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dominales des deux côtés; on ne pour rait en effet, pratiquer la section du prolongement sans ouvrir le ventre, sans intéresser le péritoine, et l'on sait qu'une semblable plaie est ordinairement mortelle.

Chang-Eng marchent comme un seul homme; ils s'asseyent, ils se lèvent, ils courent, ils chassent, avec la même agilité, la même spontanéité dans leurs mouvemens que si une seule volonté présidait à tous les actes de leur vie; bien plus, ils ont les mêmes goûts, ils éprouvent les mêmes désirs, les mêmes besoins ensemble et en même temps. L'un n'a jamais vu dormir l'autre; ils s'endorment et se réveillent comme un seul et même être, et il suffit de toucher l'un pour les réveiller tous les deux; pendant leur sommeil celui de droite passe à gauche lorsqu'il est fatigué de sa première position, son frère roule sous lui sans être troublé par ce mouvement, comme les deux jambes d'un seul homme se croisent et se décroisent pendant la nuit. Les deux frères ne se parlent jamais, ils s'entendent sans que l'on puisse remarquer aucun signe ni avertissement de l'un ou de l'autre, si bien qu'ils ont complétement oublié leur langue natale, quoiqu'ils n'aient quitté leur pays qu'à près de dix-huit ans. Ils apprennent les langues avec une grande facilité, et maintenant ils parlent très-bien anglais; à la manière dont ils prononcent déjà quelques mots de français on peut croire qu'ils ne tarderont pas à savoir passablement notre langue; les traits de leur figure ont la plus grande ressemblance, et il est impossible de distinguer celui des deux qui parle au timbre de sa voix.

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Si deux personnes essaient de lier en même temps une conversation différente avec l'un et avec l'autre, ils éprouvent une espèce de fatigue qui ne leur permet pas de se partager ainsi pendant long-temps, et bientôt leur attention se dirige du même côté, ils répondent tous les deux à la fois et à peu près dans les mêmes termes. Ils aiment à jouer, mais il leur est également impossible de s'intéresser à aucun jeu entre eux et l'un contre l'autre, pas plus que nous ne prenons de plaisir à faire jouer notre main

gauche contre notre main droite, même lorsqu'il s'agit d'un jeu de hasård.

Quand l'ún a faim, l'autre a faim, et si l'un est fatigué, l'autre se repose; ils aiment la table et même la bonne chère; en cela comme en toute chose, ils ont les mêmes goûts. Ils sont particulièrement amateurs d'huîtres et de poissons, et ils aiment, comme ils le disent les bons et les gros morceaux; ils n'ont encore éprouvé, Dieu merci, aucun désir de se marier, et pourtant ils affectionnent les enfans. L'un des deux a été atteint en Amérique d'une fièvre intermittente, et l'autre a été malade; celui-ci a même ressenti du malaise pendant que l'on saignait le bras de son frère; que vous dirai-je enfin? cet homme double n'est à bien des égards qu'un seul et même homme, et l'on est plus embarrassé pour trouver des faits d'individualité que des actions de communauté et de confu sion entre ces deux êtres si intimement unis et pourtant si complets chacun de son côté.

`(Extrait du journal des Débats.)

16. Théâtre de l'Opéra Comique. 1re réprésentation de : L'ÉCLAIR, Opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Saint-Georges et Planard, musique de M. Halevy. — Qui se serait douté, depuis que nous commençons à connaître les Américains, ce peuple exclusivement marchand, toujours supputant, calculant, comptant son or, et que nous avions la bonhomie de croire à la hauteur de sa constitution; qui se serait douté qu'un opéracomique pût naître à Boston, entre une balle de coton et une balle de tabac? Des Américains, soupirer galamment comme des bergers! des Américaines chanter des duos avec une harpe éolienne! cela n'est peut-être pas très-vraisemblable; mais enfin MM. Saint-Georges et Planard l'ont ainsi voulu, et l'on sait que les faiseurs de libretti, plus encore que les poètes, ont licence de tout oser. En Amérique donc, à Boston, un éclair a passé devant la vue de Lionel, jeune officier de marine, et lui a brûlé la vue. Lionel, aveugle, est recueilli dans une maison qu'habitent madame

