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royaulé ne tient plus qu'à un fil; qu'elle n'est plus dans les idées du siècle : ils aimeraient mieux me voir reprendre le trône que de laisser le peuple me le donner. C'est pour apprendre aux nations que les droits des souverains sont sacrés, sont imprescriptibles, qu'ils ont rétabli les Bourbons: ils ont fait une bêtise. Ils auraient plus fait pour la légitimité en laissant mon fils, qu'en rétablissant Louis XVIII. Ma dynastie avait été reconnue par la France et par l'Europe; elle avait élé sanctifiée par le Pape: il fallait la respecter. Ils pouvaient, en abusant de la victoire, m'ôler le trône, mais il était injuste, odieux, impolitique de punir un fils des torts de son père et de le dépouiller de son héritage. Je n'étais point un usurpateur, ils auront beau le dire, on ne les croira pas. Les Anglais, les Italiens, les Allemands sont trop éclairés aujourd'hui pour se laisser endoctriner par de vieilles idées, par de vieilles traditions. Le souverain du choix de toute une nation sera toujours aux yeux des peuples le souverain légitime.... Les souverains qui, après m'avoir envoyé respectueusement des ambassades solennelles; qui, après avoir mis dans mon lit une fille de leur race; qui, après m'avoir appelé leur frère, m'ont ensuite appelé usurpateur, se sont crachés à la figure en voulant cracher sur moi. Ils ont avili la Majesté des Rois, ils l'ont couverte de boue. Qu'est-ce au surplus que le nom d'Empereur? Un mot comme un autre. Si je n'avais d'autres titres que celui-là pour me présenter devant la postérité, elle me rirait au nez. Mes institutions, mes bienfaits, mes victoires, voilà mes véritables titres de gloire. Qu'on m'appelle Corse,

perdre, et au moindre danger, au moindre soupçon, brûlez-le, ou mettez-le en pièces. Avec ce chiffre vous pourrez tout me dire; j'aime mieux que vous vous en serviez, que de revenir ou de m'envoyer quelqu'un. Ils me prendraient une lettre chiffrée, qu'il leur faudrait trois mois pour la lire, du moins que la capture d'un agent pourrait tout perdre en un moment. Il fut alors chercher son chiffre, m'en fit faire l'application sous ses yeux, et me le remit en me recommandant de ne m'en servir qu'en cas d'insuffisance des autres moyens

convenus.

Je ne pense pas que vous soyez dans le cas de revenir ici avant mon départ, à moins que le renversement subit de nos projets ne nous force d'y chercher un asile; dans ce cas, mandez-moi votre retour, et je vous enverrai prendre où vous voudrez; mais il faut espérer que la victoire se déclarera pour nous : elle aime la France.... Vous ne m'avez pas parlé de l'affaire d'Exelmans; si de mon temps pareille affaire me fût arrivée, je me serais cru perdu : quand l'autorité du maître est méconnue, tout est fini. Plus j'y pense, ditil, en manifestant une émotion subite, plus je suis convaincu que la France est à moi, et que je serai reçu à bras ouverts par les patriotes et par l'armée. Oui, Sire, je vous le jure sur ma tête, le peuple et l'armée se déclareront pour vous aussitôt qu'ils entendront prononcer votre nom, aussitôt qu'ils verront les bonnets de vos grenadiers. Pourvu que le peuple ne se fasse point justice avant mon arrivée! Une révolution populaire alarmerait les étrangers; ils craindraient la contagion de l'exemple. Ils savent que la

