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» l'élévation et l'insinuation de son esprit, pour >> tenir dans sa main les ressorts de la conscience, > et devenir le premier mobile de la Cour, ou dès >> le vivant du Roi même, ou du moins après sa » mort, par le crédit du duc de Bourgogne, qui » avoit un goût infini pour lui? c'est le jugement que bien des gens en ont porté, et qu'il faut re» mettre au souverain scrutateur de l'esprit et >> du cœur humain : tout ce que l'on en peut dire, » est que, si ce jugement ne semble pas téméraire, l'archevêque de Cambrai ne fut pas plus » heureux en politique qu'en théologie, puisque » sa doctrine fut condamnée, et sa fortune dé» truite par les moyens mêmes qu'il avoit pris » pour l'élever ».

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Madame de Maintenon, bien plus à portée de connoître Fénélon par l'habitude de ses relations avec lui, et par la finesse de son tact et de son esprit, en jugeoit bien autrement que le chancelier d'Aguesseau, dans le temps même où elle étoit le plus prévenue contre lui. « Quant au re» tour de M. de Cambrai, écrivoit-elle au car» dinal de Noailles (1), il n'y a que Dieu qui » puisse le faire. Il croit soutenir la religion en » esprit et en vérité; s'il n'étoit pas trompé, il » pourroit revenir par des raisons d'intérêt ; je le

(1) 13 juillet 1697.

» crois prévenu de bonne foi : il n'y a donc plus

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On pourroit être étonné de l'espèce de sévérité avec laquelle le chancelier d'Aguesseau juge les pensées les plus secrètes de Fénélon, si ce respectable magistrat n'eût pas révélé lui-même, sans. s'en apercevoir, les motifs de cette disposition. Tel est au moins l'avantage que l'on peut recueillir des préventions des hommes sincères et vertueux ; n'étant point inspirés par un sentiment d'envie ou d'intérêt, ils ne cherchent point à voiler avec art leurs motifs secrets; ils les laissent pénétrer avec candeur, et ils offrent par leur sincérité même le moyen de se prémunir contre l'autorité que leur vertu donneroit à leur témoignage. Ce fut uniquement la piété filiale qui dicta au chancelier d'Aguesseau quelques-uns de ces jugemens, dont nous ne craindrions pas d'appeler à son équité naturelle. Il a eu soin de nous y inviter, pour ainsi dire, en déposant dans ses mémoires les griefs que son père croyoit avoir contre le duc de Beauvilliers, ami si déclaré de Fénélon. M. d'Aguesseau père étoit persuadé que M. de Beauvilliers avoit contribué à l'écarter de la place de chancelier de France, et il étoit difficile qu'un fils aussi tendre, et pénétré d'un respect si religieux pour son père, ne conservât pas

un peu d'éloignement pour M. de Beauvilliers et ses amis. Ce sentiment, dont le chancelier d'Aguesseau ne se rendoit peut-être pas compte à lui-même, a influé d'une manière plus ou moins sensible sur ce qui a pu lui échapper contre M. de Beauvilliers, Fénélon, l'évêque de Chartres, SaintSulpice, et contre tout ce qui tenoit à cette partie de la Cour et du clergé. Il y a d'ailleurs une observation générale à faire sur tous les mémoires écrits à cette époque. Les malheureuses divisions qui existoient au sujet des affaires de la religion, toujours mêlées alors aux affaires du gouvernement, avoient partagé presque tous les hommes de mérite en deux classes: les élèves des jésuites, et ceux de Port-Royal. Les amis et les ennemis de ces deux écoles, ceux même d'entre eux qui se rendoient mutuellement justice sur tout ce qui appartient à la vertu et à l'honneur, n'étoient pas toujours exempts de cette sorte de prévention qu'on puise nécessairement à l'école de ses premiers instituteurs. L'éducation du chancelier d'Aguesseau étoit l'ouvrage des amis de Port-Royal, et Fénélon devoit la sienne à Saint-Sulpice, plus attaché aux jésuites. A cette époque, les principes de l'instruction qu'on avoit reçue dans sa sa jeunesse, décidoient assez ordinairement l'opinion à laquelle on se conformoit le reste de sa vie sur

les questions théologiques; et malheureusement les opinions sur les personnes prenoient la teinte des opinions sur la doctrine. On est assez disposé à être sévère pour ceux qui ne pensent pas comme nous, et indulgent pour ceux qui professent nos principes (1).

Nous aurons plus d'une occasion de reconnoître la justesse de cette observation dans la suite de l'histoire de Fénélon. Cependant on doit convenir que les nombreuses réclamations qui s'élevèrent dès le premier moment contre son livre des Maximes des Saints, ne parurent tenir à aucun esprit de parti. Ses amis les plus chers et les plus estimables, ceux même qui pensoient comme lui sur d'autres points, ne craignirent pas de lui montrer avec sincérité leur chagrin

(1) Si l'expérience ne nous montroit fréquemment combien ce que l'on appelle l'opinion publique est facile à s'exalter sur les questions les moins accessibles à l'intelligence du plus grand nombre des hommes, on pourroit s'étonner encore aujourd'hui de l'espèce de chaleur avec laquelle les courtisans et les gens du monde prirent parti dans une controverse si abstraite et si étrangère à leurs idées habituelles. Il n'y eut pas jusqu'au célèbre La Bruyère qui ne se crût obligé d'écrire sur une question de théologie; il avoit composé des Dialogues sur le quiétisme, qui ne parurent qu'après sa mort, par les soins de l'abbé Dupin. La Bruyère devoit à Bossuet sa place chez M. le prince de Condé; et une juste admiration, réunie à la reconnoissance, ne lui permettoit pas d'hésiter entre Bossuet et Fénélon.

et

et leur douleur sur une doctrine qui alloit l'exposer aux plus violentes contradictions. Nous avons une lettre de l'abbé Brisacier à Fénélon lui-même, où la vertu, la vérité, la simplicité, le respect, l'amour et la douleur s'expriment dans le langage le plus touchant.

« Je ne me console pas, Monseigneur, de tout » ce que j'entends dire tous les jours à toutes sortes » de gens, de toutes sortes d'états, contre un ou

» vrage qui porte votre nom, et qui, dès que j'en

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» sus le titre et le dessein, aussi bien que la ma- des Saints, 28 fév. 1697.

» nière dont il avoit été rendu public, me jeta

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sur-le-champ, par l'attachement sincère que je >> vous ai voué, dans une extrême consternation;

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prévoyant bien dès-lors les dangereuses suites » où ce livre alloit vous exposer, indépendam» ment même de l'examen des critiques sur la >> doctrine qu'il peut contenir. Ma frayeur n'a point été vaine; je vois chaque jour ce que j'a» vois appréhendé. Comme j'ai passé jusqu'ici » pour un de vos plus fidèles serviteurs, et qu'on » m'a vu, avant la publication de votre livre, vous » défendre de bonne foi sur les soupçons qui se répandoient contre vous, Monseigneur, bien >> des gens croient être en droit de me demander >> comment vous avez pu vous résoudre à écrire » sur un sujet si délicat, et comment vos plus FENELON. Tom. II. 3

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