Darbel et sa sœur Henriette, celle-ci bonne à marier, l'autre déjà veuve, quoique jeune encore. Henriette devient l'Antigone de Lionel; elle le suit, le veille, le promène; elle est toujours là, tantôt pour lui donner le bras, tantôt pour le distraire par quelque récit ou pour chanter un duo en têteà-tête. On n'ignore pas qu'ordinaire ment la perte d'un sens se compense par une plus grande perfection des autres; aussi l'ouïe et le toucher sont-ils infaillibles chez Lionel', dès qu'il s'agit d'Henriette. En vain madame Darbel met sa main dans la main de l'aveugle, pendant qu'Henriette lui parle C'est bien la voix d'Henriette, dit-il alors, mais ce n'est pas sa main, Il y avait d'ailleurs une autre raison pour qu'il ne s'y trompât point, et vous l'avez devinée; Henriette et Lionel s'aiment mutuellement. Cependant l'heure de la guérison approche pour Lionel, il va recouvrer la vue. Cette nouvelle jette Henriette dans une cruelle inquiétude. Lionel aime Henriette en aveugle; l'ainiera-t-il encore quand il y verra clair? Les traits, l'air, la taille, la tournure d'Henriette le séduiront-ils comme l'ont séduit sa bonté, son dévouement, sa tendresse? Enfin la lumière est rendue à l'aveugle; son premier mouvement est de chercher Henriette pour se précipiter à ses pieds en lui offrant sa reconnaissance et son amour; mais il se trompe de route et s'élance vers madame Darbel. Henriette pousse un cri et s'évanouit. Revenue de son évanouissement, elle s'éloigne de la maison, et fait annoncer qu'elle n'y reviendra que lorsque Lionel et madame Darbel seront mariés. Ce mariage serait contraire à toutes les habitudes de l'opéra-comique; car c'est bien Henriette que Lionel préfère, quoique la vue lui ait été moins fidèle que l'ouïe et le toucher; c'est donc Henriette qu'il doit épouser, et qu'il épouse en effet, après que Lionel et madame Darbel ont ramené la fugitive auprès d'eux en l'abusant par un faux mariage. Depuis long-temps ce théâtre n'avait pas donné une pièce aussi variée, aussi attachante, aussi ingénieuse que ce petit roman; et, pour comble de bonheur, la partition de M. Halevy a, de son côté, enlevé tous les suf

frages. Ce qu'on pouvait jusqu'ici reprocher à l'auteur de la Juive( voyer 23 février), malgré son incontestable talent, c'était une sorte de dureté et de sécheresse dans l'expression mélodique, sa musique était habile, correcte, savante; mais elle ne touchait pas, ne séduisait pas; c'était plutôt de l'art et du travail, que de l'âme et de l'inspiration. M. Halevy a pris une bonne revanche cette fois : il a montré que ce talent consciencieux et sévère savait être, au besoin, élégant, simple, gracieux, pathétique, spirituel et délicat.

17. New-York. Incendie de cette ville. New-York a été pendant quinze heures en flammes ; l'incendie n'est pas encore éteint; la partie la plus ancienne, mais en même temps la plus riche de la ville, est en ruines; les progrès du feu ne sont pas encore complétement arrêtés. Depuis l'incendie de Moscou, il n'y a pas eu exemple d'un aussi affreux désastre.

Le feu a commencé, hier 16, à neuf heures du soir, dans Merchant-Street, au milieu du triangle formé par Wall, William et Pearl Streets. Un grand vent de nord-est et l'intensité du froid ont paralysé l'effet des pompes, et rien n'a pu arrêter la rapidité et la violence de l'incendie: c'était une terrible nuit pour New-York et tous les environs. Des passagers descendant la baie d'Hudson ont vu les flamines à une distance d'environ 45 milles, du point des Highlands. On les a aperçues, dans le New-Jersey, jusqu'à Crauberry.

Dix-sept masses d'édifices les plus vastes et les plus riches sont détruites. C'est dans le centre de toutes les transactions commerciales que l'incendie a éclaté et a exercé les plus grands ravages. On ne saurait encore évaluer la perte des marchandises et des effets mobiliers; mais ce quartier avait été rebâti il y a cinq ou six ans et dans les proportions les plus belles que l'on puisse donner à des édifices destinés à l'usage du commerce.

L'incendie s'étant étendu jusqu'aux maisons de la place de la Bourse, les flammes gagnèrent bientôt le bâtiment de la Bourse lui-même, que l'on croyait à l'abri du danger et où l'on

avait transporté une grande partie des marchandises qui avaient pu être sanvées. Le feu atteignit le toit de cet édifice, qui, dans sa chute, entraîna un des murs, sous les débris duquel plusieurs personnes ont été enterrées. Bientôt le feu de Pearl-Street gagna Hanover-Square, où l'on avait aussi entassé une grande quantité de marchandises et de meubles précieux. Les flammes qui s'élevaient des côtés du Square eurent bientôt fermé toutes des issues, et il fut impossible de rien

sauver.

