Page images
PDF
EPUB

dans cette dernière supposition, il étoit décidé à l'attaquer personnellement, et il paroissoit peu redouter l'événement d'un combat qui devoit ajouter un nouveau triomphe à sa gloire. La malignité a supposé à Bossuet des sentimens peu dignes d'une si grande ame, et des vues ultérieures d'ambition, qui ne s'accordoient pas plus avec son âge déjà avancé, qu'avec l'histoire du reste de sa vie.

Il avoit déjà prévenu Fénélon qu'il travailloit à une Instruction sur les Etats d'oraison, et qu'il se proposoit de la soumettre à son examen. Fénélon lui avoit répondu de Cambrai (1): « Quand » vous voudrez, je me rendrai à Meaux et à Ger» migny, pour passer quelques jours auprès de » vous, et pour prendre à votre ouvrage toute » la part que vous voudrez bien m'y donner. Je » serai ravi, non pas d'en augmenter l'autorité, » mais de témoigner publiquement combien je >> révère votre doctrine ».

Madame Guyon n'étoit point encore arrêtée (2), lorsque Fénélon écrivit cette lettre. On a vu, par la lettre de Fénélon à madame de Maintenon (3), combien cet événement, auquel Bossuet avoit eu (1) 18 décembre 1695.

(2) Elle ne le fut que quelques jours après. (3) Du 6 mars 1696, (tom. 1.o, p. 363).

[ocr errors]

tant de part, avoit altéré ses dispositions envers lui. C'est ce qui se fait assez apercevoir dans sa lettre à Bossuet, du 9 mai 1696. «Si vous avez, Monseigneur, quelque chose à m'envoyer, je » vous supplie de ne me l'envoyer pas sitôt. J'ai >> attendu à Cambrai le plus long-temps qu'il m'a » été possible ce que vous m'aviez fait l'honneur » de me promettre. Je suis occupé à la visite de » mon diocèse ; quand elle sera finie, j'irai faire » un tour à Versailles, et je crois qu'il vaut mieux » remettre à ce temps-là ce que vous voulez que » je fasse ».

Bossuet fut sans doute un peu surpris de cette réponse vague et dilatoire; du moins on peut le présumer par une seconde lettre de Fénélon, du 24 mai 1696 : « Si j'avois reçu pendant le carême >>›› ce que vous voulez que je voie, j'aurois été dili» gent à vous en rendre compte. Dès que je serai » débarrassé de ma visite, je partirai pour aller à » Versailles recevoir vos ordres; en attendant, je » vous supplie de croire, Monseigneur, que je » n'ai besoin de rien pour vous respecter avec un >> attachement inviolable. Je serai toujours plein >>> de sincérité pour vous rendre compte de mes pensées, et plein de déférence pour les sou>> mettre aux vôtres. Mais ne soyez point en peine » de moi, Dieu en aura soin. Le lien de la foi

[ocr errors]

» nous tient unis pour la doctrine; et pour le » cœur, je n'y ai que respect, zèle et tendresse » pour vous. Dieu m'est témoin que je ne ments » pas ».

Fénélon, à son retour à Paris, fut assez positivement instruit de l'esprit dans lequel Bossuet avoit composé son ouvrage, pour se décider à ne point y attacher son nom. Il ne put d'ailleurs ignorer que cette approbation ne lui étoit demandée, que pour arracher de lui une véritable rétractation sous un titre spécieux; et Bossuet luimême ne le dissimula pas dans la suite. Fénélon prévit et il dut prévoir que son refus alloit l'engager dans une controverse très-délicate et trèsanimée avec un homme aussi imposant par son génie et ses talens, que par la considération dont il étoit environné. Il sentit qu'il avoit deux objets indispensables à remplir, l'un pour l'intérêt de sa propre réputation, et l'autre pour celui de sa tranquillité.

Il crut donc devoir s'attacher d'abord à ne pas laisser subsister le plus foible nuage sur l'exactitude de sa doctrine et la sincérité de ses sentimens. Ce fut dans cette vue qu'il rédigea une explication très-détaillée des trente-quatre articles d'Issy. Il exposa avec candeur ses maximes sur la charité et sur l'oraison passive. Il soumit

cette explication au cardinal de Noailles et à M. Tronson; l'un et l'autre avoient assisté aux conférences d'Issy; ils connoissoient les véritables principes de la matière, et l'esprit des trentequatre articles qui étoient leur ouvrage. L'un et l'autre approuvèrent l'explication de Fénelon, et n'y remarquèrent aucune erreur. C'est un fait important qui n'a jamais été contesté; et une lettre manuscrite de M. Tronson (1) nous en offre la preuve.

I.

Mémoire de
Fénélon à

Mais il restoit à Fénélon un second objet à remplir, non moins important sous un autre rapport; c'étoit de prémunir l'esprit de madame de madame de Maintenon contre les impressions que Bossuet chercheroit à lui donner, en lui dénonçant le

refus d'approuver son livre comme un indice certain de sa complicité avec madame Guyon : il mit un soin particulier à justifier les motifs de ce refus, en les exposant avec autant de franchise que de fermeté. Il réunit, le 2 août 1696, à Issy, chez M. Tronson, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, le cardinal de Noailles et l'évêque de Chartres, et il leur lut son mémoire, dont nous avons la copie originale. On y remarque en tête ces mots écrits de la main de Fénélon: Mémoire que je fis pour montrer que je ne devois pas ap(1) Du 22 mars 1696.

Maintenon

pour s'excu

ser d'approu

ver le livre de

Bossuet.

prouver le livre de M. de Meaux, et que M. de Paris fit approuver par madame de Maintenon. Ce n'est pas sans intention que nous appuyons sur ces circonstances. On verra que ce mémoire, qu'il adressa à madame de Maintenon, sous la forme d'une lettre, fut la principale pièce dont Bossuet se servit dans sa Relation sur le Quiétisme, pour traduire Fénélon devant le public comme complice, et pour ainsi dire, comme fauteur de tous les égaremens de madame Guyon (1).

Fénélon exposoit dans ce mémoire les considérations impérieuses qui ne lui permettoient pas d'approuver le livre de Bossuet; mais il y prenoit en même temps l'engagement formel de rendre compte au public de sa doctrine sur les matières contestées, et de soumettre cette espèce de profession de foi au jugement du cardinal de Noailles, de M. Tronson et des ecclésiastiques les plus vertueux et les plus éclairés du diocèse de Paris. Le cardinal de Noailles, l'évêque de Chartres, et madame de Maintenon elle-même, parurent con

(1) L'extrême étendue de ce mémoire ne nous a pas permis de l'insérer dans le corps de l'ouvrage ; il auroit suspendu trop long-temps la suite des faits historiques : mais cette pièce est trop importante pour ne pas la mettre sous les yeux des lecteurs; on verra qu'elle se lie nécessairement à la suite des événemens. On la trouvera aux Pièces justificatives du livre troisième, n.o I.

« PreviousContinue »