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« Le sénat, qui n'avait été institué que pour conserver les constitutions de l'empire, reconnut lui-même qu'il n'avait point le pouvoir de les changer. Il décréta que le projet de constitution qu'il avait préparé serait soumis à l'acceptation du peuple, et que Louis Stanislas Xavier serait proclamé roi des Français aussitôt qu'il aurait accepté la constitution, et juré de l'observer et de la faire observer.

« L'abdication de l'Empereur Napoléon ne fut que le résultat de la situation malheureuse où la France et l'Empereur avaient été réduits par les événements de la guerre, par la trahison et par l'occupation de la capitale. L'abdication n'eut pour objet que d'éviter la guerre civile, et l'effusion du sang français. Non consacré par le vœu du peuple, cet acte ne pouvait détruire le contrat solennel qui s'est formé entre lui et l'Empereur. Et quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il n'aurait pu sacrifier les droits de son fils appelé à régner après lui.

« L'Empereur, en remontant sur le trône, où le peuple l'avait élevé, rétablit donc le peuple dans ses droits les plus sacrés; il ne fait que rappeler à leur exécution les décrets des Assemblées représentatives, sanctionnées par la nation; il revient régner par le seul principe de la légitimité, que la France ait reconnu et reconnaît depuis vingt-cinq ans, et auquel toutes les autorités s'étaient liées par des serments dont la volonté du peuple aurait pu seule les dégager.

L'Empereur est rappelé à garantir de nouveau, par des institutions, et il en a pris l'engagement dans ses

proclamations à la nation et à l'armée, tous les principes libéraux La liberté individuelle et l'égalité des droits, la liberté de la presse et l'abolition de la censure, la liberté des cultes, le vote des contributions et des lois par les représentants de la nation légalement élus, les propriétés nationales de toute origine, l'indépendance et l'inamovibilité des tribunaux, la responsabilité des ministres et de tous les agents du pouvoir.

« Pour mieux consacrer les droits et les obligations du peuple et du monarque, les institutions nationales doivent être revues dans une grande assemblée des représentants déjà annoncée par l'Empereur.

<< Jusqu'à la réunion de cette grande assemblée représentative, l'Empereur doit exercer et faire exercer, conformément aux constitutions et aux lois existantes, le pouvoir qu'elles lui ont délégué, qui n'a pu lui être enlevé, qu'il n'a pu abdiquer sans l'assentiment de la nation; et que le vœu et l'intérêt général du peuple français lui font un devoir de reprendre. »

L'Empereur répondit :

<< Les princes sont les premiers citoyens de l'État; leur autorité est plus ou moins étendue selon l'intérêt des nations qu'ils gouvernent; la souveraineté ellemême n'est héréditaire que parce que l'intérêt des peuples l'exige hors de ces principes je ne connais pas de légitimité.

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J'ai renoncé aux idées du grand empire, dont depuis quinze ans, je n'avais encore que posé les bases; désormais le bonheur et la consolidation de l'empire français seront l'objet de toutes mes pensées. >>

La cour de cassation exprima les mêmes principes et les mêmes sentiments que le conseil d'État.

L'Empereur lui répondit :

<< Dans les premiers âges de la monarchie française, des peuplades grossières s'emparèrent des Gaules. La souveraineté, sans doute, ne fut pas organisée dans l'intérêt des Gaulois, qui furent esclaves ou n'avaient aucuns droits politiques, mais elle le fut dans l'intérêt de la peuplade conquérante. Il n'a donc jamais été vrai de dire, dans aucune période de l'histoire, dans aucune nation, même en Orient, que les peuples existassent pour les rois. Partout il a été consacré que les rois n'existaient que pour les peuples. Une dynastie créée dans les circonstances qui ont créé tant de nouveaux intérêts, ayant intérêt au maintien de tous les droits et de toutes les propriétés, peut seule être naturelle et légitime et avoir la confiance et la force; ces deux premiers caractères de tout gouvernement. >>

La cour des comptes et la cour impériale tinrent le même langage que les autorités précédentes.

L'Empereur leur répondit :

« Ce qui distingue spécialement le trône impérial, c'est qu'il est élevé par la nation, qu'il est par conséquent naturel, et qu'il garantit tous les intérêts : c'est là le vrai caractère de la légitimité. L'intérêt de ce trône est de consolider tout ce qui existe, et tout ce qui a été fait en France dans vingt-cinq ans de révolution. Il comprend tous les intérêts, et surtout l'inté

rêt de la gloire de la nation, qui n'est pas le moindre de tous.

<< Tout ce qui est revenu avec les armées étrangères tout ce qui a été fait sans consulter la nation, est nul. Les cours de Grenoble et de Lyon, et tous les tribunaux de l'ordre judiciaire que j'ai rencontrés lorsque le succès des événements était encore incertain, m'ont montré que ces principes étaient gravés dans le cœur de tous les Français.

La réception des corps de l'État terminée, il y eut grande audience dans les appartements du palais; les réponses de l'Empereur répétées et embellies avaient proluit la plus profonde sensation : les mots si longtemps méconnus et proscrits dans cette enceinte, ces mots de gloire nationale, de liberté, de patrie, retentissaient de toutes parts. Lorsque les émigrés reparurent et que les plus illustres serviteurs de l'État furent expulsés, pour faire place à des hommes devenus étrangers à nos mœurs, à nos institutions, à nos triomphes, on cût dit que la France n'existait plus; qu'elle était passée sous la domination étrangère. Quand Napoléon revint, la patrie parut être revenue avec lui; il semblait l'avoir ramenée de l'exil, et c'est alors qu'il pût s'écrier avec une juste fierté. La nation, c'est moi.

L'exemple donné par les magistrats de Paris trouva bientôt dans les départements de nombreux imitateurs les fonctionnaires publics, les autorités judiciaires et administratives qui, quelques jours auparavant, avaient offert leurs vœux au Ciel et au Roi pour l'extermination du Corse, du tyran et de l'usurpateur, s'empres

sèrent de féliciter l'Empereur sur son miraculeux retour, et de lui décerner les titres de héros, de libérateur et surtout de souverain légitime.

La marche de Napoléon avait été si rapide que beaucoup d'adresses au Roi n'arrivèrent à Paris qu'après son départ, et nous furent remises en même temps que les nouvelles adresses votées à son successeur *. Je le fis remarquer à l'Empereur. Il me répondit, en souriant de pitié Voilà les hommes.

Les favoris d'Apollon ne manquèrent point d'offrir leur encens banal au Dieu du jour. Nous reçûmes de Madame la comtesse de G*** de fort jolis vers, en l'honneur de la violette. Une autre femme, plus célèbre encore, Madame la baronne de S***, profita de quelques mots flatteurs dits pour elle à M. B. C. pour écrire à l'Empereur une épître qu'il serait curieux de faire. imprimer en tête de son dernier ouvrage.

Les publicistes et les écrivains les plus rigides, ceux même qui, Cujas el Bartole à la main avaient la veille. fait régulièrement le procès à Napoléon, s'empressèrent de lui témoigner leur admiration et de le proclamer le souverain par excellence.

Napoléon était donc fêté, louangé plus que jamais; et il faut convenir qu'il se conduisait de manière à le mériler d'une main, il caressait la nation, et de l'autre les intérêts particuliers, bien plus importants à ménager que ce qu'on appelle l'intérêt général.

Les décrets de Lyon avaient replacé sous le séquestre les biens rendus aux émigrés depuis 1814; une partie

* Je n'entends parler ici que des adresses des corps constitués, et de certains généraux et préfets.

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