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>> la liaison des sentimens (1), sont téméraires, >> scandaleuses, mal sonnantes, offensives des » oreilles pieuses, pernicieuses dans la pratique » et même erronées respectivement ». Le bref rapportoit ensuite vingt- trois propositions extraites du livre des Maximes des Saints; le Pape les déclaroit soumises respectivement aux qualifications énoncées. Le surplus du bref exprimoit les dispositions d'usage pour les livres condamnés. Non-seulement le Pape et le plus grand nombre des cardinaux s'étoient refusés à comprendre parmi les qualifications celle d'hérétique et même celle d'approchante de l'hérésie (2), mais ils avoient rejeté la clause usitée dans ces sortes de décrets, qui condamne au feu les livres censurés.

Dans le premier moment, Bossuet fut si satisfait d'avoir obtenu la condamnation de l'archevêque de Cambrai ; il avoit observé si sensiblement combien on commençoit à se fatiguer à Versailles de cette interminable discussion, et avec quelle impatience le cardinal de Noailles et l'évêque de Chartres soupiroient après une décision quelconque; Bossuet étoit lui-même si inquiet du

(1) Le même traducteur a ajouté et des maximes, mots qui ne se trouvent pas dans le bref.

(2) Lettre de l'abbé Bossuet, du 17 mars 1699.

succès depuis le projet des canons proposés par le Pape, qu'il s'applaudit d'abord très-sincèrement d'être enfin arrivé au terme de tant de travaux et de sollicitudes (1); mais il laisse ensuite apercevoir dans ses lettres (2), que des réflexions ultérieures l'avoient rendu plus mécontent des ménagemens que le Pape avoit montrés pour l'archevêque de Cambrai dans ce décret; enfin il écrivit à son neveu le 10 avril (1699): « Il est >> inutile de parler davantage du bref; on le rece» vra comme il est, et on le fera valoir du mieux » qu'il sera possible. On trouve ce parti plus con» venable que d'entamer de nouvelles négocia» tions, et de s'exposer à voir peut-être affoiblir » encore le jugement en le faisant réformer ».

On peut se faire une idée de toutes les difficultés que les adversaires de Fénélon avoient eues à remporter la victoire, par quelques expressions de la lettre du père Roslet (3), en envoyant au

cardinal de Noailles le bref de condamnation. Lettre du « Monseigneur, j'envoie à votre Grandeur la peau cardinal de » du lion qui nous a fait tant de peine, et qui a

P. Roslet au

(1) Voyez une lettre de Bossuet, du 30 mars 1699. tom. xv. Edition de dom Déforis.

(2) Voyez celle du 6 avril 1699. Idem.

(3) C'étoit un religieux minime, que le cardinal de Noailles employa à Rome comme son agent dans cette affaire.

» étonné tout le monde par ses rugissemens con- Noailles, 13 mars 1699. »tinuels, durant plus de vingt mois. Le Pape, ? (Manuscr.) >> touché de compassion, vouloit qu'on supprimât » le nom de l'auteur; mais on lui fit entendre » que cela ne se pouvoit pas, puisque l'auteur >> même s'étoit nommé et manifesté à toute l'E>> glise.... Je regarde le succès de l'affaire comme » un miracle de la divine Providence; car, selon » les règles de la sagesse humaine, elle ne devroit >> pas si tôt ni si heureusement finir.... J'ai un peu » de peine de ce que le jugement ne soit pas en » forme de bulle, quoiqu'un bref soit essentiel» lement la même chose. C'est en vérité beau» coup que l'on ait obtenu cette décision: attentis >> circumstantiis ».

L'abbé de Chanterac apprit en ces termes à Fénélon le jugement qui le condamnoit :

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LXXVI.

Lettre de l'abbé de

Chanterac à

Voici, Monseigneur, le temps de mettre en pratique ce que la religion vous a jamais fait comprendre de plus saint dans la parfaite con>>formité à la volonté de Dieu. Voici le temps, mars 1699. » si je l'ose dire, et pour vous et pour ceux qui (Manuscr.) » vous sont unis, d'être obéissant à Jésus-Christ

jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, afin >> que ceux qui vivent ne vivent plus à eux-mêmes. » Vous avez besoin de toute votre piété et de » toute la soumission que vous avez si souvent » promise au Pape dans vos lettres, pour possé

Fénélon, 14

» der votre ame avec patience, en lisant le bref » qu'il vient de donner et de publier contre votre » livre. Il seroit inutile de vous dire ici certaines >> circonstances qui ont accompagné cette déci» sion, et qui ne serviroient qu'à la rendre plus » accablante. Le zèle de quelques particuliers » alloit jusqu'à croire rendre service à Dieu, en » demandant encore d'autres choses plus flétris» santes et d'un plus grand éclat, et le Pape a cru » faire beaucoup pour vous, de leur résister là» dessus. On a cru que je devois le voir, non>> seulement pour l'assurer de votre soumission à » son jugement, mais encore pour d'autres choses » dont je pourrai peut-être vous rendre compte » à la fin de cette lettre. Quelle différence entre » ce qu'il dit en particulier, et ce que son bref fait » entendre au public ! Nous ne saurions être tous » ensemble si affligés, comme il le paroissoit lui » seul, de ce qu'il pouvoit y avoir de pénible » pour vous dans le jugement qu'il venoit de rendre; il en paroissoit changé à n'être pas re>> connoissable. Il me dit plusieurs fois qu'il vous >> connoissoit pour un grand archevêque, très

>>

pieux, très-saint, très - docte, piissimo, san» tissimo, dottissimo: ce sont ses propres termes; >> car il parloit italien. Je ne dois pas vous dire » ici ce que je lui répondis.

>> Tous vos amis, Monseigneur, croient que

» vous devez recevoir ce bref avec une parfaite » soumission, telle que vous l'avez promise, sim

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ple et sincère; ils sont persuadés même, que

plus elle paroîtra simple, plus elle sera agréable » à Dieu et aux hommes. Il semble que notre Sei» gneur vous destine autant à édifier toute l'Eglise par votre soumission, qu'on veut faire » croire qu'elle a été scandalisée par votre livre. » Ce seul exemple donnera une plus grande idée » de la perfection des vertus chrétiennes, que » tout ce que vous auriez pu dire de plus saint » sur la religion. Je n'ai point balancé à dire que » vous rempliriez exactement toutes vos pro» messes, parce que j'ai toujours été pénétré de >> ces paroles si touchantes que je vous ai entendu » dire plusieurs fois : Je ne me compte pour rien, » ni moi, ni mon livre; et je sais combien vous » vous êtes appliqué à regarder dans toute votre >> conduite l'auteur et le consommateur de la foi, » qui par le seul plaisir de rendre gloire à Dieu, »sait supporter sa croix et mépriser la confusion. » Jésus-Christ attaché à la croix, exposé aux » divers jugemens des hommes, et abandonné de » son Père, me paroît aujourd'hui, Monseigneur, » le vrai modèle que la religion vous propose à » imiter, et que le Saint-Esprit veut former en >> vous. C'est principalement dans des états sem

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