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leurs intérêts les plus chers et leurs droits les plus précieux.

La Garde Impériale avait trop de gloire pour ne point offusquer les émigrés, trop de patriotisme pour ne point les alarmer : elle fut éloignée. Les murmures qu'elle fit entendre lors de l'entrée du Roi motivèrent, dit-on, cette rigueur*. Mais n'avait-on pas excité soimême ces murmures? N'avait-on pas manqué de générosité en obligeant ces braves, dont la douleur et la fidélité devaient être respectées, à marcher devant le char de triomphe du nouveau monarque? Je les vis, ces nobles guerriers; leurs regards abattus, leur morne silence exprimaient ce qui se passait au fond de leur àme tout entiers à leurs tristes pensées, ils semblaient ne rien voir, ne rien entendre; en vain les Parisiens attendris les saluaient des cris de Vive la Garde Impériale! Ces cris, qu'ils méprisaient peut-être, n'arrivaient plus jusqu'à leurs cœurs; soumis aux ordres suprêmes, ils avaient été appelés là pour marcher, ils marchaient, et c'était tout.

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On se hâta de les éloigner et de les remplacer par des troupes de ligne. Ces troupes nouvelles ne tardèrent point à faire éclater elles-mêmes leur propre mécontentement.

On les indisposa en brisant leur ancienne organisation, et en introduisant dans leurs rangs des officiers inconnus.

Je ne puis mieux repousser, en général, cette imputation de mutinerie qu'en citant les paroles suivantes arrachées à M. de Montesquieu le 14 mars par la force de la vérité. Depuis dix mois, dit-il, dans le corps de la Vieille Garde, en garnison à Metz, pas un soldat ni un seul officier n'a été réprimandé une seule fois.

On les dégoûta du service en les fatiguant par des manœuvres et des revues perpétuelles, ordonnées non plus pour leur instruction, mais pour celle de leurs nouveaux chefs.

On les humilia en les maltraitant; en les contraignant de porter les armes aux Gardes du Corps qu'elles avaient pris en aversion: et l'on sait qu'on n'humilie pas en vain l'amour-propre français*.

L'amour-propre chez le soldat est le véhicule de la gloire. C'est en le flattant, c'est en l'élevant par des proclamations dignes de l'antiquité, que Napoléon dans ses immortelles campagnes d'Italie parvint à ranimer le courage de son armée, et à faire de chaque soldat un héros.

C'est en l'humiliant, cet amour-propre, par le mépris des victoires nationales, par des airs de hauteur et de fierté, par le vain étalage de la supériorité de la naissance et du rang, que les nouveaux chefs donnés à l'armée s'aliénèrent sa confiance et son affection.

Cependant ce n'était point là l'exemple ni les préceptes qu'ils recevaient journellement du plus grand et

* Le rétablissement de la maison du roi déplut à tout le monde et excita particulièrement le mécontentement et la jalousie de la garnison de Paris.

Les soldats de la ligne et les gardes nationaux de service aux Tuileries, ne pouvant se soumettre à regarder les gardes du corps comme étant au-dessus d'eux, s'abstenaient la plupart du temps de leur porter les armes. Ils se plaignirent, et l'ordre fut donné à la troupe de ligne seulement, de leur rendre, sous peine de punition, les honneurs militaires qui leur étaient dûs. De jeunes gardes du corps, fiers de cette victoire, prirent plaisir à passer et repasser sans cesse devant les factionnaires, et à les forcer chaque fois de rendre respectueusement hommage à leurs épaulettes, etc. L'on sent facilement combien cet enfantillage, qui ne fut pas réprimé, dút humilier et blesser les vieux soldats de Napoléon.

du plus redoutable de nos ennemis. Ce Prince, qu'il est inutile de nommer, au lieu de chercher à rabaisser la gloire des Français, se plaisait à rendre un hommage sans cesse renouvelé à leurs talents, à leur bravoure. Les généraux qui l'approchaient n'étaient point accueillis par lui avec ce dédain déguisé qu'on prodigue aux vaincus, mais avec la franche estime qu'inspire la valeur; et avec les égards, j'ai presque dit le respect, qu'on doit à une noble infortune. Si quelquefois il se trouvait entraîné par la nature de ses entretiens à rappeler nos revers, il en adoucissait le souvenir en donnant des éloges animés aux efforts que nous avions faits pour lui arracher la victoire, et semblait s'étonner lui-même de n'avoir point succombé.

