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de rire avaient retenti sur tous les bancs; l'hilarité s'était communiquée aux tribunes publiques, et M. de Fitz-James lui-même n'y était pas resté étranger. « Croyez-moi, députés de la France, s'était écrié M. Dubois, en rappelant au milieu de l'agitation de la Chambre cette scène peu parlementaire, il est temps de faire disparaître un mensonge et une dérision. » Tel ne fut pas l'avis de la Chambre, qui écarta la proposition par l'ordre du jour.

Une pétition, dont.le rapport fut fait dans la séance du 28 février, doit être encore signalée en ce qu'elle donna à résoudre une question relative à l'exercice du droit même en vertu duquel elle avait été adressée à la Ghambre. Par cette pétition, que le rapporteur proposait de renvoyer à une commission chargée d'examiner un projet de loi tendant à introduire des réformes dans l'ordre judiciaire, le tribunal d'Argentan, parlant en son nom collectif, présentait diverses considérations sur la matière. En cette circonstance, MM. Jaubert, Teste, Agier, exprimèrent l'opinion que la convenance, la régularité, la légalité s'opposaient à ce qu'un tribunal pût exercer le droit de pétition. MM. Goupil de Préfeln, de Schonen, Salverte, Delassert, Demarçay, soutinrent le contraire : la Charte, suivant eux, ne prohibait aucunement ni les pétitions en nom collectif, ni celles qui émanaient d'une agrégation d'individus, d'un corps quelconque. La Chambre, conformément à cette dernière opinion, adopta les conclusions de la commission: les ministres députés avaient voté pour l'ordre du jour.

Les travaux de la Chambre, après avoir marché avec une extrême langueur, comme on l'a vu, pendant ces deux premiers mois de l'année, furent presque entièrement suspendus au commencement du mois de mars, par suite d'une nouvelle crise ministérielle, qui fit naître autant d'incertitude et de confusion que celle de l'année dernière, et laissa le gouvernement, pour ainsi dire, sans représentans vis-à

vis de la tribune.

Le cabinet formé au mois de novembre n'avait pas été solidement constitué le duc de Trévise s'était réellement dévoué en acceptant le fardeau de la présidence du conseil, que son âge et son inexpérience des discussions parlemen taires et des mouvemens politiques devaient lui rendre plus difficile à porter qu'à tout autre, et de bonne heure on put prévoir que le cabinet manquerait par son chef. La situation de ce ministère à la Chambre n'avait pas non plus été parfaitement nette et sûre : le vote de l'ordre du jour motivé semblait, il est vrai, l'avoir assurée; mais le caractère des débats qui avaient eu lieu sur le projet de loi relatif à la salle d'audience de la Cour des pairs, et la faible majorité qui avait sanctionné ce projet, avaient jusqu'à un certain point annulé la victoire ministérielle du mois de décembre. Depuis ce résultat, le ministère s'était encore affaibli plutôt que fortifié; sans subir de défaite positive, il avait trouvé de l'hésitation, de la résistance même dans la majorité. La discussion de la proposition d'une commission d'enquête sur les tabacs, lui avait particulièrement été défavorable: le rôle de réserve et de neutralité qu'il avait pris dans cette circonstance, ne lui avait nullement réussi. Tout cela donna lieu plusieurs fois à des bruits qui annonçaient la prochaine dissolution du ministère; l'événement ne tarda pas à les justifier.

Le 20 février, le duc de Trévise se démit de ses fonctions de président du conseil et de ministre de la guerre, et le roi fit dépêcher un courrier au maréchal Soult, alors absent, pour l'appeler à Paris: le cabinet, sans que les autres ministres eussent donné leur démission, fut aussitôt considéré comme dissous; car ils refusaient d'accepter la présidence du maréchal Soult, proposée par la couronne. Le futur président du conseil ne pouvait donc chercher les membres d'un cabinet que parmi les représentans du tiers-parti : alors revenaient les difficultés, les impossibilités contre lesquelles une combinaison de ce genre avait échoué au mois

de novembre. De quelque manière, au reste, que l'on envisageât la situation politique, il semblait qu'il y eût de toutes parts un mal-entendu inextricable qui ne permettait pas d'arriver à une solution franche et décisive. Aussi les manoeuvres individuelles, les intrigues des partis, les interprétations de la presse, la curiosité générale et l'anxiété des amis de l'ordre et de la régularité dans le gouvernement, se reproduisirent comme au mois de novembre, avec cette différence que le ministère, dissous de fait, ne l'était pas officiellement. La crise se compliqua, en se développant, de quelques incidens parlementaires assez remarquables.

Dès la séance du 24 février, M. Glais-Bizoin voulut aborder la question de la dissolution du ministère ; mais d'énergiques réclamations l'obligèrent à descendre de la tribune. Cette conduite de la Chambre fut attribuée à des sentimens de haute convenance et à des scrupules de déférence constitutionnelle à l'égard de la couronne, que toute discussion des Chambres pouvait entraver dans l'exercice de sa prérogative, pleinc et absolue, de nommer les ministres. Cependant la crise se prolongeait. L'arrivée à Paris du général Sébastiani, brusquement revenu d'Angleterre ( 2 mars) pour repartir presque aussitôt, n'avait amené aucun résultat; la présence, si impatiemment attendue, du maréchal Soult, était pareillement restée sans effet. Enfin, après douze jours, la Chambre ne crut pas devoir se tenir plus long-temps sur la réserve qu'elle avait gardée jusqu'alors.

