Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

» mandement; car personne, quoi qu'on en puisse » dire, n'est plus zélé français que moi. Dès que j'aurai su la règle, mon acte paroîtra. Vous » remarquerez, s'il vous plaît, que je n'ai reçu » le jugement du Pape, ni de Rome, ni de M. le >> nonce; mais enfin, je ne perdrai pas un mo» ment, dès que je serai assuré de ne point blesser » les usages de France; je n'ai de consolation » qu'à obéir, et si on m'avoit connu tel que je » suis à cet égard-là, on n'auroit jamais eu les » vaines alarmes qu'on s'est laissé donner.

» Pour M. l'évêque de Meaux, j'avoue qu'il » m'est impossible de concevoir comment il a pu » vous dire qu'il auroit un reproche à se faire » devant Dieu et devant les hommes, s'il mettoit >> en doute la droiture de mon cœur et la sincé>> rité de ma soumission. A-t-il déjà oublié toutes >> les duplicités affreuses qu'il m'a imputées à la » face de toute l'Eglise, jusque dans son der>> nier imprimé? Quinze jours ne peuvent pas » m'avoir changé en un honnête homme. Mais il » n'est pas question d'approfondir ses paroles, et » j'en laisse l'examen entre Dieu et lui; nous n'a»vons plus rien à démêler entre lui et moi. Je >> prie Dieu pour lui de très-bon cœur, et je lui » souhaite tout ce qu'on peut souhaiter à ceux » que l'on aime selon Dieu ».

On voit en effet, par la correspondance de Bossuet avec son neveu, qu'il auroit été assez disposé à renouveler des combats d'écrits avec Fénélon, et même à attaquer ce mandement comme insuffisant; mais il ne put s'empêcher d'être frappé de l'applaudissement universel avec lequel ce mandement avoit été reçu à Paris, à Rome, dans les pays étrangers, à Versailles même. Il ne pouvoit plus d'ailleurs se flatter du concours du cardinal de Noailles et de l'évêque de Chartres; l'un et l'autre, satisfaits d'être délivrés honorablement d'une controverse à laquelle ils n'avoient pris part qu'avec une répugnance marquée, n'étoient plus disposés à prêter leur nom et leur crédit à Bossuet. Madame de Maintenon elle-même étoit excédée depuis long-temps de cette interminable guerre.

Ce changement de scène se laisse apercevoir dans une lettre de Bossuet à son neveu (1). « Mal

[ocr errors]

gré tous les défauts du mandement de M. de » Cambrai, je crois que Rome doit s'en conten» ter, parce qu'après tout, l'essentiel y est ric-à»ric, et que l'obéissance y est pompeusement » étalée. Il faut d'ailleurs se rendre facile, pour » le bien de la paix, à recevoir les soumissions » de M. de Cambrai, et à finir les affaires; ainsi,

(1) Du 19 avril 1699. Tom. xv, édit. de dom Déforis.

1

LXXXVI.
Rome ap-

>> ces réflexions (1) seront pour vous et pour » M. Phélippeaux seulement »>.

Le Pape et toute l'Eglise romaine attendoient, avec autant d'impatience que d'inquiétude, la résolution que prendroit l'archevêque de Cambrai sur le bref qui le condamnoit. On étoit, à la vérité, rassuré par la piété si connue de Fénélon, et par les promesses solennelles qu'il avoit si souvent données de son obéissance et de sa soumission; mais on ne fut entièrement tranquille et satisfait à Rome, que lorsque l'abbé de Chanterac eut été autorisé à annoncer, au nom de l'archevêque de Cambrai, une adhésion simple et absolue, et une pleine soumission au jugement du saint Siége.

que

Aussitôt l'abbé de Chanterac eut remis au Pape la lettre de Fénélon, et son mandement du 9 avril, Innocent XII s'empressa de les transmettre à la congrégation des cardinaux. Il y joignit également la lettre (2) de remercîment que le Roi lui avoit écrite, au sujet de son bref de condamnation.

Les cardinaux éprouvèrent une sensible consoplaudit à la lation à la lecture de ces lettres. Par un bonheur

(1) Les réflexions critiques qu'il avoit faites dans ses Lettres sur le mandement de Fénélon.

(2) Du 6 avril 1699.

de Fénélon.

bien rare dans les annales de l'Eglise, ils voyoient soumission leur jugement consacré par l'approbation d'un monarque puissant qui l'avoit sollicité avec ardeur, et par l'adhésion d'un archevêque illustre, dont la vertu empruntoit un nouvel éclat de son humble et volontaire soumission. Ceux d'entr'eux qui n'avoient exercé qu'avec douleur un ministère rigoureux, durent s'applaudir d'avoir assez bien auguré des principes religieux de Fénélon, pour présumer qu'il sacrifieroit sans peine, à la paix de l'Eglise, les sentimens qui dominent si souvent la plupart des hommes.

La juste impression que produisirent sur tous les cardinaux la lettre et le mandement de l'archevêque de Cambrai, les porta à voter unanimement que Sa Sainteté seroit invitée à faire une réponse honorable à ce prélat.

Le Pape se fit un sensible plaisir de déférer au vœu des cardinaux, en cherchant à donner à Fénélon les témoignages les plus honorables de sa bienveillance et de sa satisfaction, et il chargea le cardinal Albani de l'exécution de ses ordres. Le cardinal Albani se trouvoit heureux d'avoir à rem+ plir un ministère si conforme à son vœu personnel et à ses sentimens d'estime pour Fénélon, et il prépara au nom du pape un bref rempli des expressions les plus flatteuses,

Mais l'abbé Bossuet, toujours fidèle à la haine, envia cette foible consolation à Fénélon. A peine le jugement avoit-il été rendu, qu'il s'étoit occupé à le frustrer d'un témoignage que la justice réclamoit autant que la bienséance. Il osa même exprimer à son oncle (1) le vœu indécent de faire intervenir le nom du Roi, pour interdire au Pape la liberté d'écrire à un archevêque docile et soumis. Il n'auroit pas même borné ses vues, s'il en eût été le maître, à priver le Pape de la liberté d'adresser à Fénélon quelques expressions vagues et insignifiantes. Il inspiroit à son oncle l'idée de le faire dépouiller de l'archevêché de Cambrai (2). Il est difficile de savoir jusqu'à quels excès son caractère haineux l'auroit porté, s'il eût eu autant de pouvoir que de malveillance.

Mais il réussit au moins à intimider le Pape et les cardinaux par la crainte de déplaire au Roi, et à faire changer les expressions les plus essentielles du bref qu'on se proposoit d'écrire à l'archevêque de Cambrai, et qui étoit déjà arrété et minuté. Ce n'étoit pas tout-à-fait sans raison que l'abbé Bossuet craignoit qu'on n'y eût inséré des expressions qui tendoient à justifier les intentions et les sentimens personnels de Fénélon; car le

[ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »