Page images
PDF
EPUB

LXXVII.

Résignation de Fénélon.

» blables à celui où la Providence vient de vous » mettre, que le juste vit de la foi, et que nous >> devons être fondés et enracinés dans la charité » de Jésus-Christ. Qui est-ce qui nous en sépa» rera? jamais je n'ai été si étroitement uni avec >> vous pour l'éternité. Je ne vous quitte point, » et je trouve même quelque consolation à de» meurer ferme et tranquille au pied de votre » croix, pour donner cette marque publique de » la confiance que j'ai toujours eue en votre piété ».

[ocr errors]

Fénélon étoit déjà instruit du décret rendu à Rome contre son livre, avant que les lettres de l'abbé de Chanterac lui fussent parvenues. Le comte de Fénélon, son frère, étoit parti en poste dé Paris pour lui en porter la première nouvelle, et il étoit arrivé à Cambrai le 25 mars, jour de l'Annonciation, au moment où l'archevêque alloit monter en chaire pour prêcher sur la solennité du jour. Quelqu'affecté qu'il fût d'une décision si contraire à son attente, la religion conserva un tel empire sur cette ame vertueuse, qu'il se recueillit seulement quelques instans pour changer tout le plan du sermon qu'il avoit préparé; il le tourna sur la parfaite soumission due à l'autorité des supérieurs. La nouvelle de la condamnation de Fénélon avoit déjà rapidement circulé dans la

nombreuse assemblée qui l'écoutoit. Cette admirable présence d'esprit, ce mouvement sublime, ce calme religieux, qui attestoit d'avance la soumission de l'archevêque de Cambrai, et qui en étoit l'engagement solennel, firent couler de tous les yeux des larmes de tendresse, de douleur, de respect et d'admiration.

Lettre du

Fénélon n'hésita pas; il n'avoit pás hésité un seul moment; il ne connoissoit pas encore le dispositif du jugement qui le condamnoit, et il s'occupoit déjà de rédiger l'acte public de sa soumission. C'est ce que nous voyons par la lettre qu'il écrivit à l'abbé de Chanterac, aussitôt qu'il eut appris de Paris que Rome l'avoit condamné. « J'attends » la bulle pour mesurer sur ses paroles celles du 27mars1699. (Manuscr.) » mandement que je ferai. Si je puis l'avoir par » Paris, je ne perdrai pas un seul moment pour » adresser mon acte, et je tâcherai de le faire le » plus simple et le plus court qu'il pourra l'être. » Les usages de France, qu'on me feroit un crime » irrémissible de violer, ne me permettent pas de publier mon mandement de soumission à la bulle, qu'elle n'ait été enregistrée au parlement. » En tout cela, et dans tout mon procédé, je » veux montrer ce qui est sincère en moi, c'est» à-dire un cœur qui n'a aucun ressentiment, un >> sincère respect pour le saint Siége, et une sou

[ocr errors]
[ocr errors]

même, 3 avr.

1699. (Manuscrits.)

» mission sans restriction à son jugement, quelIdem, au » que rigoureux qu'il soit... Mon plan est, 1.o de » donner par pure religion à Rome la plus sin» cère soumission; 2.o de ne songer à en tirer » aucun parti d'aucun côté; 3.o° d'être toujours » dans un désir ardent de ne déplaire plus au » Roi, mais de ne point faire des démarches >> qui devroient lui rendre ma conduite suspecte, » et me rendre indigne des grâces dont il m'a >> comblé; 4.0 de donner dans toutes les occa>>sions toutes les marques possibles d'un cœur » sans fierté ni ressentiment à l'égard de mes » parties, mais sans mettre jamais en doute la » pureté de mes sentimens pour les appaiser, et >> sans souffrir aucune négociation à cet égard. » A cela près, je les préviendrai sans répugnance » de la manière la plus humble et la plus paci>> fique ».

Fénélon, craignant que les délibérations de la Cour pour la réception légale du bref du Pape ne traînassent en longueur, ne voulut point laisser Rome, la France et l'Europe incertaines de sa soumission au décret du saint Siége. Il étoit aussi impatient de la proclamer, que d'autres auroient pu être disposés à l'éluder. Il s'étoit empressé d'écrire au marquis de Barbezieux, secrétaire d'Etat, et de lui envoyer un mémoire

pour

pour le Roi, par lequel il demandoit d'être instruit des intentions précises de Sa Majesté, pour savoir s'il devoit reconnoître le bref par son mandement avant que le parlement l'eût enregistré. La Cour, encore incertaine de la forme qu'elle adopteroit pour l'acceptation d'un bref qui offroit plusieurs irrégularités contraires à nos usages, ne se hâta point de répondre à l'archevêque de Cambrai; et ce ne fut qu'au bout de huit jours que M. de Barbezieux lui écrivit : Qu'en réponse à son mémoire, le Roi lui avoit » ordonné de lui mander qu'il ne pouvoit trop » tôt finir la fâcheuse affaire dont il y étoit » parlé ».

[ocr errors]

Mais Fénélon n'avoit pas même voulu attendre la réponse du ministre, pour faire connoître à Rome la sincérité de ses dispositions. Il s'étoit empressé d'envoyer à l'abbé de Chanterac une lettre pour le Pape, et une copie du mandement qu'il se proposoit de publier; mais il lui recommandoit de ne point les remettre officiellement au Pape, jusqu'à ce qu'il eût reçu l'approbation de la Cour. Il avoit lieu de craindre <«< que ses parties ne le fissent passer pour un » mauvais français, si on savoit qu'il eût reconnu

» un jugement de la Cour de Rome, sans y avoir

Lettre de Fé. nélon à l'ab

bé de Chan

terac, 4 avril

» été autorisé par le Roi ». Il vouloit seulement 1699. (Ma

nuscrits.)

[blocks in formation]

LXXVIII. Lettre de Fénélon à l'évêque d'Ar

ras.

que l'abbé de Chanterac donnât à Rome une connoissance assez publique de ses dispositions, pour que le saint Siége et l'Eglise romaine fussent parfaitement convaincus de sa soumission. Il ajoutoit: « Je crois que vous trouverez le projet du » mandement si simple, si net, si absolu, qu'on >> ne peut équitablement souhaiter qu'il aille plus » loin; je n'y ai même rien mis de tout ce qui » peut justifier ma personne ».

Fénélon profita également d'une occasion assez naturelle qui s'offrit à lui, pour qu'on ne pût avoir en France la plus légère incertitude sur ses intentions.

L'évêque d'Arras (1), son suffragant, lui avoit écrit, dès que le jugement du Pape avoit été connu, une lettre pleine d'intérêt et de respect, dans laquelle il exprimoit avec une espèce de réserve la ferme confiance où il étoit de son entière obéissance. Fénélon lui fit la réponse suivante :

<< Permettez-moi, Monseigneur, de vous dire » grossièrement que vous avez été trop réservé » en gardant le silence. Qui est-ce qui me parlera, sinon vous, qui êtes l'ancien de notre > province ? Il n'y a rien, Monseigneur, que vous » ne me puissiez dire sans aucun ménagement.

(1) Guy de Sève de Rochechouart, nommé à l'évêché d'Arras en 1670, se démit en 1721.

« PreviousContinue »