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suffragans, l'évêque de Saint-Omer (1), osa se rendre inquisiteur de la conscience de son métropolitain. Tandis que tous les évêques de France applaudissoient par un concert unanime à la soumission de l'archevêque de Cambrai, l'évêque de Saint-Omer prétendit que les termes du mandement de Fénélon n'exprimoient pas un acquiescement intérieur. Fénélon auroit pu sans doute se dispenser de répondre à une interpellation si odieuse. Les évêques de la province n'étoient appelés que pour émettre leur jugement sur le bref du Pape, et régler la forme de son acceptation. La lettre même du Roi, qui enjoignoit à l'archevêque de Cambrai d'assembler ses suffragans, se bornoit à l'inviter à faire en commun ce qu'il avoit déjà fait en particulier; mais une juste délicatesse fit dédaigner à Fénélon tous ces moyens vulgaires de repousser une injuste agression. Il répondit avec calme et dignité à l'évêque de Saint-Omer (2); « qu'il vou>>loit bien recevoir, sans conséquence et par » pure déférence, les avis d'un confrère qu'il >> respectoit sincèrement; reprenant ensuite les

(1) Louis-Alphonse de Valbelle, nommé d'abord à l'évêché d'Aleth, transféré à celui de Saint-Omer en 1684, mort en 1708, à l'âge de 68 ans.

(2) Procès-verbal de l'assemblée métrop. de Cambrai.

» termes de son mandement, il demande avec » candeur si on peut exprimer plus clairement » une soumission plus qu'extérieure et de sim

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ple respect. Qui dit adhérer à un jugement, » dit former un jugement intérieur, par lequel » on se conforme à celui auquel on adhère. Qui » dit condamner, dit encore plus expressément » un jugement intérieur contre le livre con» damné, surtout quand on exclut d'une ma» nière simple et absolue toute ombre de restric» tion. Il ajouta qu'il n'auroit pas cru qu'on pût >> regarder comme équivoques des paroles si précises, ni qu'il y eût lieu de le soupçonner d'ad» hérer à un jugement du saint Siége par une » adhésion purement apparente et par conséquent » feinte, ni de condamner son livre de bouche, » sans le condamner intérieurement par une » sincère docilité pour le saint Siége, ce qui se>> roit un abus indigne de paroles pour se jouer » de toute l'Eglise. Il finit par protester » suffragans, comme à ses confrères, et non » comme à ses juges en ce cas particulier, que » c'étoit de toute l'étendue de son cœur qu'il » avoit renoncé à toute pensée d'expliquer son » livre; qu'il préféroit à ses foibles lumières l'au» torité du saint Siége; qu'il étoit, Dieu merci, » incapable de revenir jamais, sous prétexte de

quelque double sens, pour en éluder indirecte» ment la condamnation; qu'à la vérité, il ne » pouvoit avouer contre sa conscience qu'il eût » jamais cru aucune des erreurs qu'on lui avoit >> imputées; qu'il avoit pensé seulement que son » livre, avec les corrections qu'il avoit cru y. » mettre, ne pouvoit signifier l'erreur ni la fa»voriser; mais qu'il renonçoit à son jugement » pour se conformer à celui du Saint-Père; qu'il » avoit tâché de recevoir, par des paroles hum» bles et pleinement soumises, l'humiliation qui » lui venoit du Saint-Père, et que si sa Sainteté >> trouvoit sa soumission défectueuse, il étoit » prêt à l'augmenter et à la faire telle que le » saint Siége le croiroit à propos ».

On conviendra que l'ami le plus dévoué de Fénélon n'auroit pas pu le servir plus utilement en cette occasion, que le fit l'évêque de SaintOmer par un sentiment de malveillance. L'évêque d'Arras s'empressa de prendre la parole (1) « pour remercier très-humblement son métropolitain de la bonté qu'il avoit eue de vouloir >> bien expliquer de bouche ses sentimens d'une » manière si précise et si cordiale ». Il ajouta à ce témoignage respectueux pour Fénélon quel

(1) Procès-verbal de l'assemblée métropolitaine de Cambrai.

ques réflexions critiques sur le procédé de l'évêque de Saint-Omer.

Dans la séance du lendemain, l'évêque de Saint-Omer, peu satisfait du mauvais succès de

la scène indécente qu'il avoit donnée la veille, voulut s'en venger en demandant, à l'exemple de l'assemblée métropolitaine de Paris, que les écrits publiés pour la défense du livre des Maximes fussent supprimés. Fénélon exposa modestement (1) « qu'il ne pouvoit être d'avis » qu'on demandât la suppression de ses écrits » postérieurs à son livre, quoiqu'il eût con» damné le livre avec une soumission sincère, » absolue et sans restriction, et avec une doci» lité sans réserve; qu'il n'étoit point naturel » qu'il fût plus loin que le bref du Pape, qui » n'avoit ni condamné, ni prohibé ses écrits, » quoiqu'ils fussent connus du Saint-Père et des » cardinaux qui avoient condamné son livre, ni » que la lettre du Roi, qui lui demandoit seule» ment de faire avec ses confrères ce qu'il avoit » fait en son particulier, c'est-à-dire de rece>> voir et accepter la constitution avec le respect » qui lui étoit dû; que d'ailleurs ces écrits con» tenoient beaucoup d'autres choses qui ne re» gardoient nullement le texte condamné, ni le

(1) Procès-verbal de l'assemblée métrop, de Cambrai.

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» jugement porté par la constitution; entr'au» tres une discussion de faits personnels dont il » ne pourroit demander la suppression, sans » s'oter à soi-même les seules pièces qui peuvent » montrer son innocence pour l'honneur de son » ministère; qu'au reste, après cette déclaration » de son sentiment particulier, il étoit prêt à » conclure, comme président, à la pluralité » des voix, au nom de l'assemblée, tout ce qu'elle feroit, même contre son sentiment >> particulier >>.

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Les évêques d'Arras et de Tournai (1), s'étant réunis à l'avis de l'évêque de Saint-Omer, pour demander, à l'exemple de l'assemblée métropolitaine de Paris (la seule dont les délibérations fussent encore connues), que le Roi supprimât les écrits publiés pour la justification du livre. des Maximes, l'archevêque de Cambrai conclut à la même demande comme président, à la pluralité des voix, quoique contre son sentiment.

Si l'on veut se former une idée du jugement que le public porta sur la conduite et les procédés de l'évêque de Saint-Omer envers Fénélon, on peut interroger le témoignage du chan

(1) François de Caillebot de Lasalle, nommé à l'évêché de Tournai en 1690, se démit en 1705.

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