliers et de Chevreuse dans les difficultés d'une cause qui sembloit leur être commune, sans prononcer un seul mot qui pût blesser le cardinal de Noailles et l'évêque de Chartres, ou aigrir madame de Maintenon dont il avoit tant à se plaindre, sans offrir à Bossuet le plus léger prétexte de l'accuser auprès du Roi, déjà si exaspéré contre lui. Il faut en effet convenir que cette partie de sa défense n'étoit ni la moins délicate, ni la moins difficile. L'honneur ne permettoit pas à Fénelon de flatter des ennemis puissans, et la prudence lui défendoit de les irriter sans nécessité.

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par

La Réponse de l'archevêque de Cambrai opéra la même révolution à Rome qu'à Paris. On a vu les lettres de l'abbé de Chanteraċ que sa cause y étoit presque désespérée; mais à peine sa réponse y fut-elle parvenue, que tous les esprits revinrent à Fénélon. Un cardinal disoit à l'abbé de Chanterac: « Je l'ai lue avec le même épanche>> ment de joie et de bonheur que j'aurois éprouvé, » si, après avoir vu M. l'archevêque de Cambrai

long-temps plongé et abîmé dans une mer pro» fonde, je le revoyois tout-à-coup revenir heu» reusement à bord, et remonter en sûreté sur » le rivage ».

Mais le plus heureux de tous étoit le vertueux

abbé de Chanterac; plus son excellent cœur avoit souffert, plus il renaissoit au calme et au bonheur. << Ne craignez point que je sois, ni lassé de nos >> embarras, ni affligé de toutes nos peines. Lors

Lettre de l'abbé de Chanterac,

» que je voyois votre innocence sur le point d'être 18 septemb.

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» accablée par votre répugnance à répondre à

» tant d'accusations injustes, et que votre silence » mettoit encore la bonne doctrine en danger » d'être confondue avec les plus grossières erreurs, je vous avoue que je me trouvois quelquefois » dans de terribles ennuis; et là, sous l'ombre » du genièvre (1), je n'étois pas toujours bien le » maître de mes inquiétudes; mais à présent que » la vérité est connue, et que vous avez fait ce » qui dépend de vous pour l'éclaircir et pour la » défendre, tout ce qui pourroit arriver me pa» roîtroit un ordre si particulier de la Providence » sur nous, que je n'oserois ni m'en plaindre à >> Dieu, ni même en être affligé. Je me soumet>> trai tranquillement à son bon plaisir ».

Lorsqu'il alla présenter au Pape la Réponse de

(1) Cùm..... sederet subter unam juniperum, petivit animæ suæ ut morerelur, et ait: Sufficit mihi, Domine, tolle animam meam : neque enim melior sum quàm patres mei. « Elie, dans sa douleur, s'assit sous un genièvre; et souhaitant la mort, >> il dit à Dieu : Seigneur, c'est assez : retirez mon ame de mon » corps, car je ne suis pas meilleur que mes pères ».

Rois, liv. 11, ch. 19, v. 4.

1698.

(Manuscr.)

LXII.

Le cardinal'

de Noailles

de Chartres

désirent de

cher de

nélon.

Fénélon à la Relation de Bossuet, ce pontife, qui l'avoit déjà lue, l'accueillit avec une affection et une bonté encore plus sensibles que dans ses audiences précédentes. Il eut l'occasion de faire la même observation auprès de tous les cardinaux et des prélats les plus distingués de la cour de Rome. On voyoit facilement qu'ils étoient soulagés d'un poids qui oppressoit leur ame; tant la réputation de Fénélon étoit chère à tous les amis de la religion et de l'Eglise ? tant il avoit été nécessaire qu'il manifestât dans sa réponse le courage, l'indignation, la force et l'évidence qui appartiennent à l'innocence outragée ?

Ce retour subit de l'opinion en faveur de Fénélon, parut frapper le cardinal de Noailles et et l'évêque l'évêque de Chartres, et les disposer un moment à se rapprocher de lui; cette malheureuse guerre se rappro- avoit pris une direction entièrement contraire à leurs vues et à leur attente. La véhémence de Bossuet les avoit écartés malgré eux de ces mesures de bienséance et de ce systême de modération auxquels ils auroient voulu rester fidèles. Ils ne pouvoient d'ailleurs ignorer les fâcheux effets qui résultoient d'une controverse si animée entre les membres les plus respectables de l'Eglise de France. Leur piété s'affligeoit de voir leurs noms rappelés sans cesse dans des écrits qui étoient devenus

devenus un sujet de scandale, bien plus que d'édification. Nous avons en effet une lettre de Fénélon (1), qui nous apprend que l'évêque de Chartres lui fit parvenir indirectement quelques idées de conciliation. Cet intermédiaire faisoit connoître à Fénélon & que l'évêque de Chartres » et madame de Maintenon vouloient la paix, >> mais qu'on faisoit les derniers efforts pour la » traverser. Ce ne peut être que M. de Meaux, » ajoutoit Fénélon; car je sais que M. de Paris » est las de cette affaire; qu'il ne cherchoit qu'à » sortir d'intrigue; qu'il vouloit entrer dans des tempéramens, s'unir avec mes amis, et blâmer >> le procédé violent de M. de Meaux. Mettez>> vous à ma place; peut-on refuser de chercher >> des voies de paix? Je l'ai fait pour n'avoir rien » à me reprocher; mais je n'espère point que » M. de Paris résiste à M. de Meaux pour toutes » les démarches où il entreprendra de l'entraî

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>>ner ».

Ge que Fénélon avoit prévu arriva; Bossuet fut instruit de ces premières ouvertures, et prit des mesures pour en prévenir le succès. Il ne pouvoit se dissimuler que le dernier écrit de Fénélon paroissoit lui avoir ramené tous les esprits;

(1) Du 6 septembre 1698. (Manuscrits.)

FENELON. Tom. II.

13

LXIII.

lie ses Remarques sur

Bossuet pu

la réponse de Fénélon.

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