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pouvait avoir de doute sur les dispositions des Lyonnais, encore moins sur les dispositions des soldats; cependant il donna ordre au général Bertrand de réunir des bateaux à Mirbel, dans l'intention de passer dans la nuit, et d'intercepter les routes de Moulins et de Mâcon au Prince qui voulait lui interdire le passage du Rhône. A quatre heures une reconnaissance du quatrième de hussards arriva à la Guillotière et fut accueillie aux cris de Vive l'Empereur! par cette immense population d'un faubourg, qui toujours s'est distinguée par son attachement à la patrie.

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L'Empereur contremanda sur-le-champ le passage de Mirbel, et voulant, comme il l'avait fait à Grenoble, mettre à profit ce premier mouvement d'enthousiasme, il se porta au galop au faubourg de la Guillotière.

Le comte d'Artois moins heureux ne pouvait même réussir à opposer à son adversaire un simulacre de défense.

Il avait voulu détruire les ponts, et la ville s'y était opposée.

Les troupes, dont il avait cru acheter le dévouement par de l'argent, ou l'appât des récompenses, étaient restées sourdes à sa voix, à ses prières, à ses promesses. Passant devant le treizième régiment de dragons, il dit à un brave que des cicatrices et trois chevrons décoraient. « Allons, mon camarade, crie done Vive le Roi! Non, Monsieur, répond le brave dragon, aucun soldat ne combattra contre son père, je ne puis vous répondre qu'en disant Vive l'Empereur! » Confus et désespéré, il s'était écrié avec l'accent de la douleur : « Tout est perdu; » et ces mots propagés à l'instant

avaient encore fortifié la mauvaise volonté ou le découragement *.

Cependant le maréchal Macdonald, connu des troupes, était parvenu à faire barricader le pont de la Guillotière, et il y conduisait en personne deux bataillons d'infanterie, lorsque les hussards de Napoléon se présentèrent devant le pont, précédés, entourés et suivis de toute la jeunesse du faubourg.

Le maréchal contint les soldats pendant quelques moments; mais émus, séduits, entraînés par les provocations du peuple et des hussards, il se jetèrent sur les barricades, les rompirent, et furent bientôt dans les bras et dans les rangs des soldats de Napoléon.

Le comte d'Artois, prévoyant cette défection, avait quitté Lyon, non point accompagné d'un seul gendarme, mais escorté par un détachement du treizième de dragons commandé par le lieutenant Marchebout. Les troupes, on leur doit cet hommage, ne cessèrent point de le respecter, et il ne courut aucun risque**

A cinq heures du soir, la garnison toute entière s'élança au-devant de Napoléon.

Une heure après, l'armée impériale prit possession de la ville.

A sept heures Napoléon y fit son entrée solennelle, seul en avant de ses troupes, mais précédé et suivi

Ce fut une grande inconséquence de mettre le comte d'Artois en présence de Napoléon. Il était facile de prévoir, si ce prince succombait dans une ville de cent mille âmes contre huit cents hommes, que tout serait décidé.

** Le maréchal Macdonald ne fut point aussi heureux. Deux hussards, dont l'un était ivre, le poursuivirent et l'auraient arrêté si le maréchal n'eût été dégagé par son aide-de-camp.

d'une foule immense qui lui exprimait par des acclamations sans cesse renaissantes, l'ivresse, le bonheur et l'orgueil qu'elle éprouvait de le revoir. Il fut descendre à l'Archevêché, et se livra paisiblement à un doux repos, dans les mêmes lieux que Monsieur le comte d'Artois, cédant à son désespoir, venait d'arroser de ses larmes.

Napoléon confia sur-le-champ à la garde nationale la garde de sa personne, et la surveillance intérieure de son palais. Il ne voulut point accepter les services des gardes à cheval. « Nos institutions, leur dit-il, ne reconnaissent point de gardes nationales à cheval; d'ailleurs vous vous êtes si mal conduits avec le comte d'Artois que je ne veux point de vous. »

Effectivement, l'Empereur qui avait toujours respecté le malheur, s'était informé en arrivant de Monsieur le comte d'Artois et il avait appris que les nobles qui composaient en grande partie la garde à cheval, après avoir juré au Prince de mourir pour lui, l'avaient abandonné, à l'exception d'un seul d'entre eux qui était resté fidèlement attaché à son escorte jusqu'au moment où sa personne et sa liberté lui parurent hors de danger.

