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paru jusqu'alors le plus affectionner. Louis XIV dut naturellement croire le mal encore plus grand, et Fénélon encore plus coupable qu'on ne le pré

sumoit.

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Il est inutile d'examiner s'il n'eût pas été plus convenable à Bossuet, comme le pensoit Fénélon, de dire simplement au Roi(1): « Je crois voir dans » le livre de M. de Cambrai des choses où il se » trompe dangereusement, et auxquelles je crois qu'il n'a pas fait assez d'attention; mais il at» tend des remarques que je lui ai promises. Nous » éclaircirons avec une amitié cordiale ce qui » pourroit nous diviser, et on ne doit pas crain» dre qu'il refuse d'avoir égard à mes remarques, » si elles sont bien fondées. Un tel discours auroit >> rassuré le Roi, auroit fait taire tous les criti» ques, auroit arrêté le scandale, et préparé un » éclaircissement nécessaire à l'édification de l'E>> glise ».

Ce fut au moment de cette effervescence, que Fénélon revint à Paris, et il eut lieu de reconnoître qu'elle étoit encore supérieure à l'idée qu'il avoit pu s'en former. Ses amis les plus chers paroissoient eux-mêmes accablés sous le poids de la prévention générale. Madame de Maintenon peint cette disposition de tous les esprits dans une (1) Réponse à la Relation sur le Quiétisme.

lettre au cardinal de Noailles (1). « J'ai vu nos >> amis (M. de Beauvilliers et Fénélon); nous » avons été fort embarrassés les uns des autres. >> M. l'archevêque de Cambrai me parla un mo» ment en particulier; il sait le mauvais effet de » son livre, et le défend par des raisons qui me persuadent de plus en plus que Dieu veut hu»milier ce grand esprit, qui a peut-être trop >> compté sur ses propres lumières. Il me dit que » le père de la Chaise lui avoit rendu compte » d'une conversation qu'il avoit eue avec le Roi,

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après laquelle il ne pouvoit se dispenser de lui » parler. Je tombai d'accord de tout; mais par » les dispositions que je vois dans le Roi, M. de >> Cambrai aura peu de satisfaction de cet éclair>> cissement. J'ai parlé aussi un moment à M. le >> duc de Beauvilliers, qui me montra sa peine du » silence du Roi. J'ai fait ce que j'ai pu pour ga»gner qu'on veuille le prévenir; mais on ne veut point, et cette conversation ne sera pas moins » froide que l'autre. Cette opposition n'a pas été inspirée par moi; elle est dans le cœur du Roi » sur toutes les nouveautés ; je vois bien qu'on me l'imputera ; mais je vous dois la vérité, Monsei»gneur, et je vous la dis; du reste, je suis prête » à faire mon devoir dans une occasion si impor(1) Du 21 février 1697.

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» tante. Je n'ai point vu M. de Meaux, quoique j'aie fait quelque diligence pour cela. J'ai pensé

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qu'il veut peut-être pouvoir dire qu'il ne m'a » point vue pendant tout ce vacarme: on dit qu'il >> est grand ».

On a peine à comprendre comment on a pu supposer à Fénélon des vues d'ambition dans l'affaire du quiétisme. On a vu que Louis XIV avoit naturellement peu de goût pour lui. Ses amis les plus chers et les plus dévoués étoient des hommes paisibles, retirés, étrangers à toutes les intrigues. Tous ses moyens d'ambition, s'il en avoit eu, reposoient sur l'amitié de madame de Maintenon, et madame de Maintenon s'étoit ouvertement déclarée contre ses opinions. Les deux hommes (1) qui influoient le plus sur ses sentimens dans ces sortes de matières, étoient encore plus prévenus qu'elle-même contre les idées de spiritualité de Fénélon. Il est donc bien évident, qu'en s'obstinant à suivre la marche qu'il s'étoit tracée, il alloit directement au but contraire à celui qu'on a voulu lui supposer. Les ennemis mêmes de Fénélon lui accordent un esprit supérieur, et lui attribuent toute l'adresse et toute la souplesse d'un habile courtisan. Comment peuvent-ils, d'après une pareille opinion, lui prêter des fautes.

(1) L'évêque de Chartres et le cardinal de Noailles.

de conduite dont l'homme le plus médiocre et le. plus étranger à la science de la Cour, n'auroit jamais pu se rendre coupable?

On est fâché de voir un homme aussi grave et aussi judicieux que le chancelier d'Aguesseau paroître adopter avec trop d'indifférence ces imputations indiscrètes. Nous avons (tome 1.er, page 141) rapporté l'éloge brillant qu'il fait dans les Mémoires de la vie de son père, de l'esprit et des talens de Fénélon; mais il le termine en se rendant l'interprète trop docile des adversaires de l'archevêque de Cambrai.

« Un naturel si heureux (1), dit le chancelier » d'Aguesseau en parlant de Fénélon, fut per» verti comme celui du premier homme par la >> voix d'une femme; et ses talens, sa fortune, sa >>> réputation même, furent sacrifiés, non à l'illu» sion des sens, mais à celle de l'esprit. On vit ce » génie si sublime se borner à devenir le prophète » des mystiques et l'oracle du quiétisme. Ebloui

le premier par l'éclat de ses lumières, et éblouis»sant ensuite les autres, suppléant au défaut de » science par la beauté de son esprit, fertile en » images spécieuses et séduisantes, plutôt qu'en » idées claires et précises, voulant toujours pa>> roître philosophe ou théologien, et n'étant ja(1) OEuvres du chancelier d'Aguesseau, tom. xiii.

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» mais qu'orateur, caractère qu'il a conservé dans » tous les ouvrages qui sont sortis de sa plume » jusqu'à la fin de sa vie; effrayé des excès de >> Molinos que son cœur détestoit, et que la pu» reté de ses mœurs ne désavouoit pas moins; » mais trompé par la prévention de son esprit, qui avoit saisi fortement une fausse idée de per» fection, il forma le dessein hasardeux de con» damner les conséquences, sans abandonner le principe, et il osa se donner à lui-même la mis>>sion de purger le quiétisme de tout ce que cette >>secte avoit d'odieux, de le renfermer dans ses >> véritables bornes, de faire le personnage d'in» terprète, et comme de médiateur entre les mys>> tiques et les autres théologiens, d'apprendre >> aux uns et aux autres la force des mots dont ils » se servoient, et de se rendre par-là comme ar>> bitre suprême de la dévotion.

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» Est-il vrai que, voyant le Roi se tourner en» tièrement du côté de la religion, les personnes » les plus puissantes à la Cour se conformer, au » moins en apparence, au goût du souverain, et » la dévotion devenir l'instrument de la fortune, » il ait eu la pensée de joindre la politique à la » mysticité, et de former, par les liens secrets >> d'un langage mystérieux, une puissante ca» bale, à la tête de laquelle il seroit toujours par

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