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il croyoit son honneur intéressé à changer cette disposition, et il se flatta d'y parvenir en publiant des Remarques sur la réponse de M. de Cambrai. Il avoit employé près de deux mois à les composer; elles étoient beaucoup plus étendues que sa Relation, et ne pouvoient pas offrir le même intérêt. La Relation réunissoit, comme nous l'avons déjà dit, tout ce qui peut exciter la curiosité, ou même flatter la malignité. La singularité du caractère et des aventures de madame Guyon, et l'enthousiasme qu'on supposoit à ses disciples, offroient, si on peut le dire, le charme d'un roman par les couleurs agréables que Bossuet avoit su donner à ce tableau. La révélation de plusieurs anecdotes piquantes et secrètes, que l'on y apprenoit pour la première fois au public, le caractère et le rang des principaux personnages qui y figuroient, appeloient l'attention des courtisans sur toutes les circonstances d'une affaire où le Roi et madame de Maintenon jouoient un rôle principal.

Le mérite de toutes ces circonstances, si propres à faire disparoître la sécheresse d'une controverse théologique, ne pouvoit pas se retrouver dans les Remarques que publia Bossuet. On y reconnoît toujours son talent si distingué pour la dialectique et la discussion; mais la forme qu'il

avoit donnée à ces Remarques n'admettoit ni ces grands mouvemens oratoires, ni le charme de cet intérêt continu qui se répand sur toute la suite d'un récit historique; et tout le monde sait à quel degré de perfection Bossuet portoit ces deux qualités si brillantes.

Les Remarques n'offroient guère, en grande partie, qu'un tableau à deux colonnes, où il avoit placé la réfutation à côté des allégations. Il y avoit mêlé des accusations très-véhémentes, dont nous rendrons compte en rapportant la Réponse de Fénélon à ces Remarques.

LXIV.

Fénélon ré

pond aux Re

Bossuet.

Si on veut prendre une idée de la célérité avec laquelle Fénélon répondit aux Remarques de Bossuet, il suffira de lire ce fragment de l'une de marques de ses lettres à l'abbé de Chanterac (1): « Pour ma » réponse à l'ouvrage tout récent de M. de Meaux, » elle ne tardera pas à partir. Je ferai demain >> mon extrait; il me faudra trois jours pour le » faire exactement et avec ordre; ensuite il me » faudra six ou sept jours pour la composition; » il en faut quatre ou cinq à l'imprimeur tout au » moins. Comptez donc sur quinze ou seize jours

>>> en tout ».

Ce fut en effet dans un si court espace de temps qu'il composa sa Réponse aux Remarques (1) 30 octobre 1698. (Manuscrits.)

de Bossuet; ouvrage qui acheva de fixer en sa faveur, sur la question des faits, l'heureuse révolution que sa Réponse à la Relation avoit déjà opérée.

On éprouve une impression triste et religieuse en lisant le début de cette réponse.

« Monseigneur, jamais rien ne m'a tant coûté » que ce que je vais faire; vous ne me laissez >> plus aucun moyen pour vous excuser en me » justifiant. La vérité opprimée ne peut plus se » délivrer qu'en dévoilant le fond de votre con» duite; ce n'est plus ni pour attaquer ma doc» trine, ni pour soutenir la vôtre que vous » écrivez, c'est pour me diffamer (1). M. de » Cambrai, dites-vous, a déployé toutes les » adresses de son esprit (Dieu l'a permis), pour » me forcer à mettre en évidence le caractère » de cet auteur. Vous ajoutez : J'ai affaire à » un homme enflé de cette fine éloquence, qui » a des couleurs pour tout, à qui même les » mauvaises causes sont meilleures que les » bonnes, parce qu'elles donnent lieu à des » tours subtils que le monde admire. Où est-ce qu'on a vu cette enflure? Si elle a paru dans

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» mes écrits, je veux m'humilier; si j'ai écrit d'un

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style hautain et emporté, j'en demande par(1) Remarques de Bossuet.

» don à toute l'Eglise ; mais si je n'ai répondu » à des injures que par des raisons, et à des so>> phismes sur mes paroles prises à contre-sens, » que par la simple exposition du fait, le lecteur » pourra croire que ma souplesse n'est pas mieux » prouvée que mon enflure de cœur. Continuons: » Pour moi, je n'en sais pas tant; je ne suis pas » politique...... Simple et innocent théologien, » je crus...... Ailleurs, vous vous rendez le plus » beau de tous les témoignages par une des plus >> grandes figures: Quoi! ma cabale! mes émis» saires! L'oserois-je dire? je le puis avec con» fiance, et à la face du soleil, le plus simple » de tous les hommes..... Pendant que vous vous >> donnez de si belles couleurs, vous ne cessez » de m'en donner d'affreuses; vous vous sentez >>> obligé d'avertir sérieusement les Chrétiens de » se donner de garde d'un orateur, qui, sembla»ble aux rhéteurs de la Grèce, dont Socrate » a si bien montré le caractère, entreprend de » prouver et de nier tout ce qu'il veut, qui peut » faire des procès sur tout, et vous ôter tout-à» coup avec une souplesse inconcevable la vérité » qu'il aura mise devant vos yeux........... Il est aisé » de voir qu'en parlant ainsi, vous pensiez à ces » hommes qui, dans une place publique, se » jouent par leurs tours de souplesse des yeux

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» de la populace. Aussi finissiez-vous en disant : » J'écris ceci pour le peuple, ou, pour parler » nettement, afin que le caractère de M. de » Cambrai étant connu, son éloquence, si Dieu » le permet, n'impose plus à personne..... C'est >> donc jusqu'au peuple que s'étend votre charité, » pour me montrer au doigt comme un impos» teur qui lui tend des piéges; pour vous, vous » vous récriez que vous avez besoin de réputa>>tion dans votre diocèse; tout au contraire, se>> lon vous, le diocèse et la province de Cambrai >> ont besoin de se défier de moi comme d'un impie et d'un hypocrite.... Quelle indécence » que d'entendre dans la maison de Dieu, jus» que dans son sanctuaire, ses principaux mi>>nistres recourir sans cesse à ces déclamations >> vagues qui ne prouvent rien. Votre âge et mon >> infirmité nous feront bientôt comparoître tous » deux devant celui que le crédit ne peut appai» ser, et que l'éloquence ne peut éblouir.

>>

» Ce qui fait ma consolation, c'est que, pen» dant tant d'années où vous m'avez vu de si près » tous les jours, vous n'avez jamais eu à mon

>>

égard rien d'approchant de l'idée que vous vou» lez aujourd'hui donner de moi aux autres. Je » suis ce cher ami, cet ami de toute la vie, que » vous portiez dans vos entrailles. Même après

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