M. Sauzet venait de donner lecture d'un rapport sur un projet de loi relatif à la responsabilité des ministres (5 mars), et il s'agissait de fixer l'ordre de discussion de ce projet, ainsi que d'un projet de loi de douanes, lorsque M. de Sade demanda que toute décision à cet égard fût ajournée, attendu que des lois de cette importance ne pouvaient être discutées que contradictoirement avec des ministres qu'il n'y avait plus de ministère réel, mais seulement un ministère provisoire. L'orateur prévint ensuite MM. les mi

nistres et la Chambre que le samedi suivant il adresserait aux ministres quelques questions sur l'état du cabinet et sur l'état de la crise ministérielle. Ces paroles, accueillies avec des marques d'assentiment, produisirent une vive sensation. M. Viennet s'écria que les circonstances étaient trop graves pour différer le ministre de l'instruction publique monta alors à la tribune et déclara que les ministres ne pouvaient ni ne devaient aller au devant des interpellations annoncées, et que, quand elles leur seraient adressées, ce serait à eux de juger ce que leur devoir et la situation qu'ils occupaient encore leur permettraient de dire. L'orateur ajouta d'ailleurs que, tant qu'ils seraient sur les bancs des ministres, ils prendraient, à la discussion des projets de loi, la part qui leur appartenait. Le renvoi des interpellations au samedi 7 mars, fut ensuite prononcé à l'unanimité au milieu d'une agitation inexprimable.

Cette résolution de la Chambre était d'une haute importance; elle ajoutait encore à la gravité de la conjoncture, bien que, du reste, tout dans le pays marchât comme à l'ordinaire. Le Journal des Débats, que l'on interrogeait curieusement sur la pensée du ministère en dissolution, consacra plusieurs articles empreints d'appréhensions sérieuses, à discuter la résolution de la Chambre, et à tracer le cercle dans lequel les interpellations devaient rigoureusement se renfermer, pour que la chose publique ne fût pas mise en péril imminent. Il était loin cependant de blåmer le parti qu'avait pris la Chambre.

De quoi s'agit-il en réalité? était-il dit dans le numéro du 7 mars. Le cabinet du 14 octobre est dissous depuis quinze jours; il administre encore il ne gouverne plus : c'est là un fait qui ne peut être révoqué en doute par personne. Le roi, faisant usage de sa prérogative, confie au maréchal Soult le soin de recomposer un ministère. Le maréchal, arrivé à Paris, se croit dans l'impossibilité de remplir les intentions du roi, et après vingt-quatre heures de réflexion, il déclaré qu'il y renonce. Dès lors une nouvelle combinaison devenait nécessaire, et le roi s'est immédiatement occupé et s'occupe encore à y pourvoir. Tel est l'historique de la crise dont nous souffrons depuis quinze jours; rien de plus, rien de moins. C'est là sans doute, en pleine session, quand la législature ne demande qu'à marcher, quand le pays attend, quand une foule d'intérêts sont plus ou moins compromis; c'est là une situation

fâcheuse, déplorable même; car nous ne voulons pas atténuer les impressions du public, nous ne voulons pas faire le procès au sentiment qui domine tous les esprits; ce sentiment, c'est une inquiétude, une anxiété générale, c'est pis encore, c'est un découragement que nous sommes en France trèsprompts à éprouver, mais dont nous nous relevons avec la même facilité. Que la Chambre partage cette inquiétude et ce découragement, qu'elle ressente plus vivement que le pays même l'impatience d'arriver à un dénouement après un drame de quinze jours, que pour le håter elle mette le ministère où ce qui en reste en demeure de s'expliquer, cela est tout simple, nous le concevons. Sans doute ce droit d'intervention législative dans un acte exclusivement reservé à la prérogative royale, n'est écrit nulle part. Mais c'est le droit de l'inquiétude de demander qu'on la rassure; c'est le droit de l'impatience de demander qu'on se presse d'en finir; et la Chambre à ce droit-là. Mais nous pensons que la Chambre n'en a pas d'autre. »

Le ton d'alarme du journaliste ne répondait pas précisé➡ ment à la situation des esprits; c'était plutôt avec curiosité qu'avec inquiétude que la séance du 7 mars était attendue. Une affluence extraordinaire encombrait les tribunes dès l'ouverture, et l'assemblée était dans un état de tumultueuse agitation; mais l'attente générale fut complétement trompée: sur l'assurance donnée par le ministre de l'instruction pu blique, que la couronne s'occupait avec la sollicitude due aux intérêts du pays, de la formation du cabinet, et qu'il y avait lieu de croire qu'elle ne se ferait pas long-temps attendre, les explications furent ajournées au mercredi suivant Ir mars, et la Chambre elle-même suspendit ses réunions jusqu'à la même époque.

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Ainsi que l'avait fait entendre le ministre de l'instruction publique, la crise ministérielle était, le 7 mars, sur la voie d'un dénouement; le maréchal Soult et des hommes de la nuance du tiers-parti étaient au moment de composer un cabinet; mais il n'arriva pas à terme. La question de l'amnistie, qui avait déjà agi comme dissolvant dans la crise ministérielle du mois de novembre, fut encore la difficulté contre laquelle vint se briser le ministère en création le 7 mars: des dissentimens s'élevèrent sur le fond et sur la forme de cette mesure, par laquelle il voulait inaugurer son avénement, et de plus il fut observé que la majorité de la Chambre ne semblait pas favorable à l'amnistie. L'esprit de la Chambre, bien qu'elle s'abstint de toute manifestation

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