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aise, Monseigneur, de voir par les termes dont >> vous vous êtes servi, combien vous l'approuvez. » Trouvez bon, s'il vous plaît, que je prenne » liberté de me recommander à vos prières, et >> que je vous assure de la sincérité du respect >> avec lequel je serai toute ma vie ». Il eût été à désirer que les deux autres prélats eussent prévenu Fénélon par des avances aussi franches et aussi religieuses; ils avoient tous les honneurs de la victoire ; ils étoient en possession du crédit et de la faveur; et, selon les règles de la délicatesse et de la générosité, ils ne pouvoient que s'honorer eux-mêmes en faisant les premiers pas.

Le cardinal de Noailles fut probablement retenu par cette espèce de timidité qui lui étoit naturelle, et peut-être aussi par le souvenir de quelques procédés dont il craignoit que Fénélon n'eût trop fidèlement gardé la mémoire.

Conduite

Bossuet crut beaucoup faire en allant chez LXXXIV. M. de Beauvilliers, peu de jours après l'arrivée de Bossuet. du bref de Rome, lui déclarer « qu'il avoit vu » avec peine une lettre de M. de Cambrai au » nonce, dans laquelle ce prélat l'accusoit de ré

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pandre de tous côtés que sa soumission ne seroit » qu'apparente et extérieure, que cela étoit bien éloigné de sa pensée, et qu'il souhaitoit que » M. de Cambrai en fût instruit, afin de prévenir

>>

Lettre de M. de Beau

nélon, 27

mars 1699.

» ceux qui tâchoient de l'aigrir contre lui ». Comment Bossuet pouvoit-il croire qu'une démarche aussi insignifiante, après des procédés aussi véhémens, pouvoit suffire pour guérir les plaies d'un cœur aussi sensible et aussi délicat que celui de Fénélon?

Cependant M. de Beauvilliers se crut obligé d'en rendre compte à son ami. Nous avons encore sa lettre, écrite de sa main; elle achevera de faire connoître le caractère et l'ame de cet homme respectable.

<< M. de Meaux sort de chez moi, il y a environ villiers à Fé- » une heure; il m'a fait compliment sur la sou» mission que j'avois marquée au décret du Pape (Manuscr.) » sur votre livre, et de la diligence avec laquelle, » suivant qu'il est ordonné aux fidèles, j'en ai >> remis entre les mains de M. l'archevêque de » Paris l'exemplaire que j'avois eu lors de l'impression. Je lui ai répondu que c'étoit la suite » naturelle de la disposition où j'avois toujours » été d'acquiescer pleinement à la décision du » saint Siége, et que je ne faisois en cela que ce

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>>

qui est d'obligation pour tout fidèle, J'espère, » mon cher archevêque, que vous serez et paroî>trez, à la face de toute l'Eglise, dans la même » soumission. (Pardonnez-moi le mot d'espérer; » il ne signifie pas assez, et on doit, je crois,

» pour vous faire justice, mettre qu'on est certain.)
» A
propos de soumission, M. de Meaux m'a
>> chargé de vous mander que, dans une lettre
» que vous avez écrite depuis peu à M. le nonce,
>> vous lui aviez imputé d'avoir répandu que votre
>> soumission ne seroit qu'apparente, et point
» intime, ni sincère. Il dit qu'il n'a jamais tenu à
» qui que ce soit un discours semblable; qu'il se
»le reprocheroit, et auroit tort devant Dieu et
>> devant les hommes d'avoir de vous un pareil
>> sentiment. Comme rien ne l'oblige à cette ex-
plication, surtout à présent que la chose est
» jugée, je ne vois que la vérité seule qui doive
» l'obliger à parler comme il fait, et à s'adres-
» ser à moi pour me prier de vous l'écrire.

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» Je souhaite, mon cher archevêque, que >> vous retrouviez le calme après d'aussi rudes et >> d'aussi longues tempêtes que celles que vous » avez essuyées, et je prie Dieu d'être votre force >> et votre consolation ».

La réponse de Fénélon est remarquable.

LXXXV. Réponse de Fénélon à M.

de Beauvilliers, 29 mars

« J'ai reçu votre lettre, mon bon duc, avec » une extrême consolation; tout ce qui me re» nouvelle les marques de votre amitié adoucit » ma peine. Ce que vous me mandez que vous » avez fait pour obéir au Pape, en vous défai (Manuscr.) » sant de mon livre, m'édifie et ne me surprend

1699.

» pas. Je connois votre attachement à une obéis»sance simple, et je ne pourrois vous reconnoître >> à une autre conduite. Vous savez bien que je » n'ai jamais estimé, ni toléré aucune piété qui » n'a pas ce solide fondement.

» Pour moi, je tâche de porter ma croix avec » humilité et patience. Dieu me fait la grâce » d'être en paix au milieu de l'amertume et de la » douleur. Parmi tant de peines, j'ai une conso»lation peu propre à être connue du monde, » mais bien solide pour ceux qui cherchent Dieu » de bonne foi; c'est que ma conduite est toute » décidée, et que je n'ai plus à délibérer. Il ne me » reste qu'à me soumettre et à me taire; c'est ce » que j'ai toujours désiré. Je n'ai plus qu'à choisir » les termes de ma soumission; les plus courts, » les plus simples, les plus absolus, les plus éloi» gnés de toute restriction, sont ceux que j'aime » davantage. Ma conscience est déchargée dans » celle de mon supérieur en tout ceci, loin de >> regarder mes parties, je ne regarde aucun » homme; je ne vois que Dieu, et je suis content » de ce qu'il fait.

Quelquefois j'ai envie de rire de la crainte » que certaines personnes zélées me témoignent » que je ne pourrai peut-être pas me résoudre à >> une soumission. Quelquefois, je suis impor

» tuné

» tuné de ceux qui m'écrivent de longues exhor>>tations pour m'engager à me soumettre; ils ne

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parlent que de la gloire qui se trouve dans >> cette humiliation, et de l'acte héroïque que je >> ferai. Tout cela me fatigue un peu, et je suis » tenté de dire en moi-même : Qu'ai-je donc fait » à tous ces gens-là pour leur faire penser que » j'aurai tant de peine à préférer l'autorité du » saint Siége à mes foibles lumières, et la paix » de l'Eglise à mon livre? Cependant, je vois bien qu'ils ont raison de supposer en moi beau» coup d'imperfection et de répugnance à faire » un acte humiliant. Ainsi je leur pardonne >> sans peine, et je vais même jusqu'à leur savoir » très-bon gré de leurs craintes et de leurs >> exhortations.

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» Pour ce qui est de la peine dans un acte de >> pleine et absolue soumission, je dois vous dire simplement que je ne la sens point du tout. » L'acte a été dressé dès le lendemain de la

>>

» nouvelle reçue; mais j'ai cru devoir le tenir en » suspens jusqu'à ce que je sache la forme de pro» céder. Les bulles ne sont reconnues en France

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qu'après qu'elles ont passé au parlement. Je ne »sais s'il faut garder la même forme pour un >> bref qui contient un jugement doctrinal contre » un archevêque. Dans le doute, je suspens mon FENELON. Tom. II.

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