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par droit de priorité, aux exercices de 1834 et 1835, tous deux en déficit.

Quant à l'assiette de l'impôt, une seule question d'un haut intérêt avait été soulevée, sinon pour recevoir encore une solution, du moins pour être mise en état d'examen, de discussion; aussi nous bornerons-nous à n'en faire ici qu'une simple mention. Il s'agissait du sucre de betterave que le ministre des finances et la commission s'accordaient, par diverses raisons, à signaler comme pouvant et devant être soumis à un impôt.

« Si la fabrication du sucre de betterave, disait le rapporteur, à la faveur de Fexemption de droits, continue de se développer et chasse entièrement de la consommation le sucre de cannes, la conséquence ne sera pas seulement la perte d'un revenu de 32 millions pour le Trésor et la nécessité d'en chercher le remplacement; cet événement affectera gravement notre système colonial, qui repose sur le privilége assuré à nos colonies, de la consommation de leurs sucres par la métropole; notre commerce d'exportation, qui jonit en retour du droit exclusif d'approvisionner nos colonies; notre navigation, qui est employée à ce commerce d'échange; notre marine militaire, enfin, qui recrute ses matelots dans ceux de la marine marchande. »

La commission avait cru cependant que l'initiative des mesures à prendre devait être laissée au gouvernement.

10 et 11 juin. Toujours rejetée à la fin des sessions, et arrivant ainsi devant une Chambre fatiguée, la discussion du budget des recettes n'était que bien rarement approfondie:" elle marcha, cette fois encore, avec une rapidité telle que MM. de Golbery et Glaiz-Bizoin jugèrent devoir s'élever avec amertume contre l'impatience et la précipitation de la Chambre, et contre une manière de procéder qui ne faisait plus qu'une formalité dérisoire de l'examen et du vote d'une des lois les plus dignes d'attention. Cependant, les points spéciauxsur lesquels s'établissait périodiquement le débat furent au moins mentionnés. L'impôt sur le sel et sur les boissons fut vivement attaqué par M. de Golbery, et, quoique MM. Lavielle et Schauenburg eussent déclaré que ces matières étaient trop importantes pour être ainsi ébauchées incidemment, M. Ducos, député de la Gironde, s'attachant uniquement à la question des boissons, pénétra au fond du sujet et le

traita avec beaucoup de force et de profondeur. En résumé, misère actuelle des pays vignicoles, ruine peut-être irréparable de cette belle production du sol français, telles étaient les conséquences d'une législation injuste et oppressive, dont M. Ducos appelait de tous ses voeux la réforme.

Si la discussion générale avait été presque nulle, diverses opinions, formulées en amendemens, prolongèrent les délibérations sur les chapitres. M. Desabes, renouvelant une proposition inutilement faite en 1852, voulait qu'on mît un droit sur les mutations des inscriptions au grand-livre. Combattu par M. Pelet (de la Lozère ), comme contraire à la bonne foi, comme inconstitutionnel, et comme n'offrant d'ailleurs que de minimes bénéfices pour le Trésor, l'amendement fut rejeté. M. Tesnières ne réussit pas mieux dans un amendement qui tendait à réduire l'impôt du sel, mais la discussion souleva une question assez intéressante. M. Luneau fit ressortir les vices et les abus des mesures fiscales dont les sources d'eaux salées étaient l'objet, et les difficultés d'asseoir équitablement un droit sur ces matières; M. Jouffroy signala ce qu'avait d'injuste et de défectueux le régime auquel étaient soumises les salines de l'Est, régime qui avait pour résultat de faire payer à ces contrées le produit de leur propre sol beaucoup plus cher qu'on ne le payait ailleurs. Le ministre des finances annonça alors qu'une loi serait prochainement présentée sur l'exploitation des sources salées.

Vint ensuite une proposition de M. d'Harcourt portant qu'à partir du 1er décembre 1836 les droits sur les fers seraient réduits de moitié. Cet amendement, que l'auteur motivait, indépendamment des considérations particulières, par la nécessité d'établir le principe salutaire de la liberté commerciale, amena de longs débats. MM, Fulchiron et Lacave-Laplagne le repoussèrent en soutenant qu'une réduction aussi considérable causerait la ruine des forgesfrançaises ils reconnaissaient que le droit sur les fers était exagéré et qu'il devait être réduit; toutefois il fallait agir

avec lenteur et mesure. La Chambre pensa sans doute qu'il ne fallait pas agir du tout, car elle rejeta non seulement l'amendement de M. d'Harcourt, mais encore un amendement de M. Fulchiron, qui ne portait la réduction qu'au tiers, et même un amendement par lequel le général Demarçay ne demandait qu'une réduction d'un dixième.

Un incident survenu dans le cours de cette discussion avait un moment détourné l'attention de la Chambre bien que promptement terminé, il mérite cependant d'être noté. Le ministre des finances, sans s'expliquer sur le fond même des amendemens, leur avait opposé un vice de forme : il n'ad-' mettait pas qu'on pût opérer une pareille modification par une simple insertion au budget; ce serait attenter aux droits de la Chambre des pairs et forcer son vote, puisqu'en cas de désapprobation, elle n'aurait d'autre moyen pour repous-, ser la mesure que la ressource extrême de rejeter le budget. Cette opinion causa quelque rumeur M. Cunin-Gridaine la reproduisit en la développant; mais, d'un autre côté, elle fut combattue comme tendant à annuler les droits de la Chambre: M. Garnier-Pagès surtout l'attaqua avec vigueur, et, agrandissant le terrain du débat, il caractérisa avec sévérité la marche de la session."

