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ministérielles que l'ordre de St-Louis serait désormais le seul ordre militaire, et que la Légion d'Honneur ne serait plus que la récompense des services civils... Le coup était mortel : l'armée frémit, les maréchaux s'indignèrent... Le gouvernement fut obligé d'abandonner son projet et de le désavouer.

Il lui restait un autre moyen d'avilir la Légion d'Honneur : c'était de la prodiguer; il l'employa.

La croix, qu'on n'obtenait qu'après l'avoir si longtemps méritée et attendue, devint alors la proie facile de la faveur et de la bassesse; elle fut prostituée à une foule d'intrigants et de favoris subalternes, sans autre titre que le caprice des uns, ou la protection vénale des autres.

Les militaires qui n'avaient obtenu cette récompense qu'au prix de leur généreux sang; l'administrateur, le magistrat, le savant, le manufacturier qui l'avaient reçue pour prix de services signalés rendus à l'Étal, aux sciences, aux arts, à l'industrie, furent consternés de se voir associés à des hommes sans mérite, sans réputation, souvent sans honneur, et, par un juste mouvement d'orgueil, la plupart cessèrent de porter une décoration qui ne servait plus à les honorer, mais à les confondre avec des hommes poursuivis et flétris par l'opinion publique.

Le gouvernement ne s'en tint point à ce premier succès. L'Empereur avait ouvert de nobles asiles aux filles des membres de la Légion : le ministère, sous le prétexte d'une économie de quarante mille francs, surprit au Roi l'ordre de les en chasser. En vain le maréchal Macdonald déclara-t-il que les anciens chefs de

l'armée n'abandonneraient jamais les enfants de leurs compagnons d'armes et qu'ils étaient prêts à déposer au trésor public les quarante mille francs qui servaient de prétexte à leur expulsion.

En vain la supérieure de la maison de Paris, Mme Delchau offrit-elle de se passer des secours du gouvernement et de consacrer sa fortune entière au soulagement de ses jeunes élèves.

En vain représenta-t-on qu'un grand nombre de ces enfants n'avaient ni parents, ni protecteurs, ni amis, et qu'en les abandonnant à leur malheureux sort, on les livrerait indubitablement à la misère, ou aux pièges de la séduction; rien ne put émouvoir la compassion ministérielle.

Cependant l'indignation publique trouva de dignes interprètes dans l'enceinte de la représentation nationale, et les mandataires du peuple allaient adresser au chef de l'Etat des remontrances, lorsque le ministère déconcerté renonça honteusement à ses criminelles entreprises.

Cet échec ne le corrigea pas. Quelques jours à peine écoulés, il supprima les écoles militaires de Saint-Cyr et de Saint-Germain comme excédant les besoins du service; et rétablit simultanément l'école royale militaire, <«< afin de faire jouir la noblesse du royaume des avantages accordés par l'édit du mois de janvier 1757 ».

Cette audacieuse violation des principes de la Charte souleva de nouveau la représentation nationale, et le ministère fut encore obligé de reculer.

Pour se venger de ces affronts réitérés, et dans l'espoir mal conçu de diminuer les moyens de résistance,

il effaça des cadres de l'armée une masse innombrable d'officiers, et réduisit de moitié leur solde dont la conservation et l'intégralité avaient été formellement garanties. Le nombre des officiers de l'ancienne armée n'était plus, sans doute, en harmonie avec la force de l'armée royale; mais puisqu'on les réformait sous prétexte de surabondance et d'économie, il n'aurait point fallu insulter à leur disgrâce en accordant, sous leurs yeux, des grades et de l'emploi à une multitude d'émigrés incapables de servir; et en créant cinq à six mille gardes du corps, mousquetaires, chevau-légers, gendarmes de la garde, etc., qui, par leurs épaulettes fraîchement acquises, et le luxe et l'éclat de leurs uniformes, scandalisaient Paris et révoltaient l'armée.

