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les armes, et le lendemain la lutte s'engagea contre les troupes du pacha, qui, après plusieurs jours de combat, fut obligé d'abandonner la plus grande partie de la place au peuple, et de se retirer dans la citadelle. Ce conflit avait déjà fait un grand nombre de victimes, sans compter les dommages que la ville avait à souffrir des bombes et des boulets que lui envoyait le pacha. Les choses restèrent dans cet état pendant quatre mois, le pacha se maintenant dans la citadelle et le peuple dans la ville, sans que l'insurrection fit au dehors aucun progrès notable, et bien que de temps à autre quelque combat eût lieu entre les deux partis. Dans l'intervalle, la Porte s'était efforcée, mais en vain, de ramener les insurgés à l'obéissance et d'arranger à l'amiable les différends entre la population et le pacha. A la fin, les mesures concertées à Constantinople pour dominer la rébellion, eurent leur effet. Tandis qu'une escadre nombreuse bloquait les ports du district de Scutari, le visir de Roumélie marcha avec des forces imposantes contre cette ville, dont les portes lui furent ouvertes le 18 septembre; il avait vu se disperser à son approche les insurgés qui voulaient lui barrer le passage. Dès ce moment le calme fut rétabli en Albanie, et l'autorité de la Porte partout reconnue.

Cependant on continuait de faire à Constantinople de nombreux efforts pour réformer les mœurs et y importer les arts de l'Europe. La construction des routes, l'établissement des postes se poursuivaient avec activité, et le sultan employait tous les moyens pour agir sur les masses par des réjouissances publiques. C'était un spectacle surprenant de voir l'héritier du prophète assister à des représentations théâtrales, ou, suivi seulement de deux aides-de-camp, se promener dans les avenues publiques et converser avec les habitans. D'un autre côté, désireux de se former un état-major distingué, et de mettre la Porte de niveau avec les puissances européennes, il envoyait des officiers dans les capitales de l'Europe les plus distinguées par leur renom scientifique et littéraire, pour y

recueillir à leur source les élémens propres au développement de la civilisation de son empire. Chose jusqu'alors inouïe dans les annales de la Turquie, il avait maintenant des ambassadeurs à poste fixe à Vienne, à Londres, à Paris. Quelquefois Mahmoud marchait à son but d'une manière moins sérieuse, comme en déclarant une guerre impitoyable aux fumeurs et aux pipes. Mais on retrouvait l'homme supérieur, lorsqu'il accueillait avec joie la naissance de l'enfant de sa fille, mariée l'année précédente à Halil Pacha, et lui donnait des marques d'une faveur toute spéciale, tandis qu'autrefois un tel enfant aurait été étranglé. Les améliorations industrielles et administratives s'exécutaient de concert avec ces réformes morales. De nouvelles entreprises étaient fondées sous la protection du gouvernement, et même la Porte se chargeait des frais de quelques unes d'entre elles. Enfin le gouvernement poussait toujours de toutes ses forces à la réorganisation de l'armée, et travaillait sans relâche à la formation des milices régulières décrétée en 1834.

Quant aux affaires extérieures, la Turquie n'avait pas cessé de fixer l'attention de l'Europe dans un degré qui ne s'expliquait que par les événemens des deux années précédentes; car, malgré les marches et les contre-marches de la flotte anglaise dans la Méditerranée, malgré les commentaires à perte de vue sur la portée du traité d'Unkiar Skelessi relativement au passage des bâtimens de guerre étrangers par le Bosphore ou le détroit des Dardanelles, aucun fait important ne vint en 1835 compliquer la question orientalé. L'éveil que ce traité avait donné à certains cabinets assurait, pour le moment du moins, une sorte de sécurité à la la Porte, que l'Angleterre, et au besoin la France, défendrait contre la Russie, et la Russie contre l'Égypte.

Intéressée plus que toute autre puissance à ne pas laisser tomber les rives du Bosphore au pouvoir des Russes, l'Angleterre était aussi celle qui faisait au sultan les avances les plus amicales. Il en eut une preuve remarquable dans la vi

site que lord Durham, nommé ambassadeur d'Angleterre à Saint-Pétersbourg, lui fit en passant à Constantinople pour se rendre à son poste. Arrivée dans cette capitale au mois de septembre, S. S. fut présentée au sultan avec une grande solennité. Les Turcs n'avaient rien négligé de ce qui pouvait contribuer à l'éclat de l'audience et ajouter à la cordialité de la réception. Le sultan, répondit au discours prononcé par lord Durham en cette circonstance, qu'il était charmé des sentimens que S. S. venait d'exprimer au nom de l'Angleterre, et qu'il appréciait dans toute son étendue le témoignage d'estime que lui avait donné S. M. Britannique en invitant son ambassadeur à faire un si grand détour sur sa route à Saint-Pétersbourg. Il déclara qu'il espérait que lord Durham serait toujours un médiateur zélé entre lui et son allié, l'empereur de Russie. Le sultan exprima ensuite son regret en apprenant que le court séjour de l'ambassadeur anglais à Constantinople le priverait de satisfaire sa curiosité. Lord Durham répliqua que les changemens que S. H. avait opérés dans les institutions militaires, et les importantes innovations qu'elle avait introduites dans les mœurs, le costume et les opinions, ainsi que les établissemens qu'elle avait fondés pour la diffusion des lumières, l'avaient si vivement occupé, qu'il avait oublié qu'il y eût à Constantinople d'autres choses dignes d'attirer l'attention des étrangers. Le sultan ne put dissimuler le plaisir que lui fit éprouver cette observation, et il donna l'ordre à deux de ses grands officiers d'accompagner lord Durham partout où il aurait le désir d'aller. Dans une collation qui lui fut offerte le lendemain par le capitan-pacha, S. S. porta la santé de son hôte, en ajoutant qu'il avait l'espérance qu'à l'avenir les flottes anglaise et ottomane seraient alliées au lieu d'être ennemies, et ne rivaliseraient de valeur et d'habileté que pour une cause com

