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LA LIBERTÉ RENDUE A LA PRESSE.

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leur dois d'autre réponse que celle de Rousseau: Profanes! taisez-vous.

L'Empereur, par ses décrets de Lyon, avait réparé en partie les torts imputés au gouvernement royal. Il lui restait encore un grief à redresser: l'esclavage de la presse. Le décret du 24 mars*, en supprimant les censeurs, la censure et la direction de la librairie, compléta la restauration impériale.

Cette dernière concession était sans doute la plus grande que Napoléon pût faire à l'opinion publique. La presse, dans l'intérêt général des peuples, est la plus sûre garantie de leurs droits. Elle est la plus noble conquête que la liberté puisse faire sur le despotisme; elle donne à l'homme de bien, de la dignité; elle lui inspire l'amour des lois et de la patrie elle est enfin, suivant la définition anglaise, la mère de toutes les libertés; mais dans les temps de trouble et de révolution, elle est une arme bien dangereuse dans la main des méchants, et l'Empereur prévit que les royalistes allaient en user pour servir la cause des Bourbons, et les jacobins pour calomnier ses sentiments, et rendre suspects ses desseins. Mais ennemi déclaré des demi-mesures, il voulut, puisqu'il avait affranchi la pensée, qu'elle circulât sans entraves**.

* Ce décret, et tous ceux datés précédemment du Palais des Tuileries, ne contenaient plus d'autre qualification que celle d'Empereur des Français. On supprima les etc., etc. remarqués avec inquiétude dans les proclamations et les décrets de Lyon. Ils y avaient été insérés sans réflexion, sans but, et seulement par tradition. L'Empereur ne voulut point non plus qu'on continuât à terminer ses lettres familières par cette formule Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde, etc. il faut laisser là, dit-il, toutes ces vieilles antiquailles; elles sont bonnes pour les rois par la grâce de Dieu.

** Jamais, en effet, à aucune époque de la révolution, les écrivains

Ce décret et ceux qui l'avaient précédé suffisaient sans doute pour attester à la nation les dispositions libérales de Napoléon. Mais aucune parole prononcée du haut du trône n'avait encore fait connaître solennellement les intentions positives de l'Empereur.

Il fixa enfin au dimanche 26 mars, le jour où il ferait, à la face de la nation, sa nouvelle profession de foi*.

Les ministres, le conseil d'État, la cour de cassation, la cour des comptes, la cour impériale, le préfet, et le conseil municipal de Paris furent admis au pied du trône.

Le prince archi-chancelier, portant la parole au nom des ministres, dit:

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Sire, la Providence, qui veille sur nos destinées, a rouvert à Votre Majesté le chemin de ce trône, où vous avait porté le choix libre du peuple et de la reconnaissance nationale. La patrie relève son front majestueux, et salue pour la seconde fois du nom de libérateur, le prince qui détruisit l'anarchie, et dont l'existence peut seule consolider aujourd'hui nos institutions libérales.

« La plus juste des révolutions, celle qui devait rendre à l'homme sa dignité et tous ses droits politiques, a précipité du trône la dynastie des Bourbons. Après

ne jouirent d'une liberté et d'une impunité aussi complètes. La saisie du Censeur européen, dont on fit tant de bruit, fut l'ouvrage de M. Fouché. L'Empereur ne connut cette infraction à la loi que lorsqu'elle fut consommée, et sur-le-champ il ordonna qu'on rendît aux rédacteurs du Censeur les exemplaires confisqués, et qu'on leur permit de les répand. e librement dans la circulation.

* L'audience devait avoir lieu à midi, et à neuf heures Sa Majesté n'avait point encore préparé ses réponses; elles furent dictées à la hâte, et à peine eûmes-nous le temps de les mettre au net,

DISCOURS DE L'ARCHI-CHANCELIER.

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vingt-cinq ans de troubles et de guerre, tous les efforts de l'étranger n'ont pu réveiller des affections éteintes, ou tout-à-fait inconnues à la génération présente. La lutte des intérêts et des préjugés d'un petit nombre contre les lumières du siècle et les intérêts d'une grande nation est enfin terminée.

