Page images
PDF
EPUB

pereur ordonna de continuer la navigation, ayant pour ressource en dernier événement, soit de s'emparer de la croisière française, soit de se réfugier dans l'île de Corse où il était assuré d'être bien reçu. Pour faciliter les manœuvres, il ordonna de jeter à la mer tous les effets embarqués, ce qui fut exécuté joyeusement et à l'instant même. >>

Vers midi, le vent fraîchit un peu. A quatre heures on se trouva à la hauteur de Livourne. Une frégate parut à cinq lieues sous le vent, une autre était sur les côtes de Corse, et un bâtiment de guerre qu'on reconnut être le brick le Zéphir, commandé par le capitaine Andrieux, venait droit, vent arrière, à la rencontre de la flottille impériale. On proposa d'abord de lui parler et de lui faire arborer le pavillon tricolore; «cependant l'Empereur donna l'ordre aux soldats de la garde d'ôter leurs bonnets et de se cacher sous le pont, préférant passer à côté du brick sans se laisser reconnaître, et se réservant, en cas de besoin, de la faire changer de pavillon. A six heures du soir les deux bricks passèrent bord à bord, et leurs commandants, qui se connaissaient, s'adressèrent mutuellement la parole; celui du Zéphir demanda des nouvelles de l'Empereur, et l'Empereur lui répondit lui-même avec le porte-voix qu'il se portait à merveille.

Les deux bricks, allant en sens contraire, furent bientôt hors de vue, sans que le capitaine Andrieux se doutât de la précieuse proie qu'il laissait échapper.

<< Dans la nuit du 27 au 28, le vent continua de fraîchir. A la pointe du jour on reconnut un bâtiment de soixante-quatorze, qui avait l'air de se diriger sur Saint

Florent ou sur la Sardaigne; on ne tarda point à s'apercevoir que ce bâtiment ne s'occupait pas du brick *. :

L'Empereur, avant de quitter l'île d'Elbe, avait préparé de sa main deux proclamations, l'une aux Français, l'autre à l'armée; il voulut les faire mettre au net. Son secrétaire et le général Bertrand ne pouvant réussir à les déchiffrer, furent les porter à Napoléon qui, désespérant lui-même d'y parvenir, les jeta de dépit dans la mer. Puis, après avoir rassemblé quelques moments ses idées, il dicta sur-le-champ à son secrétaire les deux proclamations suivantes :

PROCLAMATION

Au golfe Juan, le 1er mars 1815.

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'Empire, Empereur des Français, etc. etc.

Soldats!

A L'ARMÉE

Nous n'avons pas été vaincus: deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur Prince, leur bienfaiteur.

Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis,

* Les passages marqués de guillemets sont copiés textuellement de la relation officielle publiée le 22 mars cette relation est l'ouvrage de Napoléon; j'ai cru ne pouvoir mieux faire que d'en emprunter les expressions.

qui ont passé leur vie à combattre contre nous, dans les rangs des armées étrangères, en maudissant notre belle France, prétendraient-ils commander et enchaîner nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux, qu'ils s'emparent de nos honneurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces mémorables journées.

Avec quel acharnement ils les dénaturent! Ils cherchent, à empoisonner ce que le monde admire; et s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur les champs de bataille.

Soldats dans mon exil, j'ai entendu votre voix ; je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls.

Votre Général, appelé au trône par le choix du peuple et élevé sur vos pavois, vous est rendu : venez le joindre.

Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore, vous la portiez dans nos grandes journées. Nous devons oublier que nous avons été les maîtres des nations; mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle de nos affaires. Qui prétendrait être maître chez nous ? qui en aurait le pouvoir? reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à léna, à Eylau, à Wagram, à Friedland, à Tudéla, à Eckmülh, à Essling, à Smolensk, à la Moscowa, à Lutzen, à Wurtchen, à Mont

mirail. Pensez-vous que cette poignée de Français, aujourd'hui si arrogants, puissent en soutenir la vue? ils retourneront d'où ils viennent, et là, s'ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné depuis dix-neuf ans.

Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfants, n'ont pas de plus grands ennemis que ces Princes que les étrangers nous ont imposés. Ils sont les ennemis de notre gloire, puisque le récit de tant d'actions héroïques qui ont illustré le peuple Français, combattant contre eux, pour se soustraire à leur joug, est leur condamnation.

Les vétérans des armées de Sambre-et-Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Égypte, de l'Ouest, de la grande armée sont humiliés; leurs honorables cicatrices sont flétries; leurs succès seraient des crimes; les braves seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, des souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, les affections sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et nous.

Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef; son existence ne se compose que de la vôtre, ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres; son intérêt, son honneur, sa gloire ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge; l'aigle avec les couleurs nationales, volera de clochers en clochers jusqu'aux tours de Notre-Dame. Alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices, alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait : vous serez les libérateurs de la patrie.

Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits; vous pourrez dire avec orgueil : Et moi aussi je faisais partie de cette grande armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y ont empreinte. Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie ! et honte éternelle aux Français criminels dans quelque rang que la fortune les ait fait naître; qui combattirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour déchirer le sein de la patrie.

Signé, NAPOLÉON.

Par L'Empereur.

Le Grand Maréchal, faisant fonctions de Major-géné

ral de la Grande Armée,

Signé, BERTRAND.

PROCLAMATION

Au golfe Juan, le 1er mars 1815.

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'Empire, Empereur des Français, etc. etc.

[merged small][merged small][ocr errors]

La défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis. L'armée dont je lui avais confié

« PreviousContinue »