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c'est-à-dire qu'il dépouillait même les enfans innocens, bien qu'il appelât ensuite les héritiers du condamné à exercer ses droits comme s'il était mort légalement et sans testament. Enfin le décret disposait (art. 12) que, quant aux individus qui auraient par la suite encouru la confiscation, les actes emportant aliénation totale ou partielle de leurs biens, ou grevant ces biens de charges nouvelles, à quelque époque qu'ils aient été passés, seraient nuls et non avenus, s'ils n'avaient pas été faits devant notaire, ainsi que les actes inscrits dans les registres hypothécaires après que ces individus auraient révélé, de quelque manière que ce fût, l'intention de commettre un crime puni de la confiscation, ou seulement d'y prendre une part quelconque.

Au mois de juillet fut publiée la liste officielle de tous les Polonais qui, ayant participé à la révolution, n'avaient point voulu profiter de l'amnistie qu'on leur avait offerte, mais qui s'étaient rendus en pays étranger, et dont, par conséquent, tous les biens déjà saisis, ou que l'on pourrait découvrir encore, étaient confisqués. Cette liste contenait 2,340 noms, parmi lesquels figuraient ceux d'une foule de généraux, de nobles, de nonces, d'officiers de tous grades, etc. Ces 2,340 personnes, ainsi dépouillées de toute leur fortune, elles et leurs héritiers naturels, en vertu d'un ukase de l'année précédente (voyez 1834, p. 419), n'avaient été ni accusées ni jugées.

Le gouvernement disposa de deux manières des biens confisqués en Pologne; la plupart furent vendus au profit du trésor impérial, et quelques uns donnés par l'empereur à des généraux ou à de hauts fonctionnaires russes. Les domaines octroyés de cette façon étaient soumis aux règles de substitution, et de plus ils ne devaient passer aux héritiers qu'à la condition qu'ils professeraient le culte grec.

D'un ukase en date du 12-24 octobre, il résultait que, dans les provinces polonaises anciennement réunies à la Russie, << la noblesse persistaitobstinément, au grand mécontentement

de l'empereur, à se dérober au service des armées ainsi qu'à celui de la carrière civile ». Il s'ensuivait que la prérogative accordée à la noblesse de nommer à certaines places ne servait qu'à les confier à des personnes inexpérimentées, incapables, et souvent d'une fidélité très-suspecte. En conséquence, l'empereur ordonnait que, dans les gouvernemens de Vilna, de Grodno, de Minsk, de Volhynie, de Podolie, et dans l'arrondissement de Bialistok, personne ne pourrait 'dorénavant être nommé à aucune des places qui dépendaient des élections de la noblesse, sans avoir servi militairement ou civilement pendant dix années.

CHAPITRE IV.

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Affaires extérieures.

TURQUIE. Expédition envoyée à Tripoli pour faire rentrer cette régence sous l'autorité de la Porte. —Succès de cette expédition. — Révolte en Albanie.— Continuation des réformes. Avances de l'Angleterre auprès de la Porte. - Réclamations de l'Angleterre contre les monopoles établis par le pacha d'Egypte. Ravages de la peste en Egypte. — Assemblée des principaux fonctionnaires en présence du vice-roi. — Acte qui défend l'exportation des objets d'antiquité, et ordonne la fondation d'un musée national au Caire. — Nouveaux établissemens d'instruction publique. - Retour des jeunes Egyptiens envoyés en France. Echecs de l'armée égyptienne en Arabie.— Etat des choses en Syrie.

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Après tant de revers mémorables, tant de pertes essuyées coup sur coup; après s'être vue à la merci d'un de ses pachas révolté, aux armes duquel elle n'avait échappé que pour tomber sous la protection de la Russie, la Porte, grâce à la diversité des intérêts politiques en Europe, grâce à la rivalité des puissances dont une seule suffirait pour l'anéantir, si les autres voulaient ne pas s'y opposer, semble, cette année, retrouver quelque force d'action et commander de nouveau l'obéissance à ses provinces les plus reculées.

Ce fut la régence de Tripoli qu'elle choisit pour faire une première épreuve de son autorité renaissante; mais la Porte n'était pas si sûre du succès, qu'elle jugeât pouvoir se passer de mystère et de supercherie. Cette régence, dont le grandseigneur ne retirait plus qu'un hommage stérile et un tribut souvent nominal, était en proie à une guerre de succession; le frère et le fils du dernier pacha défunt s'y disputaient le pouvoir. Chacun avait ses partisans, et même les étrangers se partageaient entre eux; les Anglais favorisaient l'oncle, les Français protégeaient le neveu. Celui-ci tenait la campagne, tandis que son adversaire était maître de la ville.

