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» pieds, portant l'opprobre de Jésus-Christ: trop » heureux si notre ignominie sert à sa gloire ».

Louis XIV avoit refusé à Fénélon la permission d'aller à Rome, et Fénélon fut réduit à la nécessité et à l'embarras de trouver un défenseur qui pût le suppléer dans l'instruction d'une cause que les circonstances rendoient aussi difficile que délicate. La Providence daigna venir à son secours. Il avoit besoin d'un homme qui réunît toute la considération de la vertu et de la piété, à la science théologique et à une connoissance particulière de tous les détails de cette controverse ; d'un homme qui fût doué en même temps de cet esprit de sagesse et de conduite qui rendît son zèle utile, sans l'exposer à offrir le plus léger prétexte à la malveillance de ses ennemis. Fénélon eut le bonheur de trouver toutes ces qualités si rares réunies dans un parent, dans un ami pénétré pour lui de la plus tendre vénération et d'un dévouement à toute épreuve; car telle fut sa glorieuse destinée, que sa disgrâce et ses malheurs ne servirent qu'à resserrer plus étroitement les liens qui l'avoient uni à ses amis. Cet ami, ce parent étoit l'abbé de CHANTERAC (1), homme sage, pacifique, instruit et vertueux. C'est le témoi

(1) N. De Lacropte de Chanterac, d'une ancienne maison de Périgord, proche parent de la mère de Fénélon.

XXXIII.

Fénélon en

à Rome.

gnage que lui rend un partisan zélé de Bossuet, dans un manuscrit dont nous empruntons les expressions (1).

La correspondance de l'abbé de Chanterac avec voie l'abbé Fénélon, dont nous avons les originaux entre les deChanterac mains, peut être présentée comme un véritable modèle de la sage modération que l'on doit toujours observer dans les controverses ecclésiastiques; elle offre surtout un contraste remarquable avec celle de l'abbé Bossuet, neveu de l'évêque de Meaux.

Une circonstance particulière, étrangère au livre des Maximes, avoit conduit à Rome, depuis plus d'un an, cet abbé Bossuet et l'abbé Phélippeaux. Ce dernier étoit un habile théologien dont Bossuet estimoit la capacité, et qu'il crut devoir donner pour conseil et pour coopérateur à son neveu. Ils étoient l'un et l'autre sur le point de revenir en France, lorsque Fénélon déféra lui-même le jugement de son livre au saint Siége. Bossuet se hâta de suspendre leur retour, et les chargea de poursuivre à Rome la condamnation du livre de Fénélon. Ce fut un véritable malheur pour l'évêque de Meaux comme pour l'archevêque de Cambrai. Il suffit, en effet, de lire les lettres

(1) Manuscrits de Pirot.

de

de l'abbé Bossuet (1), et la Relation du Quiétisme de l'abbé Phélippeaux, pour juger combien ces deux ecclésiastiques contribuèrent, par leur erportement et leurs relations virulentes, à aigrir Bossuet contre Fénélon (2).

XXXIV.

Le cardinal

à Rome.

Le cardinal de Bouillon venoit d'être nommé ambassadeur de France à Rome. On ne doit point de Bouillon juger de lui par les portraits odieux qu'en ont ambassadeur fait, dans leurs écrits, l'abbé Bossuet et l'abbé Phélippeaux. Il eût été, à la vérité, porté à favoriser Fénélon; mais ce ne fut jamais aux dépens de la fidélité qu'il devoit au prince qui l'avoit honoré de sa confiance, et chargé de ses ordres. Il regrettoit sans doute que Fénélon se fût imprudemment engagé dans des discussions plus subtiles qu'intéressantes, et eût ainsi trahi la fortune qui sembloit l'appeler à gouverner l'Eglise et la Cour. Il pouvoit bien ne pas attacher la même importance que Bossuet à l'affaire du quiétisme, et penser comme le chancelier d'Aguesseau (3) et beaucoup d'autres, qu'elle n'étoit pas moins une intrigue de Cour, qu'une querelle de religion; mais il n'en est pas moins vrai que toute sa con

(1) Voyez les tomes x111, xiv et xv de l'édition des OEuvres de Bossuet, de dom Déforis.

(2) Voyez les Pièces justificatives du livre troisième, n.o VI. (3) OEuvres du chancelier d'Aguesseau, tom. XIII.

FÉNÉLON. Tom. II.

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duite, en cette affaire, fut celle d'un homme aussi délicat que généreux en amitié, et d'un ambassadeur attentif à se conformer aux attentions de son maître. Il ne dissimula jamais à Fénélon que son livre seroit condamné à Rome, s'il étoit soumis à un jugement rigoureux; il ne s'attacha qu'à tenter d'adoucir tout ce que cette condamnation pouvoit avoir de trop amer et de trop flétrissant pour un prélat dont il honoroit la piété et les talens, et dont il chérissoit tendrement les vertus et les qualités. Un sentiment et un vœu aussi estimables pouvoient très-bien se concilier avec ses devoirs et ses fonctions de ministre du Roi.

Fénélon, dans sa lettre à M. de Beauvilliers (1), avoit annoncé de la manière la plus précise et la plus formelle « que, si le Pape condamnoit son » livre, il seroit le premier à le condamner, et à >> faire un mandement pour en défendre la lecture » dans le diocèse de Cambrai ». Il avoit, à la vérité, ajouté «< qu'il demanderoit seulement au » Pape qu'il eût la bonté de lui marquer préci» sément les endroits qu'il auroit condamnés, et » les sens sur lesquels porteroit sa condamnation, >> afin que sa souscription fût sans réserve, et » qu'il ne courût aucun risque ni de défendre, »> ni d'excuser, ni de tolérer le sens condamné ». (1) Celle du 3 août 1697.

Il étoit assez naturel de n'apercevoir dans ces expressions que la disposition humble et religieuse d'un évêque qui ne vouloit pas même conserver au fond de sa pensée l'ombre d'un sentiment équivoque. Mais Bossuet crut y voir de la part de Fénélon << l'intention d'éluder une condamnation

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générale, et de préparer des défaites à son » obéissance. Il l'accusoit de vouloir faire renaî» tre les raffinemens qui avoient fatigué les siècles passés, et qui fatiguoient encore le siècle où il » écrivoit ». Ce sont ses termes, dans sa lettre sous le nom d'un docteur.

>>

Ce premier acte d'hostilité, par lequel Bossuet se déclaroit ouvertement la partie de Fénélon, engagea ce combat interminable d'écrits qui se succédèrent avec la plus étonnante rapidité. Mais s'ils ajoutèrent à l'opinion que l'on avoit déjà des talens, du génie et de la fécondité de ces deux grands évêques, ils affligèrent sincèrement les amis de la religion et de l'Eglise. Ils auroient pu même produire les effets les plus déplorables, si un profond amour de la religion et de l'Eglise n'avoit pas toujours prévalu sur toute autre considération dans le cœur de Bossuet et de Fénélon.

Fénélon se hâta de faire tomber une accusation

à laquelle il étoit loin de s'attendre, parce que pensée en étoit loin de son cœur. Il rappelle

la

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