Page images
PDF
EPUB

elle ne lui parut que l'accomplissement naturel du devoir qui lui était imposé par les bontés et les malheurs de Napoléon.

Il abandonna pour le suivre, et ce que les âmes bien nées ont de plus cher, sa famille et sa patrie, et sa carrière militaire dans laquelle il avait acquis la plus glorieuse renommée.

Transporté au milieu des mers, il tournait souvent ses regards vers le sol qui l'avait vu naître; jamais aucun regret, aucune plainte, ne s'échappaient de son cœur. Sa conscience était satisfaite, pouvait-il être malheureux? Aussi désintéressé au service du souverain de l'île d'Elbe, qu'il l'avait été au service de l'Empereur des Français *, il ne voulut, quoique pauvre, recevoir de Napoléon aucun bienfait : « Habillez-moi, nourrissez-moi, lui disait-il, je n'ai besoin de rien de plus. » Les offres les plus séduisantes lui furent prodiguées, pour le rappeler près des Bourbons; il y fut insensible, et préféra sans effort, à l'éclat de leur trône, le rocher de Napoléon.

Tel fut le général Drouot, tel fut aussi son digne émule le comte Bertrand, car il n'exista point de différence dans leurs généreux procédés, comme il ne devrait point en exister dans l'admiration qu'ils méritent.

L'Empereur lui-même ne fut point étranger à cette injustice; il semblait donner toute la préférence au comte Bertrand. Cette différence tenait, je crois, à l'espèce

* Il refusa constamment le traitement et les frais de bureaux considérables attachés au grade de major-général de la garde. Les appointements de lieutenant-général et d'aide-de-camp lui paraissaient suffisants pour le payer plus qu'il ne valait.

d'intimité, que les fonctions de grand maréchal avaient établie entre l'Empereur et lui; peut-être provenaitelle aussi de la convenance des caractères :

Bertrand, aimable, spirituel, insinuant, unissait à un air distingué, les formes agréables et polies d'un courtisan. Faible, irrésolu dans les actions ordinaires de la vie, il ne le cédait à personne en fermeté, en courage dans les occasions difficiles et périlleuses ; étranger à l'intrigue, inaccessible à la séduction, il était dans les camps, comme dans les palais des rois, un homme d'honneur, un homme de bien.

Drouot, simple dans ses manières, affectueux dans ses paroles, offrait ce rare assemblage des vertus qui nous font aimer les sages de l'antiquité, et les héros de la chevalerie. Il avait la sagesse, la prudence d'Aristide, la valeur, la modestie, la loyauté de Bayard. Le crédit dont il jouissait, le pouvoir militaire dont il était revêtu, ne lui inspiraient aucun orgueil : il était aussi humble et timide à la cour, qu'audacieux et terrible au champ d'honneur.

Bertrand, quand il était consulté, émettait son opinion avec la précaution et l'habileté d'un homme de cour; Drouot, avec la netteté et la franchise d'un soldat aucun d'eux ne trahissait sa conscience. Leur langage, quoique différent dans les formes, était toujours le même quant au fond: c'était toujours celui de l'honneur et de la vérité.

L'Empereur, quoique très fatigué par les marches nocturnes, les revues, les allocutions perpétuelles et les travaux de cabinet, qui depuis trente-six heures avaient absorbé tous ses moments, voulut néanmoins

passer en revue les troupes qui composaient précédemment l'armée du duc de Berri.

Il les fit rassembler dans la cour des Tuileries, et, pour me servir de ses expressions, « toute la capitale ful témoin des sentiments d'enthousiasme et d'attachement qui animaient ces braves soldats; ils semblaient avoir reconquis leur patrie, et retrouvé dans les couleurs nationales, le souvenir de tous les sentiments généreux qui ont toujours distingué la nation Française. >>

Après avoir parcouru les rangs, il fit former les troupes en bataillons carrés, et leur dit :

[ocr errors]

Soldats, je suis venu avec six cents hommes en France, parce que je comptais sur l'amour du peuple; et sur les souvenirs des vieux soldats. Je n'ai pas été trompé dans mon attente: Soldats, je vous en remercie. La gloire de ce que nous venons de faire est tout au peuple et à vous, la mienne se réduit à vous avoir connus et appréciés.