- Enfin, le gouvernement dans sa fureur subversive, ne respecta même point les vieux soldats que la mort moins cruelle avait épargnés sur les champs de bataille; sans égard, sans pitié pour leurs cheveux blancs, pour leurs glorieuses mutilations, il ravit, sous prétexte d'économie, à deux mille cinq cents de ces infortunés, l'asile et les bienfaits que la patrie reconnaissante leur avait accordés.

Si le gouvernement ne redoutait point d'offenser publiquement l'armée dans ses plus chères affections; s'il ne craignait point de méconnaître ouvertement ses services et ses droits; de combien de dégoût et d'injustice ne dût-elle pas être abreuvée dans ses rapports individuels avec le ministère ? Je n'entrerai point dans le détail des plaintes, des accusations, qui s'élevèrent de tous côtés, je rapporterai seulement le fait suivant,

parce qu'il peint doublement l'esprit dans lequel on agissait alors.

Le général Milhaud s'était distingué dans le cours des guerres nationales par une foule de succès et de belles actions. Lors de l'invasion des Alliés, il s'était couvert de gloire en sabrant à la tête d'une poignée de dragons un corps considérable de troupes ennemies. Ce général, par son grade, son rang, ses services, avait été nommé de droit, chevalier de Saint-Louis. Au moment de sa réception, la croix lui fut retirée ignominieusement, parce que vingt ans auparavant il avait eu le malheur de voter la mort du Roi.

Louis XVIII, en rentrant en France, avait promis qu'on ne ferait aucune recherche des votes émis contre son auguste frère. Cette promesse, qu'on avait exigée et qu'il consacra par la Charte, fut sans doute bien douloureuse pour son cœur ; il dut lui en coûter d'admettre en sa présence, et d'offrir aux regards de la fille de Louis XVI, les juges qui avaient envoyé à l'échafaud ce prince vertueux; mais enfin, il avait juré de ne point venger sa mort, et les serments des rois aux nations doivent être inviolables et sacrés.

Il fallait donc imposer silence aux ressentiments, et ne point souffrir, puisque les volants avaient été absous, qu'on fit revivre leur crime, et qu'on appelât sur leurs têtes la vengeance et la mort. Il fallait tirer un voile funèbre sur cette époque de notre révolution, époque pendant laquelle tous les Français furent également égarés ou coupables. Disons-le, d'ailleurs, avec franchise, la douleur qu'excitait le meurtre de Louis XVI, n'était point le véritable moteur des imprécations que

les émigrés faisaient retentir contre les régicides on sait, malheureusement, quel fut l'effet que produisirent à Coblentz le procès et l'exécution du Roi. On ne s'attachait avec tant d'acharnement à rechercher les excès, les erreurs de quelques hommes de la révolution, que pour arriver à cette conclusion: que la révolution étant l'œuvre du crime, il fallait renverser de fond en comble tout ce qui provenait de la révolution.

L'affront fait au général Milhaud fut donc moins une punition individuelle qu'une combinaison politique ; et le choix que le gouvernement fit de ce général pour diriger une première attaque contre les régicides, prouve combien le gouvernement était malheureux et maladroit; car, s'il voulait rendre les régicides méprisables ou odieux, il ne fallait point s'attaquer à un général qui depuis longtemps avait lavé les traces du sang de Louis XVI dans le sang ennemi.

Mais tandis que les militaires de tout grade étaient en butte aux offenses et aux persécutions du parti dominant, les fonctionnaires des ordres civils et judiciaires enduraient également les traitements et les injustices les plus révoltantes.

Dans les premiers jours de la Restauration, on avait envoyé des commissaires dans les départements « pour << assurer l'établissement du gouvernement royal, et << examiner la conduite tenue par les fonctionnaires dans << les circonstances actuelles » (c'est-à-dire au moment du rétablissement des Bourbons). Telle était à cette époque la confiance qu'inspiraient les promesses et les garanties royales, que cette mission n'éveilla aucune inquiétude; on pensa généralement qu'elle opérerait un

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