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tages de son zèle infatigable, et de sa sévère probité. Le duc de Vicence* fut replacé au timon des affaires étrangères. La droiture de ses principes, la fermeté, la noblesse et l'indépendance de son caractère, lui avaient acquis, à juste titre, l'estime de la France et de l'Europe; et sa nomination fut regardée comme un gage des intentions loyales et pacifiques de Napoléon.

Le duc de Gaëte et le comte Mollien redevinrent ministres des finances et du Trésor. Ils s'étaient conciliés la confiance publique par l'habileté, la prudence et l'intégrité de leur précédente administration; on applaudit à leur choix.

Le duc d'Otrante fut chargé de la police: il avait tenu le gouvernail de l'État dans des circonstances difficiles et périlleuses; il avait appris à juger sainement l'esprit public, à deviner, à préparer, à diriger les événements. Ayant appartenu successivement à tous les partis, il en

* Le duc de Vicence, convaincu de l'inutilité des efforts que ferait Napoléon pour établir des relations diplomatiques avec les puissances étrangères, refusa d'accepter le ministère. L'Empereur l'offrit à M. Molé. M. Molé objecta qu'il était entièrement étranger à la diplomatie, et pria Napoléon de faire un autre choix. Napoléon et ses autres ministres pressèrent tellement alors le duc de Vicence, que celui-ci se fit un devoir de céder. Il aurait préféré que l'Empereur lui eût donné un commandement dans l'armée, où du moins il aurait pu trouver l'occasion de servir utilement la patrie et l'Empereur.

Le ministère de l'intérieur, destiné d'abord à M. Costaz, fut également proposé à M. Molé, et finit par être donné à M. Carnot, sur la proposition du duc de Bassano.

L'Empereur ne fut point content des refus opiniâtres de M. Molé; il aimait son nom, et faisait cas de ses talents. Il avait eu l'intention de le nommer gouverneur du Prince Impérial, et ce fut à cette pensée que M. Molé dut principalement le haut rang auquel il avait été élevé si rapidement.

Néanmoins, M. Molé demanda et obtint la direction générale des ponts et chaussées, qu'il occupait en 1813, avant d'être appelé au ministère de la justice.

connaissait la tactique, les ressources, les prétentions; et la nation entière, convaincue de son expérience, de ses talents et de son patriotisme, espérait qu'il concourrait avec succès au salut de l'Empereur et de l'Empire.

Le rappel du duc de Bassano au ministère de la secrétairerie d'État déplut à la cour, et aux gens crédules, qui n'ayant d'autre opinion que celle qu'on leur suggère, accueillent sans discernement les éloges ou le blâme. Peu d'hommes ont été aussi maltraités que ce ministre.

Chacun s'est plu à défigurer son caractère et même ses traits.

Le duc de Bassano avait l'air ouvert, une conversation agréable, une politesse toujours égale, une dignité quelquefois affectée, mais jamais offensante; un penchant naturel à estimer les hommes, de la grâce à les obliger, de la persévérance à les servir. La faveur dont il jouissait fut d'abord le prix d'une facilité de travail sans exemple, d'une activité infatigable, d'intentions pures, de vues élevées, d'une probité à toute épreuve, j'ajouterai même d'une santé de fer, car la force physique était également une qualité aux yeux de Napoléon. Plus tard elle devint le juste retour d'un dévouement à toute épreuve, d'un dévouement qui, par sa force, sa vivacité et sa constance, semblait être un mélange d'amour et d'amitié.

Je crois, je l'avoue, que M. Bassano le plus souvent partageait et approuvait sans restriction les opinions de l'Empereur; mais ce n'élait point par calcul, par bassesse; l'Empereur était l'idole de son cœur, l'objet de son admiration; avec de semblables sentiments, lui

était-il possible d'apercevoir les erreurs et les torts de Napoléon? Obligé d'ailleurs, de manifester sans cesse les idées de l'Empereur, et de se pénétrer, pour ainsi dire, des émanations de son esprit, il s'était identifié avec sa manière de penser et de voir, et voyait et pensait comme lui, de la meilleure foi du monde. Ce n'est pas qu'il ne lui arrivât quelquefois de différer de sentiment: mais il finissait toujours, quels que soient ses efforts, par succomber à l'ascendant irrésistible qu'exerçait sur lui, comme sur tous les autres, le génie de Napoléon.