L'Empereur ne se borna point à donner des éloges à la conduite de ce généreux Lyonnais; «je n'ai jamais laissé, dit-il, une belle action sans récompense, » et il le nomma membre de la Légion d'Honneur.

Je me trouvais à Lyon au moment de l'arrivée de Napoléon, il le sut, et le soir même il me fit appeler: Eh bien! me dit-il en souriant; on ne s'attendait pas à me revoir si tôt*. - Non, Sire, il n'y a que Votre Ma

* Les personnes qui ont approché Napoléon savent qu'il recomman

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- Que

jesté en état de causer de semblables surprises. dit-on de tout cela à Paris? Mais, Sire, on s'y réjouit sans doute comme ici de l'heureux retour de Votre Majesté. Et l'esprit public, comment est-il? — Sire, il est bien changé ; autrefois nous ne songions qu'à la gloire, aujourd'hui nous ne songeons qu'à la liberté. La lutte qui s'est établie entre les Bourbons et la nation nous a révélé nos droits; elle a fait éclore dans les têtes une foule d'idées libérales qu'on n'avait point du temps de Votre Majesté; on sent, on éprouve le besoin d'être libre; et le plus sûr moyen de plaire aux Français serait de leur promettre et de leur donner des lois franchement populaires. Je sais que les discussions qu'ils ont laissé établir** ont déconsidéré et affaibli le pouvoir. Les idées libérales lui ont repris tout le terrain que je lui avais fait gagner. Je ne chercherai point à le reprendre, il ne faut jamais lutter contre une nation: c'est le pot de terre contre le pot de fer. Les Français seront contents de moi. Je sens qu'il y a du plaisir et de la gloire à rendre un grand peuple libre et heureux. Je donnerai à la France des garanties: je ne lui ai point épargné la gloire, je ne lui épargnerai point la liberté. Je ne garderai de pouvoirs que ce qu'il me faudra pour gouverner. Le pouvoir n'est point incompatible avec la liberté; jamais, au contraire, la liberté n'est plus entière que lorsque le pouvoir est bien

dait à ses secrétaires et aux officiers de sa maison de tenir note de ce qu'il avait dit et fait dans ses voyages. On a dû trouver aux Tuileries une foule de notes de cette nature dont la plupart offraient des détails du plus haut intérêt. J'ai conservé les miennes, et c'est d'après elles que j'ai écrit en grande partie cet ouvrage.

**Les Bourbons.

constitué. Quand il est faible, il est ombrageux; quand il est fort, il dort tranquille, et laisse à la liberté la bride sur le cou. Je sais ce qu'il faut aux Français; nous nous arrangerons: mais point de licence, point d'anarchie, car l'anarchie nous ramènerait au despotisme des républicains, le plus fécond de tous en actes tyranniques, parce que tout le monde s'en mêle.... Croit-on qu'on se battra? On ne le pense pas; le gouvernement n'a jamais eu la confiance des soldats; il s'est fait détester des officiers; et toutes les troupes qu'on opposera à Votre Majesté seront autant de renforts qu'on lui enverra. Je le pense aussi ; et les maréchaux? - Sire, ils doivent craindre que Votre Majesté ne se ressouvienne de Fontainebleau; et peut-être serait-il convenable de les rassurer, et de leur faire connaître personnellement l'intention où est Votre Majesté de tout oublier. Non, je ne veux point leur écrire, ils me regarderaient comme leur obligé je ne veux avoir d'obligation à personne. Les troupes sont bien disposées, les officiers sont bons et si les maréchaux voulaient les retenir ils seraient entraînés... Où est ma garde? Je la crois à Metz, et à Nancy. Je suis sûr d'elle; ils auront beau faire, ils ne la gateront jamais. Que font Augereau et Marmont? - Je l'ignore. Que fait Ney; comment est-il avec le Roi? Tantôt bien, tantôt mal; il a eu, je crois, à se plaindre de la cour à cause de sa femme. Sa femme est une précieuse, elle aura voulu faire la grande dame, et les vieilles douairières se seront moquées d'elle. Ney a-t-il un commandement? - Je ne le crois pas, Sire. Estil des nôtres ? - La part qu'il a prise à votre abdication.

MÉMOIRES. - I

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