La valeur de tout ce qui a été endommagé, au milieu du fdésordre, est au moins aussi considérable que celle de ce qui a été entièrement dévoré par les flammes. On voit aujourd'hui, au milieu des rues, les débris des meubles et des étoffes les plus riches.

Le port a été heureusement préservé. Un moment on a craint pour tous les navires qui étaient dans les docks; l'eau était d'abord trop basse pour qu'ils pussent en sortir promptement, il n'y a eu cependant qu'un brick de brûlé. Des meetings sont convoqués pour aviser au salut de la ville; des souscriptions ont été ouvertes pour secourir les familles les plus malheureuses. Personne ne connaît encore l'étendue de sa perte. Toutes les affaires sont suspendues. Au milieu de la consternation générale, on se demande ce qu'il faut faire pour réparer cet affreux désastre, dont les conséquences immédiates pèsent d'abord sur la ville, mais s'étendront bientôt à toutes les parties de l'Union. Les ramifications du commerce de New-York sont si étendues que le malheur de cette ville devient une calamité nationale. Un grand nombre des négocians qui ont le plus souffert n'étaient que dépositaires des valeurs détruites.

• 27. Pékin (Chine). Prières pour obtenir de la neige et de la pluie.-La Gazette de Pékin, d'une date correspondante au 27 décembre 1835, contient l'ordonnance suivante :

Le moment est arrivé où l'année entre dans la saison d'hiver, et cependant it n'est pas encore tombé de neige à Pékin: ce retard est une affaire de haute importance. J'ordonne

de choisir parmi les prêtres de la secte de Taan une députation qui se rendra au sublime palais, y érigera un autel et y priera avec sincérité et ferveur. Le onzième jour de la lune, dressez l'autel, et moi l'empereur, je viendrai moi-même brûler l'encens. »

« Le dixième jour de la lune, on a rendu cet édit d'actions de grâces : le onzième jour j'ai brûlé l'encens sur l'autel du sublime palais, priant avec un esprit pur et fervent, mettant mon espoir et ma confiance dans l'amour miséricordieux du ciel, quand le secours est tombé d'en haut, la neige et la pluie sont aussitôt descendues et ont heureusement continué durant la nuit. Je puis ainsi espérer que le sol a été suffisamment arrosé ; je suis profondément touché et sincèrement reconnaissant de cette faveur. J'ordonne d'enlever immédiatement l'autel, et je charge mon frère Tuntsinwang d'aller au sublime palais, dè rendre de sincères actions de grâces, et de répondre à la faveur du ciel en faisant chanter aux Taous leurs hymnes, et j'ordonne aux officiers Tatars de la maison impériale de les récompenser suivant la loi. Respectez cet ordre. »>

21. Paris. Élection académique.— M. Elie de Beaumont a été nommé aujourd'hui membre de l'Académie des Sciences, en remplacement de M. Lelièvre, section de minéralogie et géologie, à la majorité de 45 suffrages sur 54 voix. La liste de présentation portait MM. Elie de Beaumont, Dufrenoy et Pouillon - Boblaye M. Constant Prevost avait renoncé la candidature.

28. Séance publique annuelle de l'Académie des Sciences. — L'Académie des Sciences a tenu aujourd'hui sa séance publique annuelle; M. le baron Charles Dopin, président, a pris le premier la parole pour jeter un rapide coup d'œil sur les progrès des sciences mathématiques depuis 1830; ensuite, M. Flourens, secrétaire perpétuel, a prononcé l'éloge historique de M. le comte Chaptal. Avant ces lectures, on a lu le programme des prix proposés par l'Académie pour les années 1836 et 1837, et proclamé les prix remportés cette année.

Grand prix des sciences physiques; la question proposée était la suivante: Examiner sile mode de développement des tissus organiques, chez les animaux, peut être comparé à la manière dont se développent les tissus des végétaux; le prix a été décerné à M. Valentin, de Breslau. Le prix d'astronomie fondé par M. de Lalande est accordé à M. Dunlop, directeur de l'observatoire de la Nouvelle - Hollande, et à M. Boguslawski, directeur de l'observatoire de Breslau. Le prix de physiologie expérimentale fondé par M. de Monthyon est partagé entre MM. Gaudichaud, pour ses recherches sur le développement et l'accroissement des tiges feuilles et autres organes des végétaux, et M. Poisinelle, pour ses expériences sur les causes du mouvement du sang dans les vaisseaux capillaires, il est accordé en outre une médaille d'or de la valeur de 400 fr. à M. Martin Saint-Ange pour ses recherches sur les villosités du chorion des mammifères; et sur la demande de la commission, l'Académie vote l'impression des recherches anatomiques et physiologiques de M. Léon Dufour, dont la première partie a obtenu le prix en 1830. Le prix de mécanique fondé par M. de Monthyon est accordé à M. le colonel Rancourt pour son dynamomètre perfectionné qu'il appelle phortomètre, destiné au pesage des grands fardeaux.

