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chise, qu'il n'était point étranger à ses malheurs. « J'ai été entraîné, dit-il, par la force des événements dans une fausse route. Mais instruit par l'expérience, j'ai abjuré cet amour de la gloire si naturel aux Français, qui a eu pour la France et pour moi tant de funestes résultats... Je me suis trompé en croyant que le siècle était venu de rendre la France le chef-lieu d'un grand empire; j'ai renoncé pour toujours à cette haute entreprise, nous avons assez de gloire, il faut nous reposer.

<< Ce n'est point l'ambition qui me ramène en France; c'est l'amour de la patrie. J'aurais préféré le repos de l'île d'Elbe aux soucis du trône, si je n'avais su que la France était malheureuse et qu'elle avait besoin de moi.

En mettant le pied sur notre chère France, » continua-t-il, après quelques réponses insignifiantes des auditeurs, « j'ai fait le vœu de la rendre libre et heureuse; je ne lui apporte que des bienfaits. Je reviens pour protéger et défendre les intérêts que notre révolution a fait naître; je reviens pour concourir avec les représentants de la nation à la formation d'un pacte de famille, qui conservera à jamais la liberté et les droits de tous les Français ; je mettrai désormais mon ambition et ma gloire à faire le bonheur de ce grand peuple duquel je tiens tout. Je ne veux point, comme Louis XVIII, vous octroyer une Charte révocable, je veux vous donner une constitution inviolable, et qu'elle soit l'ouvrage du peuple et de moi. »

Telles furent ses paroles. Il les prononça d'un air si satisfait, il paraissait si confiant en lui, et en l'avenir,

qu'on se serait cru coupable de douter de la pureté de ses intentions et du bonheur qu'il allait assurer à la France.

Le langage qu'il tint à Lyon ne fut point le même, comme on le voit, que celui qu'il avait fait entendre à Gap et à Grenoble. Dans ces dernières villes il avait cherché principalement à faire fermenter dans les têtes la haine des Bourbons, et l'amour de la liberté : il s'était plutôt exprimé en citoyen qu'en monarque. Aucun mot, aucune assurance formelle n'avait révélé ses intentions. On aurait pu penser qu'il songeait autant à rétablir la République, ou le Consulat que l'Empire. A Lyon, plus de vague, plus d'incertitude, il parle en souverain, et promet de donner à la France une constitution nationale l'idée du Champ de Mai lui était venue.

Aucun de nous ne suspecta la sincérité des promesses et des résolutions de Napoléon.

Le temps, la réflexion, le malheur, ce grand maître de l'homme, avaient opéré dans le caractère et les principes de Napoléon les plus favorables changements.

Autrefois, quand des obstacles imprévus venaient tout à coup contrarier ses projets; ses passions, habituées à n'être point contenues, à ne respecter aucun frein, se déchaînaient avec la fureur des flots en courroux; il parlait, il ordonnait, il décidait comme s'il eût été le maître de la terre et des éléments; rien ne lui paraissait impossible.

Depuis ses revers, il avait appris dans le calme de la solitude et de la méditation à commander à la violence de ses volontés, et à les soumettre au joug de la prudence et de la raison. Il avait lu attentivement les

écrits, les pamphlets, et mêmes les libelles publiés contre lui; et au milieu des injures, des calomnies et des absurdités que souvent ils renfermaient, il y avait trouvé des vérités utiles, des observations judicieuses, des vues profondes, dont il avait su faire son profit.

« Les princes, observe le savant auteur de l'Esprit des Lois, ont dans leur vie des périodes d'ambition, auxquelles succèdent d'autres passions, et même l'oisiveté. » L'heure de l'oisiveté n'était point encore sonnée pour Napoléon; mais à l'ambition d'accroître, sans mesure, sa puissance, avait succédé le désir de rendre la France heureuse, et de réparer, par une paix durable, et un gouvernement paternel, tous les maux que la guerre lui avait faits.

L'Empereur passa la soirée du 11 dans son cabinet ; sa première pensée fut pour l'Impératrice. Il lui écrivit une lettre fort tendre, qui commençait par ces mots remarquables : « Madame et chère épouse, je suis remonté sur mon trône. »

Il instruisit également le Prince Joseph* qu'il avait ressaisi sa couronne, et le chargea de faire connaître aux puissances étrangères, par l'intermédiaire de leurs ministres près la Confédération Helvétique, que ses intentions étaient de ne plus troubler le repos de l'Europe, et de maintenir loyalement le traité de Paris; il lui recommanda surtout de faire bien comprendre à l'Autriche et à la Russie combien il aspirait à rétablir avec elles, dans toute leur intimité, ses anciennes liaisons.

Il paraissait attacher un prix particulier à l'alliance

*Il était retiré en Suisse.

de la Russie; sa prédilection était sans doute fondée sur des raisons politiques faciles à concevoir : cependant, je crois qu'elle était également déterminée par les procédés généreux d'Alexandre envers les Français. Le renom et la popularité que ce Prince avait acquis en France, excitaient et devaient exciter la jalousie de Napoléon; mais cette jalousie, attribut des grandes âmes, ne le rendait point injuste: il savait apprécier Alexandre.

Napoléon, jusqu'alors, ne s'était occupé que d'enlever au Roi son armée, il pensa que le moment était venu de lui ravir aussi le sceptre de l'administration. «J'y suis décidé, me dit-il, je veux dès aujourd'hui anéantir l'autorité royale, et renvoyer les chambres ; puisque j'ai repris le gouvernement, il ne doit plus exister d'autre autorité que la mienne; il faut qu'on sache, dès à présent, que c'est à moi seul qu'on doit obéir.» Alors il me dicta successivement les décrets suivants connus sous le nom de décrets de Lyon.

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Lyon, le 13 mars 1815.

NAPOLÉON, Empereur des Français, etc., etc.

<< Considérant, que la Chambre des Pairs est composée en partie de personnes qui ont porté les armes contre la France, et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux; à la destruction de l'égalité entre les différentes classes; à l'annulation des ventes des domaines nationaux; et enfin à priver le peuple des droits qu'il a acquis par vingt-cinq ans de combats contre les ennemis de la gloire nationale;

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Considérant, que les pouvoirs des Députés du Corps législatif étaient expirés, et que dès lors la Chambre des Communes n'a plus aucun caractère national; qu'une partie de cette Chambre s'est rendue indigne de la confiance de la nation, en adhérant au rétablissement de la noblesse féodale abolie par la constitution acceptée par le peuple, en faisant payer par la France des dettes contractées à l'étranger pour tramer des coalitions, et soudoyer des armées contre le peuple Français, en donnant aux Bourbons le titre de Roi légitime, ce qui était déclarer rebelles le peuple Français et les armées, proclamer seuls bons Français, les émigrés qui ont déchiré pendant vingt-cinq ans le sein de la patrie, et violer tous les droits du peuple, en consacrant le principe que la nation était faite pour le trône, et non le trône pour la nation;

« Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Article I.

«La Chambre des Pairs est dissoute.

Article II.

« La Chambre des communes est dissoute; il est ordonné à chacun des membres convoqués et arrivés à Paris depuis le 7 mars dernier de retourner sans délai dans leurs domiciles.

Article III.

ང་

Les collèges électoraux des départements de l'empire seront réunis à Paris dans le courant du mois de

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