Page images
PDF
EPUB

au patriotisme, aux nobles passions de l'âme, avec plus de charme, de force et d'éloquence; les soldats et les citoyens ne se lassaient point de les relire, de les admirer. Tout le monde voulait les avoir; les voyageurs et les habitants des pays voisins en recurent une immense quantité qu'ils se chargèrent de répandre sur leur passage et d'envoyer de tous côtés.

Le lendemain 8, le clergé, l'état-major, la Cour impériale, les tribunaux, et les autorités civiles et militaires vinrent reconnaître Napoléon et lui offrir leurs félicitations. Il causa familièrement avec les juges, de l'administration de la justice; avec le clergé, des besoins du culte; avec les militaires, des armées; avec les officiers municipaux, des souffrances du peuple, des villes et des campagnes, et les enchanta tous par la variété de ses connaissances et la bienveillance de ses intentions. Il leur dit ensuite : J'ai su que la France était malheureuse; j'ai entendu ses gémissements et ses reproches, je suis venu avec les fidèles compagnons de mon exil, pour la délivrer du joug des Bourbons.... leur trône est-il légitime... mes droits à moi m'ont été déférés par la nation, par la volonté unanime des Français; ils ne sont autres que les droits du peuple... je viens les reprendre; non pour régner, le trône n'est rien pour moi; non pour me venger, je veux oublier tout ce qui été dit, fait et écrit depuis la capitulation de Paris, mais pour vous restituer les droits que les Bourbons vous ont ôtés, et vous arracher à la glèbe, au servage, et au régime féodal dont ils vous menacent... j'ai trop aimé la guerre, je ne la ferai plus ; je laisserai mes voisins en repos; nous devons oublier que nous

avons été les maîtres du monde....je veux régner pour rendre notre belle France libre, heureuse et indépendante, et pour asseoir son bonheur sur des bases inébranlables; je veux être moins son souverain que le premier et le meilleur de ses citoyens. J'aurais pu venir attaquer les Bourbons avec des vaisseaux et des flottes nombreuses. Je n'ai voulu des secours ni de Murat ni de l'Autriche. Je connais mes concitoyens et les défenseurs de la patrie; et je compte sur leur patriotisme.

[ocr errors]

L'audience finie, l'Empereur fut passer la revue de la garnison composée de cinq à six mille hommes. Lorsqu'il parut le ciel fut obscurci par la multitude de sabres, de baïonneltes, de bonnets de grenadiers, de shakos, etc., que le peuple et les soldats élevaient en l'air au milieu des plus vives démonstrations de dévouement et d'amour.

Il adressa quelques mots au peuple, qui ne purent être entendus, et se rendit sur le front du 4° d'artillerie. « C'est parmi vous, leur dit-il, que j'ai fait mes premières armes. Je vous aime tous comme d'anciens camarades; je vous ai suivis sur le champ de bataille et j'ai toujours été content de vous. Mais j'espère que nous n'aurons point besoin de vos canons, il faut à la France de la modération et du repos. L'armée jouira dans le sein de la paix, du bien que je lui ai déjà fait, et que je lui ferai encore. Les soldats ont retrouvé en moi leur père ils peuvent compter sur les récompenses qu'ils ont méritées. >>

Après cette revue, la garnison se mit en marche sur Lyon.

Le soir Napoléon écrivit à l'Impératrice et au Prince

Joseph. I le chargea de faire connaître à Rome, à Naples, à Porto-Ferrajo que son entreprise paraissait devoir être couronnée du plus prompt et du plus brillant succès. Les courriers partirent avec fracas, et l'on ne manqua point de publier, qu'ils allaient porter à l'Impératrice la nouvelle du retour de l'Empereur, et l'ordre de venir, elle et son fils, le rejoindre sur-lechamp.

Le 9 l'Empereur signala le rétablissement du pouvoir impérial par trois décrets.

Le premier ordonnait d'intituler les actes publics et de rendre la justice en son nom, à compter du 15 mars. Les deux autres organisaient les gardes nationales des cinq départements des Hautes et Basses-Alpes, de la Drôme, du Mont-Blanc et de l'Isère, et confiait à l'honneur et au patriotisme des habitants de la 7o division, les places de Briançon, de Grenoble, du fort Barreaux, Colmar, etc.

