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périssons: Domine, salva nos, perimus; mais » pourtant, avec une confiance entière en sa » bonté, le prier qu'il veille sur son Eglise et sur » les vérités de la religion. Je vous avoue que ma >> foi augmente à la vue de tant de personnes de >> doctrine et de piété qui voient plus loin que >> moi dans notre affaire, qui en connoissent >> mieux tous les dangers, et qui demeurent pour» tant inébranlables dans cette certitude, que >> Dieu ne permettra jamais que le pur amour ni le >>> parfait désintéressement de nous-mêmes soient » confondus avec l'erreur et l'illusion. Vos souf>> frances seront heureuses si elles servent à dé>> fendre la vraie charité. Que j'ai de joie, quand » je pense qu'elle nous tiendra unis du: ant le » temps et l'éternité! Ah! combien de fois me » suis-je dit, dans ces jours de troubles et de » ténèbres : Allons et mourons avec lui »!

On va juger si un pareil langage parloit au cœur de Fénélon. « Je suis attendri, comme je » le dois, mon cher abbé, de toutes vos lettres; » mais quoi qu'il arrive, demeurez en paix; tenez >> ferme en toute douceur et humilité. Si mon su» périeur veut m'humilier, c'est à moi à recevoir » de lui l'humiliation avec joie et docilité. Je suis » bien éloigné de vouloir faire du trouble dans

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Lettre de Fénélon à

T'abbé de Chanterac, 14 janv.1699. (Manuscr.)

février 1699. (Manuscr.)

» térêt personnel. Ma conduite décréditeroit ma

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>> doctrine plus que toutes les censures : il s'agit Idem, 20» de la doctrine et non pas de nous....... Je vous conjure de vous consoler, quelqu'événement >> que Dieu permette, et de compter que je vous >> reverrai avec le même attendrissement de cœur, » soit que Dieu délivre la vérité par vous, soit qu'il veuille nous humilier et conserver sa vérité Idem, 19» en nous humiliant......... Je n'ai de confiance déc. 1698. qu'en Dieu seul; je n'en veux pas même avoir (Manuscr.) >> en vous, quoique vous soyez l'instrument de sa providence. Vous voilà à la veille de la fin de >> tous vos travaux pour moi; votre repos me » donnera quelque consolation; allons jusqu'au »bout en simplicité; marchons au travers des >> ombres de la mort avec celui qui est notre guide. Quoi qu'il arrive, je ne puis qu'adorer, aimer, » bénir celui par qui tout se fera et pour qui » seul je porte la croix. Quoi qu'il arrive, je ne

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puis que le remercier de m'avoir donné en vous

» un si affectionné, si sage et si patient défen

Idem, 23 » seur...... Si Dieu ne veut point se servir de moi janvier 1699.

(Manuscr.) >> dans mon ministère, je ne songerai qu'à l'aimer » le reste de ma vie, n'étant plus en état de tra» vailler à le faire aimer aux autres : je ne serai >> pas moins touché de vos travaux pour moi que » si vous aviez fait approuver mon livre; je n'en

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» aurai pas moins de reconnoissance pour les » peines incroyables que vous souffrez depuis si long-temps. Je n'aurai pas moins d'impatience » de vous revoir, de vous embrasser, de vous con>> sulter et de vous regarder comme la consolation >> de toute ma vie. Mourons dans notre simplicité: » le ciel et la terre passeront, mais les paroles de » Jésus-Christ ne passeront jamais....... Je prie » Dieu de vous conserver comme la prunelle de » mes yeux : quelle joie si je puis vous embrasser, » vous entretenir, vous voir, vous faire promener, » vous aimer et vous révérer de plus en plus; » enfin, vivre et mourir avec vous! »

Idem, 19 nov. 1698. (Manuscr.)

Ce fut à peu près à cette époque que le bruit se répandit que madame Guyon étoit morte à la Bastille (1). La nouvelle en fut portée jusqu'à Cambrai et à Rome. On peut désirer de connoître comment Fénélon s'exprimoit, avec un ami intime, sur un événement qui ne pouvoit lui être indifférent...... « On mande de Paris pas » que madame Guyon est morte à la Bastille; » je dois dire après sa mort, comme pendant sa Chanterac, 16 janv. 1699.

Lettre de Fénélon à

l'abbé de

» vie, que je n'ai jamais rien connu d'elle qui ne (Manuscr.)

» m'ait fort édifié. Fût-elle un démon incarné,

>>

je ne pourrois dire en avoir su que ce qui m'a

(1) La nouvelle étoit fausse : c'étoit une femme qui la servoit qui venoit en effet de mourir à la Bastille.

LXXI. Incertitu

» paru dans le temps: ce seroit une lâcheté >> horrible que de parler ambigument là-dessus » pour me tirer d'oppression. Je n'ai plus rien » à ménager pour elle; la vérité seule me re>> tient >>.

Plus le moment où le Pape alloit prononcer des du Pape. approchoit, plus ce vertueux pontife étoit flottant et indécis. Les pressantes instances du Roi, renouvelées avec tant de force dans ses dernières lettres, alarmoient Innocent XII sur le danger de choquer un prince cher à l'Eglise, et d'introduire un nouveau sujet de division entre le saint Siége et le clergé de France, alors dirigé par les adversaires les plus ardens de l'archevêque de Cambrai. D'un autre côté, la vertu, la piété, les talens et la réputation de Fénélon, sa religieuse soumission à l'Eglise romaine, la pureté de ses intentions, qui ne pouvoient être méconnues après tant d'explications satisfaisantes, replongeoient le Pape dans les plus cruelles anxiétés. Il étoit encore arrêté par le partage d'opinions des examinateurs qui, après un examen de quinze mois, n'avoient pu s'accorder à trouver, dans le livre des Maximes des Saints, les erreurs monstrueuses qu'on lui reprochoit. La confiance particulière qu'Innocent XII avoit en l'opinion personnelle des examinateurs favo

rables à Fénélon, contribuoit encore à entretenir ses incertitudes (1).

Après de longues discussions qui avoient rempli trente-sept séances, les cardinaux étoient enfin parvenus à terminer leur examen. Des trente-huit propositions soumises aux premiers examinateurs, ils s'étoient accordés à croire que vingt-trois étoient répréhensibles; ils s'étoient seulement partagés sur la forme que l'on donneroit aux qualifications. Les uns étoient d'avis de censurer chaque proposition en particulier; les autres jugeoient qu'on devoit se borner à les envelopper sous des qualifications générales. Cette diversité de sentimens fit qu'on s'en remit à ce que le Pape décideroit lui-même; mais il en résultoit que les dispositions plus ou moins rigoureuses du décret dépendroient jusqu'à un certain point des dispositions personnelles des cardinaux à qui le Pape en confieroit la rédaction.

L'avis unanime des cardinaux ne permettoit plus au Pape de soustraire à la censure le livre

(1) Innocent XII donna une preuve remarquable de son estime personnelle pour deux des examinateurs favorables à Fénélon: il les nomma cardinaux quelques mois après qu'il eut prononcé un jugement contraire à l'opinion qu'ils avoient émise. On peut ajouter qu'il nomma aussi cardinal le prélat Sperelli, commissaire du Saint-Office, et qui dans cette occasion s'étoit également montré favorable à la cause de Fénélon.

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