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examiner si le chef d'une nation a le droit de se dessaisir, sans son aveu, de l'autorité qui lui a été confiée, et si un gouvernement imposé par l'influence ou la force des armes des étrangers, réunit les caractères de légitimité que vous lui attribuez le temps ne nous permet point de nous livrer à cet examen : j'ai lu dans tous nos publicistes, qu'on devait obéissance au gouvernement de fait, et puisque l'Empereur a repris de fait le sceptre de l'État, je crois que ce que nous avons de mieux à faire est de nous soumettre à ses lois, sauf, ajoutai-je en plaisantant, à laisser à la postérité le soin de juger la question de droit entre Napoléon et Louis XVIII.

« Au surplus, continuai-je, je vous rends parfaitement le maître d'embrasser le parti que vous jugerez convenable, mon intention n'est point de surprendre votre opinion, ni de violenter votre conscience; ne regardez, je vous prie, les efforts que j'ai pu faire pour vous convaincre, que comme une preuve du désir de vous ramener à mon avis par l'ascendant de la raison. » Allons, Monsieur, me dit-il, je me rends à vos observations; veuillez nous annoncer à Sa Majesté. » Le lendemain il fut destitué!

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Le 16, nous couchâmes à Avallon. Napoléon y fut accueilli comme il l'avait été partout, c'est-à-dire, au milieu des démonstrations d'allégresse qui tenaient véritablement du délire : on se pressait, on s'étouffait, pour l'apercevoir, pour l'entendre, pour lui parler; son logement était en un instant entouré, assiégé par une foule si nombreuse, et si opiniàtre, qu'il nous était impossible d'entrer ou de sortir sans passer sur

le corps à toute la population du pays. Les hommes qui faisaient partie de la garde nationale voulaient rester en faction du matin au soir. Les femmes les plus distinguées de la ville passèrent le jour et la nuit dans les escaliers et dans les corridors, pour guetter son passage. Trois d'entre elles, fatiguées de s'être tenues debout toute la journée faute de sièges, nous demandèrent la permission de s'asseoir près de nous : c'était dans une salle, (contiguë à la chambre de l'Empereur), où l'on avait jeté à terre des matelas pour que nous puissions reposer quelques moments. Rien n'était plaisant comme de voir ces trois jeunes et élégantes bonapartistes groupées timidement sur un grabat, au milieu de notre sale bivouac. Nous cherchâmes à leur tenir compagnie, mais nos yeux se fermaient malgré nos efforts Dormez, nous dirent-elles, nous veillerons sur l'Empereur. Effectivement la fatigue l'emporta sur la galanterie, et bientôt nous nous endormîmes honteusement à leurs pieds. A notre réveil nous trouvâmes l'une de ces dames en faction à la porte de Napoléon; il le sut et la remercia de son dévouement en termes fort aimables et fort polis.

Ce fut à Avallon, je crois *, qu'un officier d'état-major vint nous apporter la soumission et l'ordre du jour du maréchal Ney **. On imprima dans la nuit cet

* Je n'ose l'affirmer, ayant confondu dans mes notes Châlons, Avallon, etc.

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Le Maréchal, Prince de la Moskowa, aux troupes

de son Gouvernement.

Officiers, sous-officiers et soldats!

La cause des Bourbons est à jamais perdue. La dynastie légitime que

ordre du jour, mais l'Empereur, après l'avoir relu, le fit changer et réimprimer; j'ignore si Sa Majesté jugea convenable de l'altérer, ou si l'imprimeur avait commis quelque méprise.

L'Empereur arriva le 17 à Auxerre, et pour la première fois il fut reçu par un Préfet. Il descendit à la préfecture. Sur la cheminée du premier salon se trouvait le buste de l'Impératrice et de son fils, et dans le salon suivant, le portrait en pied de Napoléon, revêtu de ses ornements impériaux on aurait pu croire que le régne de l'Empereur n'avait jamais été interrompu. Napoléon reçut immédiatement les félicitations de toutes les autorités et des tribunaux; ces félicitations commençaient à n'être plus à nos yeux un acte de dévouement, mais l'accomplissement d'un devoir. Après s'être entretenu avec les uns et les autres des grands

