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La défection du maréchal Ney vint bientôt déchirer le voile, et répandre parmi les ministres et leurs partisans la consternation et l'effroi.

Le Roi se rendit à la Chambre des Députés dans l'espoir d'affermir leur dévouement, et de dissiper par un serment solennel les doutes que ses ministres avaient fait concevoir sur son attachement à la Charte, et son intention de la conserver. Jamais spectacle ne fut plus imposant, plus pathétique. Quel cœur aurait pu se fermer à la douleur de cet auguste vieillard, aux accents de sa voix gémissante! Ces paroles prophétiques : « Je ne crains rien pour moi, mais je crains pour la France; pourrais-je à soixante ans mieux terminer ma carrière qu'en mourant pour la défense de l'Etat ? » ces paroles royales excitèrent l'émotion la plus vive, et des larmes abondantes s'échappèrent de tous les yeux.

Le serment prononcé par le Roi de maintenir la Charte fut immédiatement répété par M. le comte d'Artois, qui jusqu'alors s'en était abstenu. Nous jurons, dit-il, sur l'honneur, moi et ma famille, de vivre et de mourir fidèles à notre Roi, et à la Charte constitutionnelle, qui assure le bonheur des Français; mais ces protestations tardives ne pouvaient réparer le mal qu'avait fait aux Bourbons et à leur cause, la conduite déloyale du gouvernement.

En vain, ces mots de patrie, de liberté, de constitution, se retrouvaient-ils dans tous les discours, dans toutes les proclamations.

En vain, promettait-on solennellement que la France, dès qu'elle serait délivrée, recevrait toutes les garanties

réclamées par le vœu public, et que la

rait son entière liberté.

presse recouvre

En vain, offrait-on de rendre à la Légion d'Honneur le lustre et les prérogatives dont elle avait été dépouillée. En vain, comblait-on l'armée d'éloges fastueux et de promesses éclatantes.

Il n'était plus temps.

Le ministère avait ôté au Roi la confiance qui est le premier mobile de l'ascendant des princes sur les peuples; et la force, qui peut seule suppléer à la confiance, et commander l'obéissance et la crainte.

L'approche de Napoléon;

L'abandon du maréchal Ney;

La déclaration faite, par les généraux encore fidèles, que les troupes ne se battraient point contre l'Empereur, ne laissèrent plus de doute au gouvernement sur le sort qui l'attendait.

Dès ce moment, il n'exista plus d'harmonie dans les volontés; d'ensemble dans les moyens d'exécution.

Les ordres, les contre-ordres étaient donnés d'un côté, révoqués de l'autre ; des projets de toute espèce et tout aussi irréfléchis qu'impraticables étaient approuvés et rejetés, repris et abandonnés.

Les Chambres et le gouvernement avaient cessé de s'entendre. Les ministres se plaignaient des députés, les députés demandaient publiquement au Roi de renvoyer les ministres, et de s'entourer d'hommes «< qui aient été les défenseurs constants de la justice et de la liberté, et dont les noms soient une garantie pour tous les intérêts *

* On assure qu'il y eut à cette occasion une conférence dont firent

Le même désordre, la même désunion se manifestaient partout à la fois; on n'était plus d'accord que sur un seul point; c'est que tout était perdu.

Tout l'était en effet.

Le peuple, que les nobles avaient humilié, vexé ou effrayé par des prétentions hautaines et tyranniques;

Les acquéreurs de domaines nationaux, qu'ils avaient voulu déposséder;

Les Protestants, qu'on avait sacrifiés :

Les magistrats, qu'on avait chassés ;

Les employés qu'on avait plongés dans la misère; Les soldats, les officiers, les généraux qu'on avait méprisés et maltraités;

Les révolutionnaires qu'on avait sans cesse outragés et menacés;

Les amis de la justice, de la liberté qu'on avait abusés;