« Les destins sont accomplis ; ce qui seul est légitime, la cause du peuple, a triomphé. Votre Majesté est rendue au vœu des Français, elle a ressaisi les rênes de l'État, au milieu des bénédictions du peuple et de l'armée.

<< La France, Sire, en a pour garant sa volonté, et ses plus chers intérêts; elle en a pour garant, tout ce qu'a dit Votre Majesté au milieu des populations qui se pressaient sur son passage. Votre Majesté tiendra sa parole, elle ne se souviendra que des services rendus à la patrie: elle prouvera qu'à ses yeux et dans son cœur, quelles qu'aient été les opinions diverses et l'exaspération des partis, tous les citoyens sont égaux devant elle comme ils le sont devant la loi.

<< Votre Majesté veut aussi oublier que nous avons été les maîtres des nations qui nous entourent pensée généreuse, qui ajoute une autre gloire à la gloire acquise!

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Déjà Votre Majesté a tracé à ses ministres la roule qu'ils doivent tenir; déjà elle a fait connaître à tous les peuples par ses proclamations, les maximes d'après lesquelles elle veut que son empire soit désormais gouverné. Point de guerre au-dehors, si ce n'est pour repousser une injuste agression; point de réaction audedans, point d'acles arbitraires, sûreté des personnes,

MÉMOIRES. - I

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sûreté des propriétés, libre circulation de la pensée, tels sont les principes que vous avez consacrés.

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Heureux, Sire, ceux qui sont appelés à coopérer à tant d'actes sublimes! De tels bienfaits vous mériteront dans la postérité, c'est-à-dire lorsque le temps de l'adulation sera passé, le nom de Père de la Patrie; ils seront garantis à nos enfants par l'auguste héritier que Votre Majesté s'apprête à couronner au Champ de Mai. »

L'Empereur répondit :

<«< Les sentiments que vous m'exprimez sont les miens. Tout à la nation et tout pour la France: voilà ma devise.

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Moi, et ma famille, que ce grand peuple a élevé sur le trône des Français, et qu'il y a maintenus malgré les vicissitudes et les tempêtes politiques, nous ne voulons, nous devons, et nous ne pouvons jamais réclamer d'autres titres. >>

M. le comte Défermon, doyen des présidents du conseil d'État, remit à l'Empereur la déclaration suivanle, tendant à prouver la nullité de l'abdication de Fontainebleau :

« Le Conseil d'État, en reprenant ses fonctions, croit devoir faire connaître les principes qui font la règle de ses opinions et de sa conduite.

« La souveraineté réside dans le peuple, il est la seule source légitime du pouvoir.

« En 1789, la nation reconquit ses droits depuis longtemps usurpés ou méconnus.

« L'Assemblée Nationale abolit la monarchie féodale,

DÉCLARATION DU CONSEIL D'ÉTAT.

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établit une monarchie constitutionnelle et un gouvernement représentatif.

« La résistance des Bourbons aux vœux du peuple amena leur chute et leur bannissement du territoire français.

<«< Deux fois le peuple consacra par ses voles la nouvelle forme de gouvernement établie par ses représentants.

<< En l'an 8, Bonaparte, déjà couronné par la victoire, se trouva porté au gouvernement par l'assentiment national. Une constitution créa la magistrature consulaire.

« Le sénatus-consulte du 16 thermidor, an 10, nomma Bonaparte Consul à vie.

« Le sénatus-consulte du 28 floréal, an 12, conféra à Napoléon la dignité impériale et héréditaire dans sa famille.

« Ces trois actes solennels furent soumis à l'acceptation du peuple, qui les consacra par près de quatre millions de votes.

<< Ainsi pendant vingt-deux ans les Bourbons avaient cessé de régner en France; ils y étaient oubliés par leurs contemporains; étrangers à nos lois, à nos institutions, à nos mœurs, à notre gloire, la génération actuelle ne les connaissait point.

« En 1814, la France fut envahie par les armées ennemies, et la capitale occupée. L'étranger créa un prétendu gouvernement provisoire. Il assembla la minorité des sénateurs et les força, contre leur mission et leur volonté, de déruire les constitutions existantes, de renverser le trône impérial, et de rappeler la famille des Bourbons.

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