<< Soldats! le trône impérial peut seul garantir les droits du peuple, et surtout le premier de nos intérêts, celui de notre gloire. Soldals! nous allons marcher pour chasser de notre territoire ces Princes auxiliaires de l'étranger. La nation non seulement nous secondera de ses vœux, mais même suivra notre impulsion. Le peuple Français et moi nous comptons sur vous; nous ne voulons pas nous mêler des affaires des nations étrangères; mais malheur à qui se mêlerait des nôtres! >>

Au même moment, le général Cambronne et des

officiers de la garde du bataillon de l'île d'Elbe parurent avec les anciennes aigles de la Garde; l'Empereur reprit la parole et dit* : « Voilà les officiers du bataillon qui m'a accompagné dans mon malheur; ils sont tous de mes amis, ils étaient chers à mon cœur! toutes les fois que je les voyais, ils me représentaient les différents régiments de l'armée; car dans ces six cents. braves, il y a des hommes de tous les régiments. Tous me rappelaient ces grandes journées dont le souvenir est si cher, car tous sont couverts d'honorables cicatrices reçues à ces batailles mémorables. En les aimant c'est vous tous, soldats de l'armée Française, que j'aimais. Ils vous rapportent ces aigles, qu'elles vous servent de ralliement; en les donnant à la Garde je les donne à toute l'armée.

<< La trahison et des circonstances malheureuses les avaient couvertes d'un voile funèbre; mais grâce au peuple Français et à vous, elles reparaissent resplendissantes de toute leur gloire. Jurez qu'elles se trouveront toujours partout où l'intérêt de la patric les appellera! que les traîtres et ceux qui voudraient envahir notre territoire, n'en puissent jamais soutenir les regards. >>

Nous le jurons, répondirent avec enthousiasme tous les soldats. Ils défilèrent ensuite aux cris de: Vive l'Empereur! et au son d'une musique guerrière, qui faisait entendre les airs favoris de la révolution, et cette marche des Marseillais si célèbre dans les fastes de nos crimes et de nos victoires.

Je ne puis m'empêcher de faire remarquer la beauté de ce

passage.

La revue terminée, l'Empereur rentra dans son cabinet, et se mit sur-le-champ à travailler. Sa position exigeait qu'il prit sans différer une connaissance approfondie de l'État où il retrouvait la France. Cette tâche était immense; elle aurait absorbé les forces et les facultés de tout autre que lui. Il trouva sa table à écrire couverte de livres mystiques*; il les fit remplacer par des cartes et des plans militaires. « Le cabinet d'un monarque Français, dit-il, ne doit pas ressembler à un oratoire, mais à la tente d'un général. » Ses yeux s'arrêtèrent sur la carte de France. Après avoir contemplé ses nouvelles limites, il s'écria avec l'accent d'une profonde tristesse: Pauvre France! Il garda le silence quelques instants, et se mit à chanter ensuite entre ses dents l'un de ses refrains habituels. << S'il est un temps pour la folie, Il en est un pour la raison. »

* Le roi partit si subitement, qu'il n'eut pas le temps d'enlever ses papiers personnels. On trouva, dans sa table à écrire, son portefeuille de famille; il renfermait un très grand nombre de lettres de Madame la duchesse d'Angoulême, et quelques-unes des princes. Napoléon en parcourut plusieurs, et me remit le portefeuille, en m'ordonnant de le faire conserver religieusement. Napoléon voulait qu'on eût du respect pour la Majesté royale, et pour tout ce qui appartenait à la personne des rois.

Le roi se servait habituellement d'une petite table qu'il avait rapportée d'Hartwell Napoléon prit plaisir à y travailler pendant quelques heures ; il la fit retirer ensuite, et prescrivit qu'on en eût le plus grand soin.

Le fauteuil mécanique du roi, ne pouvant convenir à Napoléon, dont le corps et la santé étaient pleins de force et de vigueur, fut relégué dans l'arrière cabinet. Quelqu'un s'y trouvait assis dans un moment où l'Empereur passa sans être attendu. Il lui lança un regard courroucé, et le fauteuil fut enlevé.

Un de ses valets de chambre, comptant lui faire sa cour, osa placer sur sa cheminée des caricatures injurieuses aux Bourbons; il les jeta dédaigneusement au feu, et lui ordonna sévèrement de ne plus se permettre à l'avenir de semblables impertinences.

« PreviousContinue »