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XXX. Douleur du

gogne.

>> reusement engagé. On vit couler de ces plumes >> fécondes une foule d'écrits qui divertirent le » public, et affligèrent l'Eglise par la division de >> deux hommes dont l'union lui auroit été aussi

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glorieuse qu'utile, s'ils avoient su tourner contre » ses ennemis les armes qu'ils employoient l'un » contre l'autre ».

Aussitôt que le duc de Bourgogne fut instruit duc de Bour- de l'exil de son précepteur, il courut se jeter aux pieds du Roi son grand-père, et dans la tendre émotion d'un cœur jeune, sensible et vertueux, il offrit pour garant de la doctrine du maître, la pureté des maximes que le disciple avoit puisées à son école. Louis XIV fut touché de ce dévouement naïf et généreux; mais, toujours conduit par ce sentiment du vrai et du juste qui le caractérisoit, il lui répondit : « Mon fils, je ne » suis pas maître de faire de ceci une affaire de >> faveur ; il s'agit de la pureté de la foi, et M. de » Meaux en sait plus sur cette partie que vous >> et moi ». Cependant, malgré toute la prévention qu'on étoit parvenu à lui inspirer, il voulut bien accorder aux larmes du duc de Bourgogne, que Fénélon conservât le titre de précepteur des princes ses petits-fils.

Tous les amis de Fénélon lui restèrent attachés dans sa disgrâce; et on vit alors à Versailles un

e;

XXXI.

Noble pro

liers.

spectacle dont les Cours sont rarement témoins: la vertu proscrite et malheureuse défendue, jusqu'au pied du trône, par l'amitié fidèle et courageuse. Nulle considération de crainte ou de faveur ne put arracher au duc de Beauvilliers le cédé du duc désaveu des nobles sentimens qui l'unissoient à de BeauvilFénélon. En vain Louis XIV, dans un éclaircissement particulier qu'il eut avec lui, voulut lui faire pressentir le sort qui le menaçoit lui-même en vain il lui dit, « qu'étant responsable à Dieu » et à tout son royaume de la foi de M. le duc » de Bourgogne, il ne pouvoit s'empêcher de lui » témoigner son inquiétude sur les liaisons qu'il >> conservoit avec l'archevêque de Cambrai, dont » la doctrine lui étoit suspecte ». M. de Beauvilliers répondit au Roi, « qu'il se rappeloit avoir », engagé Sa Majesté à nommer Fénélon précep>>teur du duc de Bourgogne, et qu'il ne pourroit » jamais se repentir de l'avoir fait; qu'il avoit » toujours été son ami, et qu'il l'étoit encore ; mais » qu'en matière de religion, il pensoit comme » son pasteur, et non pas comme son ami; qu'au » reste Sa Majesté pouvoit écarter toute inquié>>tude sur l'éducation de M. le duc de Bourgogne; >> que loin d'avoir les sentimens des Quiétistes, il >> en ignoroit même le nom ». Il ajouta avec un mélange de calme et d'émotion : « Sire, je suis

» l'ouvrage de Votre Majesté; Votre Majesté m'a » élevé, elle peut m'abattre; dans la volonté de » mon prince, je reconnoîtrai la volonté de Dieu; » je me retirerai de la Cour, Sire, avec le regret » de vous avoir déplu, et avec l'espérance de » mener une vie plus tranquille ». Louis XIV parut satisfait de cette explication.

M. de Beauvilliers fit plus encore. Fénélon, en partant pour Cambrai, écrivit (1) à cet ami si cher et si fidèle, une lettre où se peignoient la candeur de son ame et le noble courage qu'il opposoit au malheur. M. de Beauvilliers fit imprimer sur-le-champ cette lettre, la présenta luimême au Roi, et la répandit à la Cour et dans le public. Les courtisans ne pouvoient comprendre comment on s'exposoit à compromettre son rang, ses honneurs et sa fortune, pour se montrer fidèle à un ami disgrâcié.

Plus M. de Beauvilliers montroit de générosité pour défendre son ami malheureux, plus Fénélon sembloit s'opposer lui-même à cet excès de délicatesse. Il se trouvoit bien plus fort lorsqu'il n'avoit à combattre que ses adversaires ; mais tout son courage expiroit à la pensée et à la crainte d'associer à ses malheurs le plus vertueux de ses

amis.

(1) Le 3 août 1697.

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« On ne peut être plus sensible que je le suis,

XXXII.
Lettre de

≫ mon bon duc, à la peine que je vous cause. Le Fénelon à

» seul désir de vous en soulager suffiroit pour

M. de Beauvilliers,

» me faire faire les choses les plus amères et les août 1697.

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plus humiliantes. Mais vous savez qu'on a refusé (Manuscr.)

» de me laisser expliquer, et on veut absolument » m'imputer des erreurs que je déteste autant » que ceux qui me les imputent.... Mes princi»paux adversaires crient (1), me déchirent, et >> abusent de l'autorité qu'ils ont. J'ai affaire à » des gens passionnés, et à quelques personnes » de bonne intention qui se sont livrées à ceux » qui agissent par passion. Je tâcherai de faire » ici mon devoir, quoique les opprobres dont » on m'a couvert troublent tous les biens que je » pourrois faire dans un pays où les besoins sont » infinis. Je ne respire, Dieu merci, que sincérité » et soumission sans réserve; après avoir repré» senté au Pape toutes mes raisons, je n'aurai » qu'à me taire et à obéir. On ne me verra pas, » comme d'autres l'ont fait, chercher des distinc» tions pour éluder les censures de Rome. Nous » n'aurions pas eu besoin d'y recourir, si on avoit » agi avec moi avec l'équité, la bonne foi et la » charité chrétienne qu'on doit à un confrère. » Je prie Dieu qu'il me détrompe, si je me suis

(1) 26 août.

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>> trompé; et si je ne le suis pas, qu'il détrompe » ceux qui se sont trop confiés à des personnes passionnées. Ce qui m'afflige le plus, est de déplaire au Roi, et de vous exposer à ne plus » lui être si agréable. Sacrifiez-moi, et soyez » persuadé que mes intérêts ne me sont rien en » comparaison des vôtres. Si mes prières étoient » bonnes, vous sentiriez bientôt la paix, la con» fiance et la consolation dont vous avez besoin » dans votre place ».

Les inquiétudes de l'amitié avoient seules le pouvoir de troubler le calme de cette ame sensible et résignée; mais les grandes pensées de la religion lui rendoient bientôt toute la force dont il avoit besoin pour lutter contre les violentes contradictions qui lui étoient encore réservées. C'est dans cette disposition qu'il écrivoit à madame de Gamaches, peu de jours après son arrivée à Cambrai: «< Encore un peu (1), et le songe trompeur » de cette vie va se dissiper, et nous serons tous » réunis à jamais dans le royaume de la vérité, » où il n'y a plus ni erreur, ni division, ni scan>> dale; nous n'y respirerons que l'amour de Dieu; » sa paix éternelle sera la nôtre. En attendant, >> souffrons, taisons-nous, laissons-nous fouler aux

(1) Le 20 août 1697. (Manuscrits.)

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