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Le conseil d'État fut réorganisé sur l'ancien pied, et composé à peu près de ses mêmes membres.

L'Empereur, en rendant ostensiblement sa confiance. à quelques-uns d'entre eux réprouvés par l'opinion, ne fut ni sage ni politique. On attribuait à leurs serviles conseils, les usurpalions du pouvoir impérial, et leur présence près du trône ne pouvait que renouveler des souvenirs et des inquiétudes qu'il importait essentiellement de détruire sans retour. Si leur expérience et leur mérite les rendaient nécessaires, il fallait les consulter dans l'ombre, mais ne point les offrir en spectacle aux regards publics. Un gouvernement solidement constitué peut quelquefois braver l'opinion, un gouvernement naissant doit la respecter et s'y soumettre.

Les aides-de-camp de l'Empereur, à l'exception, je crois du général Lauriston, qu'il ne voulut point reprendre, furent tous rappelés; il ne pouvait s'entourer d'officiers plus dignes de sa confiance par l'élévation de leur âme et la supériorité de leurs talents. Leur nombre fut augmenté des généraux Le Tort et Labedoyère. L'Empereur, trompé par de fausses apparences*, avait ôté au premier le commandement des dragons de la garde, et pour réparer cette injustice involontaire, il le fit aide-de-camp. La même faveur fut décernée à Labedoyère, en récompense de sa conduite à Grenoble, mais il ne répondit aux bontés de Napoléon que par un refus formel: « Je ne veux point, dit-il hautement, qu'on puisse croire que je me suis rallié à l'Empereur par l'appât des récompenses. Je n'ai embrassé sa cause que * Adresse du général Le Tort au roi.

si

parce qu'elle était celle de la liberté et de la patrie; ce que j'ai fait peut être utile à mon pays, l'honneur de l'avoir bien servi me suffira; je ne veux rien de plus; l'Empereur personnellement ne me doit rien. »

Ce noble refus ne surprendra point ceux qui ont pu connaître et apprécier le patriotisme et le désintéressement de ce brave et malheureux jeune homme.

Lancé de bonne heure dans le monde, il s'y conduisit, d'abord, comme on s'y conduit ordinairement quand on a une jolie figure, de la grâce, de l'esprit, un nom, de la fortune et point d'expérience. Rendu bientôt à lui-même, il sentit qu'il n'était point né pour vivre dans la dissipation, et sa conduite devint aussi honorable qu'elle avait été irrégulière, son esprit, ramené à de sérieuses occupations, se dirigea vers les spéculations politiques; son âme, naturellement fière et indépendante, se forma, s'agrandit et s'ouvrit aux idées libérales, et aux nobles sentiments qu'inspire l'amour de la gloire et de la patrie. La nature en le douant d'un caractère élevé, ferme et audacieux, l'avait sans doute destiné à jouer un rôle important dans ce monde; et si la mort, et quelle mort! ne l'eût frappé à la fleur de l'âge, il aurait sans doute accompli sa brillante destinée et fait honneur à la France.

L'empereur lui fit parler par diverses personnes, et après trois jours de négociations, Labedoyère capitula. Napoléon tenait à le récompenser. Dans les circonstances ordinaires il voyait avec indifférence les efforts qu'on faisait pour lui plaire, jamais il ne disait je suis content; et l'on augurait qu'on avait réussi à le satisfaire, quand il ne témoignait point de mécontentement:

MÉMOIRES. - I

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si au contraire, les services qu'on lui avait rendus, tels que ceux de Labedoyère, avaient eu de l'éclat, il prodiguait alors les éloges et les récompenses parce qu'il avait deux buts: l'un de paraître juste et généreux; l'autre d'inspirer de l'émulation. Mais souvent le jour même où il vous avait donné des louanges et des gages de sa satisfaction, il vous traitait avec dédain, avec dureté, pour ne point vous laisser attacher trop d'importance au service que vous aviez pu lui rendre, ni vous laisser croire qu'il avait contracté avec vous une obligation quelconque.

L'Empereur remplaça près de sa personne la plupart des chambellans, des écuyers, et des maîtres de cérémonies qui l'entouraient en 1814; il avait conservé sa passion malheureuse pour les grands seigneurs d'autrefois, il lui en fallait à tout prix: s'il n'eût point été entouré de l'ancienne noblesse, il se serait cru en république.