Au moment de partir, il adressa aux habitants du département de l'Isère la proclamation suivante.

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

Lorsque dans mon exil j'appris tous les malheurs qui pesaient sur la nation, que tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu'on me reprochait le repos dans lequel je vivais, je ne perdis pas un moment; je m'embarquai sur un frêle navire, je traversai les mers au milieu des vaisseaux de guerre de différentes nations, je débarquai seul sur le sol de la patrie et je n'eus en vue que d'arriver avec la rapidité de l'aigle dans cette bonne ville de Grenoble dont le patriotisme

et l'attachement à ma personne m'étaient particulièrement connus; Dauphinois, vous avez rempli mon attente.

« J'ai supporté, non sans déchirement de cœur, mais sans abattement, les malheurs auxquels j'ai été en proie, il y a un an; le spectacle que m'a offert le peuple sur mon passage m'a vivement ému. Si quelques nuages avaient pu altérer la grande opinion que j'avais du peuple français, ce que j'ai vu m'a convaincu qu'il était toujours digne de ce nom de grand peuple dont je le saluai, il y a vingt ans.

[ocr errors]

Dauphinois, sur le point de quitter vos contrées, pour me rendre dans ma bonne ville de Lyon, j'ai senti le besoin de vous exprimer toute l'estime que m'ont inspirée vos sentiments élevés. Mon cœur est tout plein des émotions que vous y avez fait naître, j'en conserverai toujours le souvenir. »

La nouvelle du débarquement de l'Empereur ne parvint à Paris que dans la nuit du 5 mars; elle transpira le 6; et le 7 parut dans le Moniteur, sans autres détails, une proclamation royale, qui convoquait sur-le-champ les Chambres, et une ordonnance qui mettait hors la loi Napoléon et tous ceux qui le suivraient ou lui prêteraient assistance.*

* Cette forme de procéder, digne des siècles barbares, était une nouvelle infraction du ministère au droit des gens et aux lois constitutionnelles de la France. Aucun article de la Charte ne conférait au monarque le droit de mort sur ses sujets, et l'on n'avait point conséquemment le pouvoir de proscrire les hommes qui accompagnaient et assistaient Napoléon; si on les considérait même comme des brigands, c'était aux tribunaux à les juger et à les punir.

On n'était nullement autorisé non plus à faire courir sus à Napoléon. MÉMOIRES. -I

10

Le 8, le Moniteur et les autres journaux annoncèrent que Bonaparte était débarqué avec onze cents hommes, dont la plupart l'avaient déjà abandonné; que suivi de quelques individus seulement, il errait dans les montagnes; qu'on lui refusait des vivres, qu'il manquait de tout, et que, poursuivi et bientôt cerné par les troupes détachées contre lui, de Toulon, de Marseille, de Valence, de Grenoble, il ne tarderait point à expier sa criminelle et téméraire entreprise.

Cette nouvelle frappa d'étonnement tous les partis, et leur fit éprouver, suivant leurs opinions et leurs sentiments, des impressions différentes.

Les mécontents ne doutaient point du succès de l'Empereur et de la perte des Bourbons.

Les courtisans regrettaient qu'il n'y eût pas assez de danger dans cette entreprise audacieuse et folle, pour donner au moins quelque prix à leur dévouement.

Les émigrés la regardaient en pitié, la tournaient en ridicule, et s'il ne leur eut fallu que des plaisanteries, des injures et des fanfaronnades pour battre Napoléon, leur victoire n'eût point été douteuse.

Le gouvernement lui-même partagea leur jactance et leur sécurité.

De nouvelles dépêches ne tardèrent point à faire connaître les progrès de Napoléon.

Il avait conservé le titre d'Empereur, il jouissait légalement des prérogatives de la souveraineté et pouvait faire à son gré la paix ou la guerre.

Le titre d'Empereur des Français qu'il s'arrogeait ne pouvait être un titre de proscription. Georges III s'intitula jusqu'à l'époque du traité d'Amiens, Roi de France et de Navarre. Aurait-on eu le droit, s'il fut descendu à main armée sur notre territoire, de le mettre hors la loi, et d'ordonner aux Français de lui courir sus?

« PreviousContinue »