La Porte guetta le moment de mettre d'accord les deux compétiteurs, comme dans la fable, en s'emparant de l'objet du litige. Une escadre, dont on cacha soigneusement la destination, fut équipée à Constantinople, et, le 25 mai, elle arriva devant Tripoli avec des troupes de débarquement. Dès le lendemain, le commandant de l'expédition, Mustapha Nedgib, entra en communication avec Sidi Aly, pacha de Tripoli. Mustapha Nedgib lui annonça qu'il lui amenait des secours en troupes et en vaisseaux de guerre contre son neveu ; à la faveur de cette ruse, il débarqua sans obstacle une nombreuse artillerie de campagne et 4 à 5,000 hommes qui occupèrent tous les points fortifiés de la ville. Ensuite il invita Sidi Aly à venir à son bord pour se concerter sur les opérations ultérieures. Le pacha s'y rendit en toute confiance et conféra long-temps avec Mustapha Nedgib; mais lorsqu'il voulut s'en aller, celui-ci lui montra un firman impérial qui le déposait et lui nommait un successeur. Sidi Aly ayant été retenu sur le vaisseau, Mustapha Nedgib descendit seul à terre, le 28, et prit possession de la ville au bruit du canon.

Sidi Aly, accompagné de son harem, partit quelques jours après pour Constantinople, emportant tout ce qui lui avait convenu. Son neveu se tua ou fut assassiné dans les montagnes où il s'était sauvé au moment du débarquement des Turcs. En d'autres temps, Sidi Aly, à son arrivée à Constantinople, aurait trouvé le cordon fatal; aujourd'hui il en fut quitte pour se voir enlever tous ses trésors, estimés à 15 millions de piastres, sauf à obtenir plus tard une indemnité. Il ne s'agissait de rien moins, en tout ceci, que de la chute d'une dynastie; car la famille Cazamanli jouissait depuis près de deux cents ans de la souveraineté dont Sidi Aly venait d'être dépossédé.

Peut-être cette révolution avait-elle une plus vaste portée qu'il ne semblait au premier coup d'œil. On pouvait croire, en effet, que, sans les instigations de quelque grande puis

sance, jamais le sultan n'aurait hasardé une telle entreprise, bien qu'elle eût des exemples dans les fastes de sa politique. En rentrant dans la possession de la régence de Tripoli, et disposée à agir de la même manière contre Tunis, la Porte entravait par une barrière les communications qui se seraient établies plus tard entre l'Égypte et la France d'Alger. Il y a plus, elle plaçait aux frontières de Méhémet Ali un premier corps de troupes, que suivraient en temps et lieu de nouveaux convois d'hommes et de matériel, tandis que la Russie, arguant de ses traités d'alliance, s'ils étaient maintenus, enverrait ses flottes à la suite des flottes ottomanes, dès que cela serait à sa convenance, et trouverait un point d'appui pour s'établir dans la Méditerranée.

Quoi qu'il en soit, pendant que la Porte ramenait ainsi la régence de Tripoli sous sa domination, l'Albanie levait l'étendard de la révolte. La question soulevée entre le gouvernement et les provinces albanaises était de savoir si ces provinces adopteraient le nouveau régime militaire introduit aujourd'hui dans toutes les parties de l'empire. Jusqu'alors l'Albanie avait mis à la solde des pachas voisins une race belliqueuse, avide de butin et d'aventures; elle fournissait aussi beaucoup de soldats à la milice algérienne, et quelques uns étaient parvenus au premier poste de cette turbulente oligarchie militaire. Ces sources d'existence si conformes aux habitudes des Albanais étaient taries depuis la conquête d'Alger par la France et l'établisement des troupes régulières en Turquie. Or la nécessité de renoncer aux chances de danger et de fortune dans lesquelles les Albanais, mercenaires vagabonds, sans patrie et sans lois, passaient leur vie comme dans un élément fait pour eux, cette nécesité leur pesait, et des besoins qu'ils ne savaient pas satisfaire par le travail augmentaient leur mécontentement.

Il y avait donc là une cause générale d'insurrection, dont quelques griefs particuliers à la ville de Scutari hâtèrent le développement. Le 19 mai, les habitans de cette ville prirent

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