Tous les Français que le gouvernement avait réduits, pour ainsi dire, malgré eux, à faire des vœux pour un autre ordre de choses, embrassèrent avec empressement la cause de Napoléon, devenue par les fautes du gouvernement la cause nationale.

partie MM. Lainė, de Broglie, La Fayette, d'Argenson, Flaugergue, Benjamin Constant, etc., dans laquelle il fut décidé qu'on demanderait au Roi au nom du salut public :

1° De renvoyer MM. de Blacas, Montesquiou, Dambray et Ferrand; 2o D'appeler à la Chambre des Pairs, quarante membres nouveaux choisis exclusivement parmi les hommes de la révolution;

3o De confier à M. de la Fayette le commandement de la garde nationale;

4o D'envoyer des commissaires patriotes pour stimuler le dévouement, le zèle et la fidélité des troupes.

Il ne restait à la royauté d'autres défenseurs que des femmes et leurs mouchoirs; des prêtres sans influence; des nobles sans courage; des gardes du corps sans jeunesse, ou sans expérience.

Les légions de la garde nationale, sur lesquels on avait fondé tant d'espoir, furent passées en revue par leur colonel-général; il leur parla de la Charte, de la tyrannie de Bonaparte; il leur annonça qu'il marcherait à leur tête, il leur dit : « Que ceux qui aiment le Roi sortent des rangs, et me suivent » : deux cents hommes se présentèrent à peine.

Les volontaires royaux, qui avaient fait tant de bruit quand ils croyaient vaincre sans péril, s'étaient dispersés successivement; et ceux d'entre eux que l'approche du danger n'avait point refroidis et intimidés étaient en trop petit nombre pour compter dans la balance.

Un seul et dernier espoir restait au gouvernement : c'était, je n'ose le dire, que Napoléon serait assassiné.

Les mêmes hommes qui avaient prêché la guerre civile, et déclaré qu'il serait honteux de ne pas l'avoir, souillèrent les murs de Paris de provocations aux meurtres et de louanges fanatiques données d'avance aux meurtriers. Des émissaires répandus dans les groupes cherchaient à mettre le poignard à la main à de nouveaux Jacques Clément. Un acte public avait proscrit Napoléon; un prix fut offert publiquement à celui qui apporterait sa tête. Cet appel au crime que, pour la première fois, les assassins de Coligny firent entendre à la France indignée, fut répété par des hommes qui, comme eux, avaient sans cesse à la bouche

les mots sacrés de morale, d'humanité, de religion, et qui comme eux n'étaient altérés que de vengeance el de sang.

Mais tandis qu'on conspirait à Paris son assassinat, Napoléon poursuivait paisiblement sa marche triomphale.

Parti de Grenoble le 9, il vint le soir même coucher à Bourgoing*: «« La foule et l'enthousiasme allaient en augmentant: il y a longtemps que nous vous attendions, disaient tous ces braves gens à l'Empereur, vous voilà enfin arrivé pour délivrer la France de l'insolence de la noblesse, des prétentions des prêtres et de la honte du joug de l'étranger.

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L'Empereur fatigué** était dans sa calèche allant au pas, environné d'une foule de paysans chantant des chansons, qui exprimaient toute la noblesse des sentiments des braves Dauphinois. «« Ah! dit l'Empereur, je retrouve ici les sentiments qu'il y a vingt ans me firent saluer la France du nom de la grande nation! Oui, vous êtes encore la grande nation, et vous le serez toujours. >>>>

On approchait de Lyon; l'Empereur s'était fait devancer par des émissaires, qui le firent prévenir que le comte d'Artois, le duc d'Orléans et le maréchal Macdonald voulaient défendre la ville, et qu'on allait couper le pont de la Guillotière et le pont Morand.

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*Les doubles guillemets continuent à faire connaître les passages extraits de la relation officielle.

** Il avait fait à cheval et plus souvent à pied la route de Cannes à Grenoble.

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