« Le procès devant la cour des pairs, disait-il, et les circonstances politiques ont été classés, accumulés de telle sorte que nous avons toujours été sous le poids d'une situation qui ne nous permettait pas d'espérer que les lois que nous votions dans cette enceinte pussent être examinées avec maturité dans l'autre Chambre. Ceux qui veulent que tous les pouvoirs puissent remplir tous leurs devoirs, ont été dans une situation embarrassante. J'en dirai autant des circonstances qui ont suivi. Si nous n'avons pas demandé la parole pour nous plaindre de ce qu'il y a de grave dans de tels événemens et les faits qui se sont accomplis, c'est qu'on nous a placés dans l'impossibilité de nous plaindre. (Bruyante interruption.)

Il est possible, messieurs, que ce ne soit pas là votre pensée, mais c'est la nôtre; nous avons été placés dans l'impossibilité de remplir notre devoir comme nous l'entendons. (Murmures.) Je le répète, la Chambre a été mise dans l'impossibilité d'accomplir sa mission... (Interruption. )

» Messieurs, il s'agit des travaux de la Chambre, et je ne sais pas quand il sera permis d'en parler, si nous ne le pouvons pas dans la discussion du budget.

J'ajoute que si, par malheur, le procès d'avril était ajourné au commencement de l'année prochaine, nous verrions se renouveler un concours de circonstances semblables à celui dont je me plains, et il en résulterait que,

comme cette année, nos travaux cesseraient d'être libres, et ce serait, je le répète, une calamité. Ne l'oubliez pas, quand une chambre se laisse mettre dans l'impossibilité de remplir son mandat, elle est perdue dans l'opinion publique, et ne peut plus faire le bien. >>

Cette vive protestation étant restée sans réplique, la discussion continua, et de la question des fers la Chambre passa à celle des sucres. M. Odier proposait par amendement que le sucre de betterave fût frappé d'un impôt de 20 francs par 100 kilogrammes. L'orateur invoqua particulièrement les besoins du Trésor en faveur de la mesure, qui devait avoir pour résultat de combler le déficit. Le sujet ne fut, pour ainsi dire, qu'effleuré : des quatre orateurs qui prirent la parole, deux, M. Bignon (de la Loire-Inférieure) et Mauguin, reproduisirent les considérations développées par le ministre des finances et par le rapporteur; mais les deux autres, MM. Piscatory et Salverté, défendirent fortement le sucre indigène, dans l'intérêt de l'agriculture, dans l'intérêt général du pays. Le ministre des finances, après avoir élevé des fins de non-recevoir contre l'amendement, déclara qu'il était urgent de statuer, que le gouvernement avait un parti à prendre, et qu'il présenterait dans la session prochaine un projet de loi ayant pour objet dé percevoir un impôt sur le sucre indigène. Sur les observations du ministre et sur la promesse qu'une loi serait soumise aux Chambres, M. Odier retira son amendement.

Une autre proposition d'un caractère assez singulier arrêta encore un moment l'attention de la Chambre : plusieurs députés demandaient qu'on prorogeât jusqu'en 1840 l'existence de la loterie, qui devait être supprimée le 1o janvier 1836. L'importance de cette branche de revenus dans la situation fâcheuse du trésor, la justice d'un pareil impôt qui n'était payé que par ceux qui le voulaient bien, la difficulté de le remplacer, l'insuffisance de la mesure contre la passion du jeu, l'impossibilité d'empêcher les loteries clandestines où étrangères, l'inutilité des efforts plusieurs fois tentés pour extirper ce mal nécessaire et dont il fallait, par consé

quent, légaliser, en quelque sorte, les effets afin de les rendre moins funestes, tels furent les points sur lesquels insistèrent MM. de Schonen et Fleury de Chaboulon à l'appui de l'amendement. Le ministre des finances prit la parole pour dire et établir seulement que la situation financière n'était nullement aussi fàcheuse qu'on le prétendait; il ne s'expliquait pas d'ailleurs sur l'amendement, mais M. Salverte s'éleva avec chaleur contre le fond même de la proposition : l'impôt de la loterie était honteux, immoral; la restauration elle-même l'avait frappé de réprobation; le rétablir, ce serait souiller la session et flétrir la révolution de juillet. M. Lepelletier d'Aunay ajoutait que ce rétablissement se rait, de plus, insignifiant sous le point de vue financier : au lieu de rapporter 10 millions, ainsi qu'on le disait, la loterie n'en rapportait plus que 4 à peine. L'amendement, qui n'avait guère de chances de succès, fut repoussé à une trèsforte majorité.

La discussion touchait à son terme, lorsque M. Lherbette proposa d'autoriser le gouvernement à réduire, par ordonnance, les droits de douanes à l'entrée des objets nécessaires à l'agriculture, à la navigation et aux fabriques. Cet amendement ne.tendait, en résumé, qu'à confirmer, en l'expliquant, une disposition d'une loi de 1814 sur cette matière; mais le président de la Chambre et le général Demarçay le combattirent de toutes leurs forces en lui attribuant une immense portée, en affirmant qu'il annulait les droits les plus précieux de la Chambre, qu'il mettait à la disposition du gouvernement la totalité des productions de la France et de l'industrie nationale. La proposition ayant été écartée, le président s'écria que la Chambre conservait son droit; aussitôt le ministre du commerce prenant la parole, au milieu du tumulté qu'avait causé cette observation, protesta contre elle et soutint qu'elle attaquait les droits du gouvernement, la législation existante et la manière dont elle était appliquée. Malgré le vivacité avec laquelle s'engageait la dis

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