Le plus grand nombre d'entre eux (car il en est qui méritent la plus honorable exception, tels que M. le prince de Beauveau, MM. de Turenne, de Montholon, de Las Cases, Forbin de Janson, Perregaux, etc., etc.) l'avaient lâchement renié en 1814, et étaient devenus les plats valets des Bourbons, mais il n'en voulait rien croire. Il avait la faiblesse, commune à tous les princes, de regarder ses courtisans les plus bas comme ses sujets les plus dévoués.

Il voulut aussi organiser la maison de l'Impératrice et renomma dames du palais Mesdames de Bassano, de Vicence, de Rovigo, Duchâtel et Marmier; la duchesse de M*** ne fut point rappelée. Il avait su par le prince

Joseph qu'elle avait abusé, après les événements de Fontainebleau, de la confiance de l'Impératrice, et trahile secret de sa correspondance.

On prétendait, et c'était à tort, que les grâces et la beauté de la duchesse lui avaient autrefois attiré les hommages de Napoléon, et l'on ne manqua point d'affirmer que sa disgrâce était une nouvelle preuve de l'inconstance des hommes; j'en ai dit la seule et véritable cause.

La corruption des cours légitime souvent une foule de suppositions mensongères; peu de réputations leur échappent. Cependant on doit rendre cette justice à Napoléon: aucun prince n'eut des mœurs plus pures, et ne prit autant de soin d'éviter et même de réprimer le scandale on ne le vit jamais, comme Louis XIV, se faire suivre à l'armée par ses maîtresses, ni se déguiser comme Henri IV en portefaix, ou en charbonnier, pour aller porter le désespoir et la honte dans les familles de ses plus fidèles serviteurs.

Par un contraste assez remarquable, Napoléon, au moment où il reprenait avec délice sa haute livrée, fit mettre impitoyablement à la porte les laquais qui avaient servi Louis XVIII et les princes.

« De tout temps les petits ont payé pour les grands. »

Ces pauvres gens étaient désolés. On a dit et répété cent fois que Napoléon maltraitait et frappait à tort et à travers tous ceux qui l'approchaient; rien n'est plus faux. Il avait des moments d'impatience et de vivacité, et quel est le bon bourgeois qui n'en a point? mais en général, il était avec les officiers, et mêmes les subal

ternes de sa maison, d'un commerce aisé, et d'une humeur plus souvent enjouée que sérieuse. Il s'attachait facilement, et quand il aimait quelqu'un, il ne pouvait plus s'en passer, et le traitait avec une bonté qui dégénérait souvent en faiblesse. Il est vrai qu'il lui aurait été bien difficile de trouver des serviteurs plus dévoués et plus habiles; chacun d'eux s'était fait une étude particulière de devenir non pas ce qu'il voulait, mais ce qu'il pourrait vouloir.

Les esclaves volontaires, a dit Tacite, font plus de tyrans que les tyrans ne font d'esclaves. » Quand on se rappelle les prévenances, les bassesses et les adulations de certains nobles devenus courtisans de Napoléon, on s'élonne qu'à l'exemple d'Alexandre il n'ait point eu l'idée de se faire adorer comme un Dieu.

Les comtes Drouot et Bertrand furent maintenus dans leurs fonctions de grand maréchal du Palais, et de major-général de la garde. On avait pensé que l'Empereur, pour consacrer leur fidélité, leur conférerait les titres de duc de Porlo-Ferrajo et de PortoLongone. Il n'en fut rien. Ils étaient bien récompensés au surplus par la vénération qu'ils inspiraient l'un et l'autre aux Français et aux étrangers. Cependant, et je ne puis concevoir pourquoi, l'on ajoutait généralement un prix plus grand au dévouement du général Bertrand.

Lorsque l'Empereur déposa la couronne, le comte Drouot n'hésita point un seul instant à lui garder dans le malheur la fidélité qu'il lui avait jurée dans la prospérité; et cette fidélité ne fut point à ses yeux un témoignage d'attachement, encore moins un sacrifice,

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