royaulé ne tient plus qu'à un fil; qu'elle n'est plus dans les idées du siècle : ils aimeraient mieux me voir reprendre le trône que de laisser le peuple me le donner. C'est pour apprendre aux nations que les droits des souverains sont sacrés, sont imprescriptibles, qu'ils ont rétabli les Bourbons: ils ont fait une bêtise. Ils auraient plus fait pour la légitimité en laissant mon fils, qu'en rétablissant Louis XVIII. Ma dynastie avait été reconnue par la France et par l'Europe; elle avait été sanctifiée par le Pape: il fallait la respecter. Ils pouvaient, en abusant de la victoire, m'ôler le trône, mais il était injuste, odieux, impolitique de punir un fils des torts de son père et de le dépouiller de son héritage. Je n'étais point un usurpateur, ils auront beau le dire, on ne les croira pas. Les Anglais, les Italiens, les Allemands sont trop éclairés aujourd'hui pour se laisser endoctriner par de vieilles idées, par de vieilles traditions. Le souverain du choix de toute une nation sera toujours aux yeux des peuples le souverain légitime.... Les souverains qui, après m'avoir envoyé respectueusement des ambassades solennelles; qui, après avoir mis dans mon lit une fille de leur race; qui, après m'avoir appelé leur frère, m'ont ensuite appelé usurpateur, se sont crachés à la figure en voulant cracher sur moi. Ils ont avili la Majesté des Rois, ils l'ont couverte de boue. Qu'est-ce au surplus que le nom d'Empereur? Un mot comme un autre. Si je n'avais d'autres titres que celui-là pour me présenter devant la postérité, elle me rirait au nez. Mes institutions, mes bienfaits, mes victoires, voilà mes véritables titres de gloire. Qu'on m'appelle Corse,

caporal, usurpateur, peu m'importe... je n'en serai pas moins l'objet de l'étonnement et peut-être de l'admiration des siècles futurs. Mon nom, tout neuf qu'il est, vivra d'àge en àge, tandis que celui de tous ces rois, de père en fils, sera oublié avant que les vers n'aient eu le temps de digérer leurs cadavres. L'Empereur s'arrêta quelques moments et reprit : J'oublie que nos instants sont précieux, je ne veux plus vous retenir. Adieu, Monsieur, embrassez-moi et partez; mes pensées et mes vœux vous suivront.

Deux heures après j'étais en mer.

L'Empereur, ses paroles, ses confidences, ses desseins avaient absorbé toute mon attention, toutes mes facultés, et ne m'avaient laissé ni le temps, ni la possibilité de m'occuper de moi. Lorsque je fus en pleine mer, mes idées se reportèrent sur le rôle extraordinaire que le hasard m'avait départi; je le contemplai avec orgueil; et je remerciai le destin de m'avoir choisi pour être l'instrument de ses impénétrables décrets. Jamais homme ne fut peut-être placé dans une situation aussi imposante que la mienne : j'étais l'arbitre des destinées de l'Empereur et des Bourbons, de la France et de l'Europe; d'un mot je pouvais perdre Napoléon; d'un mot, je pouvais sauver Louis; mais Louis n'était rien pour moi; je ne voyais en lui, qu'un prince placé sur le trône par des mains étrangères, encore teintes du sang français, je voyais en Napoléon le souverain que la France avait librement couronné pour prix de vingt ans de travaux et de gloire. Le tableau des malheurs que la tentative de Napoléon pourrait attirer sur sa tête et sur la France ne s'offrit

point à mon imagination. J'étais persuadé que les étrangers, à l'exception des Anglais, garderaient la neutralité; et que les Français accueilleraient l'Empereur comme un libérateur et comme un père. J'étais bien plus loin encore de me considérer comme étant vis-à-vis des Bourbons en état de félonie et de conspiration. Depuis que j'avais prêté serment de fidélité à Napoléon, je le regardais comme mon souverain légitime, et je m'applaudissais d'avoir été appelé, par sa confiance, à concourir avec lui, à rendre à la France la liberté, la puissance et la gloire qu'on lui avait injustement ravies. Je jouissais d'avance des louanges publiques qu'il décernerait après le succès à mon courage, à mon dévouement, à mon patriotisme je me livrais enfin avec délice, avec fierté à toutes les pensées, à toutes les résolutions généreuses que peuvent inspirer l'amour de la renommée et l'amour de la patrie.

Les entretiens que j'avais eus avec l'Empereur étaient restés empreints dans ma mémoire; cependant, dans la crainte de les dénaturer, ou d'en omettre quelques parties, j'employai le temps de la traversée à me rappeler ses propres paroles et à classer ses questions et mes réponses; j'appris ensuite le tout par cœur, comme un écolier apprend sa leçon, afin de pouvoir affirmer à M. X***, que je lui rapportais fidèlement, et mot pour mot, tout ce que l'Empereur m'avait dit et ordonné de lui dire.

Un temps assez beau nous conduisit rapidement à Naples. Je me rendis sur-le-champ chez M***, il me fit une foule de questions indiscrètes, auxquelles je répon

MÉMOIRES. I

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