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sommes bornés à exposer des faits publics, constans et généralement avoués. Nous les avons appuyés sur les témoignages les plus authentiques et les moins suspects de partialité.

Il en résulte sans doute que ni Bossuet, ni Fénélon ne furent tout-à-fait exempts de reproche. On regrette que Fénélon n'ait pas, dans l'origine, fait céder un sentiment exagéré de délicatesse à la paix de l'Eglise, et à l'opinion de ceux de ses collègues qu'il aimoit et qu'il respectoit le plus. On voit avec peine Bossuet mêler des faits et des accusations personnelles à une controverse doctrinale, qui auroit dû rester renfermée dans les bornes d'une discussion dogmatique. Mais doiton s'étonner que des hommes aient des défauts humains? L'homme le plus vertueux est celui qui a le moins d'imperfection; l'homme le plus fort, celui qui a le moins de foiblesse. La raison et la religion exerçoient un empire souverain sur l'ame de Bossuet; et la sévérité naturelle de son caractère le rendoit peu susceptible de ces égards et de ces ménagemens, qu'il regardoit peut-être comme une foiblesse, lorsque les intérêts de la religion lui paroissoient compromis.

Mais combien la réunion des vertus les plus rares, l'élévation de caractère, la pureté des motifs, la supériorité de génie et de talens jettent

d'éclat sur le tableau de ce grand combat entre de tels hommes, et font disparoître les ombres légères qui viennent se mêler aux rayons de leur gloire. L'Eglise, la France, l'Europe entière furent témoins de toutes les circonstances de cette mémorable controverse. Tous les contemporains de Bossuet et de Fénélon avoient lu les écrits si véhémens qu'ils publièrent dans la chaleur de leurs contentions. C'est cependant par le témoi gnage de leur siècle tout entier, que la gloire de Bossuet et de Fénélon est arrivée jusqu'à nous.

L'histoire de la controverse du quiétisme laisse tous les personnages qui y jouent un rôle, avec le même caractère de grandeur que leur siècle et la postérité leur ont imprimé.

Fénélon, séduit par sa vertu, ne voit dans Dieu que Dieu lui-même, et porte jusqu'à l'excès l'amour pur et désintéressé. Trop confiant en la pureté de son cœur, il ne croit pas se tromper, parce qu'il ne veut pas tromper. Il rectifie dans ses défenses ce que le livre des Maximes des Saints peut offrir d'inexact ou d'équivoque; il étonne l'Europe entière par la force, l'éloquence, la clarté, le courage, et surtout la candeur de ses nobles apologies. Bossuet s'étonne luimême d'avoir trouvé pour la première fois un adversaire digne de lutter contre lui. Jamais le

S. Siége n'eut à prononcer entre de tels hommes, entre de tels évêques. Jamais on ne vit tant de vertus, de génie et de talens en action et en opposition. Bossuet paroît devant cet auguste tribunal, environné de tous les souvenirs de cinquante ans de gloire, de travaux et de triomphes; mais il se confie encore plus en la force de la vérité, dont il fut toujours le plus intrépide défenseur. Fénélon a pour lui la renommée de ses vertus, les ressources de son génie, la conscience de la pureté de ses intentions. Toute l'Eglise attend en silence le jugement du premier Pontife. Fénélon est condamné; Fénélon se soumet; sa gloire et sa vertu restent tout entières. Bossuet conserve toujours sa place; il est toujours l'oracle de l'Eglise gallicane.

Louis XIV se montre tel qu'il doit être. Il sait qu'il n'est point juge de la doctrine; mais il doit veiller à ce qu'elle n'éprouve aucune atteinte. Il ne dicte point à l'Eglise une décision; mais il demande qu'elle soit claire et précise, pour prévenir les combats d'opinion qui pourroient troubler la tranquillité de son royaume. S'il s'afflige des lenteurs de la Cour de Rome, s'il réclame avec fermeté un jugement qui puisse mettre un terme à l'agitation des esprits, s'il annonce même la détermination de suppléer au silence du chef

de l'Eglise, en faisant parler l'Eglise gallicane toute entière, il ne fait que remplir les fonctions d'évéque extérieur (1); il fait ce qu'ont toujours fait les empereurs les plus religieux et les plus soumis à l'Eglise. Aussitôt que l'Eglise a prononcé, Louis XIV fait exécuter son jugement avec l'appareil de toutes les formes prescrites par les lois canoniques et les maximes du royaume.

Si de ces considérations personnelles on s'élève à des vues d'un intérêt plus général et plus important, on reconnoîtra que la controverse du quiétisme, qui a pu inquiéter et affliger pendant un court intervalle les amis de la religion et de l'Eglise, est devenue par ses résultats un sujet de triomphe et de consolation pour l'Eglise ellemême; et nous dirons encore avec le chancelier d'Aguesseau (2), « que la vérité n'a jamais rem» porté une victoire si célèbre, ni si complète sur » l'erreur; qu'aucune voix discordante n'a trou» blé ce saint concert, cette heureuse harmonie » de l'Eglise....; (3) que la soumission de l'archevêque de Cambrai fut un exemple, peut-être >> unique dans l'Eglise, d'une querelle de doctrine >> terminée sans retour par un seul jugement,

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(1) Voyez l'Histoire de Bossuet au sujet du Mémoire de Louis XIV au Pape.

(2) Réquisitoire de 1699. — (3) Mémoire du chanc. d'Aguesseau.

FÉN. Tom. II.

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qu'on n a cherché depuis ni à faire rétracter, >> ni à éluder par des distinctions, et que la gloire >>'en est due à Fénélon ».

Qu'on ne s'afflige donc pas d'avoir vu reproduire l'histoire d'une controverse qui a laissé des souvenirs si honorables et des résultats si heureux. Si jamais (ce qu'à Dieu ne plaise), l'Eglise éprouve le malheur de voir renaître des divisions parmi ses premiers pasteurs, sur des points de doctrine, souhaitons de n'y voir jamais en action, ou même en opposition, qu'un évêque aussi vertueux que Fénélon, un digne successeur des Pères de l'Eglise tel que Bossuet, Bossuet, et un roi aussi éminemment roi que Louis XIV; la religion, l'Eglise et l'Etat seront toujours en sûreté et en honneur.

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FIN DU LIVRE TROISIÈME.

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