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mander de leur part à ce prélat, sans les nommer jusqu'à son retour auprès de lui, qu'ils lui conseilloient d'observer le plus profond silence, quelque prétexte que ses adversaires pussent employer ou proposer, pour le forcer de s'expliquer davantage, étant difficile qu'en voulant expliquer sa pensée et ses véritables sentimens, il n'employât quelques expressions dont ils voudroient abuser, pour les interpréter dans un mauvais sens; que le Pape étant content de sa soumission, condamnant tout ce que le Pape avoit condamné, personne n'avoit plus le droit de lui demander ni rétractation, ni explication; que cette fermeté à ne leur plus répondre les déconcerteroit autant qu'elle lui feroit honneur. Tous les cardinaux, à l'exception d'un seul (le cardinal Casanate), chargèrent en même temps l'abbé de Chanterac d'assurer l'archevêque de Cambrai de leur estime, de leur respect, de leur vénération, et de lui déclarer qu'ils se trouveroient heureux de lui en donner des preuves dans toutes les occasions. << On ne peut plus louer qu'ils l'ont fait, écrivoit » l'abbé de Chanterac (1), votre soumission, >> votre mandement, vos lettres au Pape, et toute » votre conduite. L'approbation même de votre » livre n'auroit jamais pu, selon eux, vous attirer (1) 14 mai 1699. (Manuscrits.)

» autant de gloire, ni autant d'estime. Les car>> dinaux m'ont dit là-dessus des choses si fortes » et si particulières, que je dois les réserver à >> nos conversations ».

L'abbé de Chanterac quitta Rome, pour retourner à Cambrai, le 15 mai 1699.

Difficultés

d'acceptation du bref

Cependant, on étoit occupé à Versailles à ré- LXXXVIII. gler la forme dans laquelle on accepteroit en sur la forme France le bref de condamnation du livre des Maximes des Saints. Cette acceptation présen- en France. toit des difficultés assez graves pour le fond et pour la forme. Le gouvernement et le clergé de France vouloient maintenir l'exécution de la célèbre déclaration de 1682. Une conséquence nécessaire de cette déclaration, est de ne regarder un jugement du saint Siége comme une règle de doctrine, qu'autant qu'il est précédé, accompagné ou suivi de l'acceptation du corps épiscopal. Cette acceptation doit même se manifester sous la forme d'un examen, qui atteste que les évêques ont reconnu dans le jugement du Pape la foi et la tradition de leurs églises.

Le bref présentoit également plusieurs défauts de forme; la clause du proprio motu, toujours si odieuse aux parlemens, paroissoit surtout élever un obstacle invincible à l'enregistrement; mais il régnoit alors un concert si parfait entre le gouvernement, le clergé et la magistrature;

Louis XIV savoit tempérer avec tant d'art et de sagesse les magnifiques idées de sa prérogative et l'exercice de l'autorité indéfinie, dont un long usage et le consentement tacite de tous les ordres de l'Etat l'avoient mis en possession, qu'on parvint à concilier avec autant de dignité que de modération, le respect dû au saint Siége, les libertés de l'Eglise gallicane, et les formes de la législation.

On convint d'abord que l'acceptation des évêques précéderoit toute intervention de l'autorité royale, qui ne devoit apparoître que pour assurer l'exécution du jugement canonique des évêques. Il fut ensuite résolu que le Roi autoriseroit les archevêques à se réunir aux évêques de leurs métropoles, pour procéder à l'examen et à l'acceptation du bref. Il eût été peut-être plus régulier et plus conforme à la discipline de l'Eglise de les convoquer en conciles provinciaux ; mais il étoit entré depuis long-temps dans l'esprit du gouvernement de laisser tomber en désuétude ces assemblées vraiment canoniques. Une espèce de tradition ministérielle, fondée sur des inquiétudes ou sur des considérations assez frivoles, s'opposoit à leur restauration. Ce fut l'archevêque de Rheims (1) qui, au défaut des conciles provinciaux, suggéra l'idée des as

(1) Charles-Maurice Letellier.

semblées métropolitaines. Cette forme parut assez régulière, et n'offroit pas les inconvéniens réels ou prétendus des conciles provinciaux.

Le clergé craignit un moment qu'on ne voulût introduire des commissaires du Roi dans ces assemblées ecclésiastiques. Il est vraisemblable que quelque ministre avoit emprunté cette idée des missi dominici, que les empereurs envoyoient quelquefois dans les anciennes assemblées d'évêques; mais ces assemblées étoient alors dans l'usage de délibérer sur des intérêts civils ou politiques, et il étoit naturel que les ministres du souverain y intervinssent pour imprimer à leurs délibérations la sanction de l'autorité royale. LXXXIX. Bossuet rédigea et présenta au Roi, le 18 avril Bossuet con1699, un mémoire (1) qui démontroit qu'il seroit tre le projet d'envoyer aussi irrégulier que peu convenable, que le Roi des commisenvoyât des commissaires dans les assemblées mé- saires du Roi tropolitaines que Sa Majesté se proposoit de blées métro

convoquer.

« Qu'est-ce que ces commissaires y feroient? » disoit Bossuet. Ils n'y seroient pas pour déli» bérer avec nous, ni pour nous aider de leurs >> lumières; ils ne pourroient donc passer que » pour des inspecteurs envoyés par le Roi, afin

(1) Tome xv des OEuvres de Bossuet, pag. 470, édit. de dom Déforis.

Mémoire de

aux assem

politaines.

» de nous contenir, pour ainsi dire, dans notre » devoir, comme si Sa Majesté; se défiant de >> ceux de notre ordre, croyoit devoir nous faire » tous veiller par des laïques, et ne pouvoit s'as>> surer de notre fidélité que par cette précaution, >> qui nous déshonoreroit dans l'esprit des peu» ples, et aviliroit notre ministère dans nos dio» cèses...... Suivant nos maximes, un jugement » du Pape, en matière de foi, ne doit être pu» blié en France qu'après une acceptation solen»> nelle de ce jugement, faite dans une forme » canonique, par les archevêques et évêques du » royaume. Une des conditions essentielles à cette » acceptation, est qu'elle soit entièrement libre. » Passeroit-elle de bonne foi pour l'être, si les >> peuples voyoient des commissaires du Roi dans » nos assemblées »?

Louis XIV étoit habituellement dirigé par un sentiment naturel de raison, et surtout par ce sentiment et ce respect des convenances qui n'est pas la partie la moins importante de l'art de gouverner. Il fut frappé du mémoire de Bossuet, et on renonça à un projet qui n'avoit aucun fondement raisonnable.

Bossuet avoit adopté avec d'autant plus d'empressement l'idée des assemblées métropolitaines, qu'en donnant à l'acceptation du bref du Pape

une

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