Le duc de Decrès fut appelé de nouveau au ministère de la marine; et ce choix inattendu fut complètement désapprouvé. Ce ministre était homme de tête, homme d'esprit, homme de cœur, mais par le peu d'importance qu'il paraissait attacher à être juste ou injuste, par son cynisme et son brutal mépris pour ses subordonnés, il s'était attiré l'aversion de tous ceux qui l'approchaient, et comme le mal gagne facilement, celte aversion, quoique injuste, était devenue générale.

Le mécontentement qu'excita cette nomination fut réparé par le bon effet que produisit celle de M. Carnot au ministère de l'intérieur. Les soldats n'avaient pas oublié qu'il avait organisé la victoire pendant de longues années, et les citoyens se rappelaient avec quel zéle ce courageux patriote s'élait montré, sous Napoléon, Consul et Empereur, et sous Louis XVIII, le défenseur de la liberté publique. Pour être un véritable patriole, a dit un de nos célèbres écrivains, il faut une âme grande; il faut des lumières, il faut un cœur hon

MÉMOIRES.

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nête, il faut de la vertu. M. Carnot réunissait toutes ces rares et précieuses conditions: et loin de retirer personnellement quelque lustre de ce beau nom de patriote, il semblait au contraire l'embellir en le portant, tant il avait su lui conserver sa pureté primitive au milieu de l'avilissement où l'avaient plongé les excès de la révolution, et les outrages du despotisme.

Le choix d'un tel ministre fut considéré comme une garantie nationale. Le souverain, qui ne craignait pas d'associer au gouvernement de l'État cet illustre citoyen ne pouvait avoir que la généreuse pensée d'assurer le bonheur de ses sujets et de respecter leurs droits. L'Empereur donna le même jour le commandement général de la gendarmerie au duc de Rovigo.

Le duc de Rovigo, ancien aide-de-camp de Napoléon, lui avait juré par sentiment et par reconnaissance un dévouement éternel; ce dévouement, né dans les camps avait conservé le caractère de l'obéissance militaire; un mot, un geste, suffisait pour le mettre en action. Mais quelle que soit sa force et, si l'on veut, son fanatisme, il n'altéra jamais la droiture et la franchise qui faisaient l'ornement et la base du caractère du duc.

Personne plus que lui, si ce n'est le duc de Vicence, ne faisait entendre à l'Empereur des vérités plus utiles et plus hardies; vingt fois il osa lui dire, sa correspondance ministérielle en fait foi, que la France et l'Europe étaient fatiguées de verser du sang, et que s'il ne renonçait point à son système de guerre, il serait abandonné par les Français et précipité du trône par les étrangers.

Le commandement de la gendarmerie fut ôté au ma

réchal Moncey, non point par défiance ou mécontentement, mais parce que le maréchal montra peu d'empressement à le conserver. Il écrivit à cette occasion à l'Empereur une lettre pleine de beaux sentiments, et dans laquelle il le priait de reverser sur son fils les bontés qu'il avait eues autrefois pour lui. Il était difficile de concilier la reconnaissance due à Napoléon avec la fidélité promise au Roi : il eut le bonheur d'y réussir.

Tous les maréchaux ne furent point aussi heureux. M. de Montalivet, jadis ministre de l'intérieur, devint intendant de la liste civile, cela lui convenait davantage. En administration, ainsi qu'en beaucoup de choses, le mieux est ennemi du bien, et M. de Montalivet en ne voulant négliger aucun détail, en cherchant à tout perfectionner, avait perdu, à s'occuper de vaines futilités, le temps qu'il aurait pu consacrer à travailler en grand au bien-être général.

La plus étrange métamorphose fut celle du duc de Cadore on en fit un intendant des bâtiments.

« Soyez plutôt maçon, si c'est votre métier. »

Cette place, jusqu'alors le modeste apanage des auditeurs ou des maîtres des requêtes en crédit, fut toute étonnée d'avoir l'honneur d'appartenir à un duc et Pair, ex-ambassadeur, ex-ministre, ex-grand chancelier, etc., etc., etc. Tel était alors le dévouement de son Excellence pour le souverain du jour qu'elle aurait volontiers accepté une place d'huissier s'il n'y en avait pas eu d'autre à lui offrir.

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