mune.

Ces dernières paroles ne faisaient pas seulement allusion à la Russie, comme on aurait pu le penser alors; elles désignaient aussi l'Égypte, à en juger du moins par la position Ann. hist. prur 1835.

que l'Angleterre ne tarda pas à prendre vis-à-vis de Méhémet Ali. Outre le tort d'être pour la Porte une menace vivante qui avait déjà donné et donnerait peut-être de nouveau à la Russie un prétexte d'intervenir en Turquie, le vice-roi était encore coupable, aux yeux de l'Angleterre, de ne se prêter qu'avec mauvaise grâce à une expédition anglaise tendant à ouvrir une communication avec l'Inde par l'Euphrate, et d'établir en Égypte, en Arabie et en Syrie des monopoles nuisibles au commerce anglais. Dans cet état de choses, la Porte et l'Angleterre se trouvèrent aisément d'accord contre le vice-roi : la première n'était pas fâchée d'humilier avec l'aide d'autrui un rival heureux, et de lui faire sentir une autorité dont il croyait avoir secoué le joug pour toujours; la seconde visait à obtenir un firman de suppres sion des monopoles du vice-roi, firman qu'elle saurait bien mettre à exécution, pourvu que le sultan l'y autorisât. Unenote dans laquelle lord Ponsonby, ambassadeur anglais à Constantinople, formulait les griefs commerciaux de son gouvernementet en demandait réparation, ayant été remise au divan, ce corps répondit que, bien que la Porte reconnût entièrement la justice des représentations de l'Angleterre au sujet de la conduite de Méhémet Ali, elle ne pouvait cependant s'expliquer catégoriquement sur la note sans connaître les intentions du cabinet anglais pour le cas où le vice-roi refuserait d'obéir au firman impérial. Lord Ponsomby exprima l'espoir que hémet Ali, fidèle à ses devoirs de vassal, répondrait par l'obéissance aux ordres du sultan; et il ajouta que si néanmoins il trompait à cet égard les voeux du cabinet anglais, la dignité et les intérêts de l'Angleterre ne lui permettraient pas de tolérer un pareil affront. L'ambassadeur assurait d'ailleurs que le cabinet anglais n'en viendrait à aucune détermination décisive qu'avec le concours de la Porte. Le divan regarda ces explications comme satisfaisantes, et le 24 décembre il accorda le firman qui ordonnait au pacha d'Égypte d'abolir le monopole de la soie en Syrie. (Voyez l'Appendice.

Cette nouvelle phase que présentait la question d'Orient, tendait à déplacer tous les rôles qu'elle avait fait prendre jusqu'à ce moment aux diverses puissances de l'Europe. En attendant que le temps et les événemens nous éclairent sur la portée de cette intrigue diplomatique, voyons où en étaient les affaires de Méhémet Ali.

Cette année ne devait pas compter parmi les plus heureuses de son règne. Et d'abord l'Égypte se vit en proie à une des plus terribles pestes qui lui eût été depuis long-temps infligée. Importé, dit-on, par des contrebandiers maltais à Alexandrie, en novembre 1834, le fléau ne développa toute sa fureur qu'au mois de février suivant. Alors le travail fut partout interrompu, toutes les transactions commerciales cessèrent, et la population diminua avec une effrayante rapidité. Chacun s'était renfermé chez soi et vivait des provisions amassées dès le début de la maladie, comme cela se pratique habituellement en Orient. Les prolétaires arabes et les Maltais, qui étaient les plus sales et les plus mal logés des habitans d'Alexandrie, payèrent aussi le plus large tribut à la peste. Elle enleva successivement jusqu'à 100, 150, 200 personnes par jour, et à la fin de mars les rapports officiels constataient déjà 20,000 cas de peste dont près de 10,000 suivis de mort. Il paraît que ce fut là que s'arrêta la période ascendante du mal; car une diminution dans le nombre des cas journaliers et dans le chiffre proportionnel des décès commença dès ce moment à se faire remarquer et à donner des espérances.

Le Caire avait été également envahi dans le mois de janvier; mais c'est en mars et en avril que cette ville eut le plus à souffrir. Le bulletin officiel de la journée du 13 avril portait le nombre des victimes à 500. Tous les habitans aisés avaient quitté la ville. Mais où fuir le fléau, qui s'étendait sur presque toute l'Égypte, et vous atteignait quelquefois même dansl'isolement le plus complet? Méhémet Ali se tenait en quarantaine dans son château de plaisance près du

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