Pour les prix relatifs aux moyens de rendre un art ou un métier moins insalubre, la commission accorde un encouragement de 3,000 fr. à M. Gan

nal, pour son nouveau procédé de conserver les cadavres au moyen des injections d'acétate d'alumine; un prix de 3,000 fr. à M. Amoros, pour ses machines destinées à l'étude de la gymnastique, et un prix de 3,000 fr. également à MM. Degouzée et Mulot, ingénieurs, pour leurs puits forés absorbans. La commission de médecine et de chirurgie n'a pas eu le temps d'examiner le nombre considérable de pièces envoyées au concours. Pour le prix de statistique fondé par M. de Monthyon, une médaille d'or de 330 fr. est accordée à l'ouvrage intitulé: Statistique du département de la Drome, par M. Delacroix; une m{daille d'or de 400 fr. à l'ouvrage sur l'établissement des Français dans la régence d'Alger, par M. Genty de Bussy, et des mentions honorables sont décernées à M. Gras, ingénieur des mines, à M. Guyétaud, docteur en médecine, et à M. Bigot de Morogues pour leurs divers travaux de statistique.

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NOTE

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DES ARTS ET DES LETTRES EN 1855.

SALON DE 1835.

poser chaque année, de peur que le public ne l'oublie? il s'empare à la hâte du premier sujet, presse l'exécution, et n'enfante qu'un ouvrage d'une portée ordinaire. A cette première raison de la médiocrité des expositions trop fréquentes, il faut ajou

est faite, et qui contribuent pour la plus grande part à la richesse des expositions, ne s'inquiètent nullement d'être deux ou trois ans sans exposer, et laissent avec indifférence le vulgaire des peintres et des sculpteurs envahir les salles du Louvre. Voilà ce que nous avons vu à peu près en 1833, en 1834, et même en 1835; car c'est encore une exposition où fourmillent les productions du second ordre, tandis qu'aucun ouvrage d'une pensée élevée et puissante ne s'y remarque, que nous avons à passer ici en revue.

Après la révolution de juillet, les artistes, dans des vues de commerce beaucoup plutôt que d'art, à ce qu'il nous semble, demandèrent que de sormais il y eût chaque année une exposition, et cette demande leur futter que les artistes dont la réputation accordée. Depuis cette époque, les expositions se sont succédé régulièrement à un an d'intervalle, excepté en 1832, à cause du choléra. On peut donc dire que ce système des expositions annuelles a eu le temps de produire ce qu'il pouvait avoir de bon en lui-même, et que le moment est venu de le juger par ses résultats. Or, si l'on se rappelle l'éclat des expositions de 1824, de 1827 et de 1831, qui avaient laissé entre elles un espace de trois et quatre ans, et si ensuite on leur compare les expositions de 1833 et de 1834 qui n'ont généralement présenté que des productions d'un mérite secondaire, et où les talens moyens, médiocres même, abondaient; on sera porté à penser que les expositions trop rapprochées sont plus nuisibles qu'utiles à l'art. C'est ce que ces deux dernières expositions ont démontré en fait, et l'on peut dire que la réflexion vient encore ici à l'appui de l'expérience. Quand un artiste a devant lui un espace de trois ou quatre ans, il médite à loisir, mûrit sa pensée, et la produit enfin sur la toile ou sur le marbre avec tout le soin qu'il lui est donné d'y mettre. Se croit-il obligé, au contraire, d'ex

Parmi les grandes pages du salon de 1835, celle qui attire d'abord.et à juste titre l'attention du public, est de M. Bouchot, et représente les funérailles du général Marceau, pour la célébration desquelles l'armée autrichienne s'unit à l'armée française en 1796. Sous le rapport de l'ordonnance pittoresque et dramatique, ce tableau ne mérite que des éloges. La scène se développe largement et sans vide comme sans confusion. Les groupes sont habilement liés entre eux, les attitudes, les expressions sont vraies et variées, et le tout est empreint d'une simplicité noble et touchante. La partie faible de l'ouvrage, c'est la

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