la nation française a adoptée va remonter sur le trône c'est à l'Empereur Napoléon, notre souverain, qu'il appartient seul de régner sur notre beau pays. Que la noblesse des Bourbons prenne le parti de s'expatrier encore, ou qu'elle consente à vivre au milieu de nous, que nous importe! La cause sacrée de la liberté et de notre indépendance ne souffrira plus de leur funeste influence. Ils ont voulu avilir notre gloire militaire, mais ils se sont trompés cette gloire est le fruit de trop nobles travaux pour que nous puissions jamais en perdre le souvenir. Soldats! les temps ne sont plus où l'on gouvernait les peuples en étouffant leurs droits. La liberté triomphe enfin, et Napoléon, notre auguste Empereur, va l'affermir à jamais. Que désormais cette cause si belle soit la nôtre et celle de tous les Français que tous les braves que j'ai l'honneur de commander se pénètrent de cette grande vérité. Soldats! Je vous ai souvent menés à la victoire, maintenant je vais vous conduire à cette phalange immortelle que l'Empereur Napoléon conduit à Paris, et qui y sera sous peu de jours, et là notre espérance et notre bonheur seront à jamais réalisés. Vive l'Empereur!

Lons-le-Saulnier, le 13 mars 1815.

Le maréchal d'Empire,

Prince DE LA MOSKOWA.

intérêts de l'État, l'Empereur, dont la bonne humeur était inépuisable, se mit à plaisanter sur la cour de Louis XVIII. « Sa cour, dit-il, a l'air de celle du Roi Dagobert; on n'y voit que des antiquailles, les femmes y sont vieilles et laides à faire peur, il n'y avait de jolies femmes que les miennes, mais on les traitait si mal qu'elles ont été forcées de la déserter. Tous ces gens-là n'ont que de la morgue et de la fierté; on m'a reproché d'être fier; je l'étais avec les étrangers; mais jamais on ne m'a vu souffrir que mon Chancelier mît un genou en terre pour prendre mes ordres; ni obliger mes préfets et mes maires à servir à table mes courtisans et mes douairières *. On dit que les hommes de la cour ne valent guère mieux que les femmes, et que pour se distinguer de mes généraux, que j'avais couverts d'or, ils y vont vêtus comme des pauvres. Ma cour, il est vrai était superbe ; j'aimais le luxe, non pour moi, un frac de soldat me suffit, je l'aimais parce qu'il fait vivre nos ateliers: sans luxe point d'industrie. J'ai aboli à Lyon toute cette noblesse à parchemin, elle n'a jamais senti ce qu'elle me devait; c'est moi qui l'ai relevée, en faisant des comtes et des barons de mes meilleurs généraux. La noblesse est une chimère, les hommes sont trop éclairés pour croire qu'il y en a parmi eux qui sont nobles et d'autres qui ne le sont pas; ils

* Il faisait allusion à l'installation du conseil d'État, où le chancelier mit effectivement un genou en terre pour demander et recevoir les ordres du roi.

Et au banquet de la ville, où le préfet, sa femme et le corps municipal servirent à table le roi et sa suite composée de quarante dames de l'ancienne cour, et de quatre dames seulement de la nouvelle noblesse, parmi lesquelles se trouvaient les deux épouses des maréchaux de service.

descendent tous de la même souche, la seule distinction est celle des talents et des services rendus à l'État : nos lois n'en reconnaissent point d'autres. >>

L'Empereur en arrivant à Auxerre avait cru y trouver le maréchal Ney. « Je ne conçois pas dit-il au général Bertrand, pourquoi Ney n'est point ici; cela me surprend et m'inquiète; aurait-il changé d'idées ? Je ne le crois pas Il n'aurait point laissé Gamot * se compromettre. Cependant il faut savoir à quoi s'en tenir, voyez cela.» Quelques heures après le maréchal arriva; il était environ huit heures du soir, le comte Bertrand vint en prévenir l'Empereur. « Le maréchal avant de se présenter devant Votre Majesté, lui dit-il, veut recueillir ses idées, et justifier par écrit la conduite qu'il a tenue avant et depuis les événements de Fontainebleau. Qu'ai-je besoin de justification? répondit Napoléon; dites-lui bien que je l'aime toujours, et que je l'embrasserai demain. » Il ne voulut point le recevoir le jour même, pour le punir de s'être fait attendre.

Le lendemain, l'Empereur, en l'apercevant, lui dit : << Embrassez-moi, mon cher maréchal, je suis bien aise de vous voir. Je n'ai pas besoin d'explications ou de justification: je vous ai toujours honoré et estimé comme le brave des braves. Sire, les journaux ont avancé un tas de mensonges que je voulais détruire; ma conduite a toujours été celle d'un bon soldat et d'un bon Français. Je le sais, aussi n'ai-je point douté de votre dévouement. Vous avez eu raison, Sire. Votre Majesté pourra toujours compter sur moi, quand il s'agira de la patrie... c'est pour la patrie que j'ai versé mon

* M. Gamot, préfet d'Auxerre, avait épousé la sœur de madame Ney

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