Quel effet cette magnanime générosité ne devait-elle pas produire sur le cœur de nos guerriers, quand ils la comparaient aux efforts qu'on faisait pour empoisonner le souvenir qui leur restait de leurs triomphes! - souvenir qui seul pouvait les consoler de leurs malheurs et les leur rendre supportables.

Cependant la plupart des officiers et des généraux s'étaient ralliés franchement à la cause royale; et si quelques-uns moins confiants montraient encore de la tiédeur ou de l'éloignement, il eût été facile de les ramener, soit avec ces mots flatteurs si bien placés dans la bouche des rois, soit en donnant à leur ressentiment le temps de s'apaiser de soi-même.

Lorsque ce Roi, qu'on ne se lasse point d'entendre nommer, lorsque Henri IV se rendit maître de son trône, quelques ligueurs fanatiques, auxquels il avait

pardonné, continuèrent à se répandre contre lui en injures et en menaces; on lui proposa de les punir : Non, dit-il, il faut attendre; ils sont encore fâchés. Ah! pourquoi ces hommes qui sans cesse invoquaient le bon Henri ne cherchaient-ils point à l'imiter! mais au lieu de donner à nos généraux le temps de n'être plus fâchés, il les aigrissaient chaque jour par de nouveaux outrages et ne les traitaient plus que comme des brigands et des rebelles qui devaient s'estimer heureux qu'on eût daigné leur pardonner. C'était pour l'armée de Condé, pour les Vendéens, pour les Chouans qu'on réservait les éloges et les grâces; on menaçait d'une destruction sacrilège les arcs de triomphes destinés à consacrer les exploits de nos armées, et l'on proposait avec emphase d'élever un monument à la mémoire. des Vendéens et des émigrés morts à Quiberon. Sans doute, ils étaient dignes de nos regrets et de nos larmes, ces Français égarés; mais n'étaient-ils point descendus les armes à la main sur le sol sacré de la patrie? N'étaient-ils pas les auxiliaires ou les salariés de nos implacables ennemis les Anglais, et pouvait-on les honorer comme d'illustres victimes, sans ne pas déclarer que leurs vainqueurs n'étaient que des meurtriers ou des bourreaux?

Les titres de noblesse que nos braves avaient obtenus en répandant leur sang pour la patrie étaient dénigrés publiquement, et publiquement on anoblissait Georges Cadoudal dans la personne de son père, pour avoir égorgé des Français et tenté de commettre un parricide.

Georges, en voulant attenter à la vie de Napoléon,

MÉMOIRES. - I

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s'était rendu coupable d'une action que les lois divines et humaines regardent et punissent comme un crime. Ériger ce crime en vertu, lui décerner une récompense éclatante, c'était encourager l'assassinat, le régicide; c'était compromettre la vie de Louis XVIII et de tous les rois, et proclamer ce principe, aussi dangereux qu'antisocial, qu'un individu a le droit de juger de la légitimité de son souverain et d'attenter à sa vie si son pouvoir lui paraît usurpé.

L'anoblissement de la famille de Georges n'était point le seul scandale donné à l'armée et à la France. Des titres honorifiques, des grades, des pensions furent portés dans la Vendée aux Chouans les plus horriblement célèbres, et distribués, au grand jour, sous les yeux des victimes de leurs brigandages et de leur férocité *.

Ce n'était point encore assez pour la faction dominante de chercher à élever les hommes, qui avaient combattu la France, au-dessus de ceux qui l'avaient défendue et illustrée, il fallait encore rabaisser et détruire les institutions qui pouvaient rappeler les services et la gloire des défenseurs de la patrie.

On commença d'abord, au mépris des promesses les plus saintes, à dépouiller la Légion d'Honneur de ses prérogatives. On fit insinuer ensuite dans les feuilles.

Les Chouans ne perdaient jamais l'occasion d'un meurtre. Ils portaient le fusil en conduisant la charrue, et souvent ils arrosaient de sang le sillon qu'ils creusaient. C'était surtout contre les prêtres assermentés, contre les acquéreurs de domaines nationaux, qu'ils employaient tous les raffinements de la barbarie. Ils surprenaient rarement une ville sans rançonner les habitants, sans égorger ceux qui étaient désignés à leur haine, etc. Lacretelle, Précis de la Révolution.

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