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de ces biens avait été vendue par les propriétaires réintégrés, et il fallait calmer les inquiétudes des acquéreurs. L'Empereur déclara irrévocables toutes les ventes consommées, et confirma celles opérées postérieurement au décret lorsqu'on prouverait qu'elles n'avaient point été simulées.

D'un autre côté, les émigrés rentrés avaient acheté des propriétés dont le prix pouvait ne pas avoir été entièrement soldé; pour être équitable envers les émigrés et leurs vendeurs il ordonna que les biens nouvellement acquis ne seraient point sujets au séquestre, à la charge d'être revendus dans un délai déterminé.

Un autre décret de Lyon avait aboli indistinctement les promotions faites depuis la restauration Royale dans la Légion d'Honneur et dans l'armée. Il soumit à une revision les nominations qui lui parurent le résultat de la faveur, de l'intrigue, et de la vénalité, et confirma toutes celles qui n'avaient été que le prix de services réels et méritoires. Il ne voulut même point qu'il fût établi de démarcation d'opinion, et il prescrivit au ministre d'avoir égard aux anciens services rendus par les officiers incorporés depuis dans la maison du Roi.

Il confirma également les décorations accordées à la garde nationale, et en distribua de nouvelles aux braves élèves de l'Ecole Polytechnique, dont la belle conduite avait excité à un si haut degré, lors des événements de 1814, l'admiration de Paris et des étrangers.

Les filles des membres de la Légion d'Honneur avaient des droits trop sacrés à son souvenir, et à ses consolations, pour ne point participer à ses bonnes grâces. Il fut les visiter. Sa présence excita parmi ces

intéressantes orphelines un enthousiasme inexprimable elles se jetèrent à ses pieds, à ses genoux, et les couvrirent de leurs larmes et de leurs embrassements. It s'était servi d'une cuiller pour goûter aux aliments; après son départ chacune voulut la posséder elles la mirent en pièces et se la partagèrent. La plupart avaient tressé des bagues en crins, sur lesquelles se trouvaient tracées des devises patriotiques, où l'expression naïve de leurs sentiments pour Napoléon. L'Empereur ayant daigné en agréer quelques-unes et les placer à ses doigts, chaque orpheline voulut obtenir la même faveur; elles se précipitèrent sur lui, s'emparèrent de ses mains et en un instant les couvrirent de ces gages innocents de reconnaissance el d'amour. L'Empereur, ému, enchanté, se soumit avec une complaisante bonté aux douces étreintes de ces aimables enfants. Elles lui recommandèrent ingénuement de ne point donner les bagues qu'elles lui avaient offertes; il leur promit de les conserver, en leur assurant qu'elles seraient aussi précieuses à ses yeux que les bijoux de sa couronne.

La classe ouvrière, qui avait surnommé Napoléon le grand entrepreneur, reçut aussi sa part des faveurs impériales. Les travaux commencés sous son règne, ensevelis dans la poussière sous celui des Bourbons, furent repris avec activité. La capitale redevint comme autrefois un vaste atelier; et les Parisiens, auxquels les étrangers avaient appris à connaitre la beauté de leurs monuments, virent avec un sentiment mêlé de reconnaissance et d'orgueil, que de nouvelles merveilles allaient encore embellir leur majestueuse cité. Toutes les classes de la société reçurent enfin des

témoignages de la sollicitude et de la justice de Napoléon. Pourquoi? faut-il le dire ses anciens compagnons de l'île d'Elbe furent seuls oubliés !

Tant que Napoléon n'avait eu d'autre trône que son rocher, ils s'étaient montrés aussi désintéressés que fidèles; lorsqu'il eut recouvré sa couronne, ils se flattèrent que leur dévouement serait généreusement récompensé.

Les uns, que l'honneur seul avait attachés au sort de Napoléon, jouissaient d'avance des louanges, des titres et des cordons qui leur seraient prodigués; les autres, animés de sentiments moins élevés, aspiraient à des biens plus réels. La garde et ses dignes chefs n'ambitionnaient que la seule faveur de conserver le glorieux titre de Grenadiers de l'île d'Elbe. Vaines illusions ! la pensée de l'Empereur, absorbée tout entiere par d'autres soins,ne se reportait plus vers les braves qui avaient partagé son exil et ses malheurs. Cependant ce moment d'oubli n'eut point le temps de dégénérer en ingratitude; il fut réparé des grades, des dotations, des indemnités leur furent accordées; et s'ils n'eurent point à se louer complètement de Napoléon, ils cessèrent du moins d'avoir à s'en plaindre.

L'Empereur aurait désiré par sentiment, et peut-être aussi par ostentation, pouvoir reconnaître d'une manière plus digne de lui, leurs services et leur attachement; il s'arrêta devant la crainte d'être accusé d'imiter les Bourbons, et de préférer les Français qui s'étaient exilés avec lui, aux Français restés fidèles à la mèrepatrie.

Ces scrupules, il me semble, n'étaient point fondés.

Les émigrés avaient ensanglanté le sol qui les avait vus naître, par leurs armes, ou par les guerres civiles qu'ils avaient entretenues et fomentées : et la nation. indignée les avait longtemps combattus et maudits. comme les ennemis de son repos et de son bonheur.

Les Français revenus de l'île d'Elbe avec Napoléon avaient au contraire versé leur sang pour la défense de la patrie. Ils étaient aimés, honorés, respectés; et les récompenses que l'Empereur eût pu leur décerner, au lieu d'indisposer la France, auraient accompli ses vœux. Elle en eut joui avec ce sentiment de plaisir et d'orgueil qu'éprouve une mère, lorsque dans les lices ouvertes à la jeunesse elle entend proclamer les triomphes de ses fils et voit briller sur leurs têtes le prix de leurs succès.

La politique exigeait, non moins que la justice, que Napoléon répandit même avec prodigalité, ses bienfaits et ses grâces sur les hommes qui s'étaient dévoués pour lui. Dans sa position, il valait encore mieux passer pour prodigue que pour ingrat; mais la fortune le favorisait tellement, qu'il lui était permis de négliger un peu les moyens de s'assurer du faible appui des hommes.

Le rétablissement du gouvernement impérial, qui paraissait devoir éprouver quelques obstacles, s'opérait de tous côtés avec une promptitude et une facilité véritablement inouïes. Le maréchal Augereau, qui avait cherché dans sa proclamation de 1814 à déshonorer l'Empereur, s'était empressé dans une proclamation nouvelle de lui faire amende honorable.

Le duc de Bellune, le comte Gouvion St-Cyr, après

d'inutiles efforts pour contenir leurs troupes insurgées, avaient été forcés de se dérober par la fuite à leur mécontentement.

Les troubles suscités dans la Vendée et le Calvados par quelques volontaires royaux avaient été apaisés, et les perturbateurs désarmés.

La maison militaire du Roi s'était soumise à son licenciement et avait rendu docilement ses armes et ses chevaux.

La famille royale enfin avait évacué le territoire impérial.

L'Empereur voulut instruire lui-même son armée de ces heureux résultats. « Grâce au peuple Français et à vous, dit-il en passant les troupes en revue le 27 mars, le trône impérial est rétabli. Il est reconnu dans tout l'empire, sans qu'une goutte de sang ait été verséc. Le comte de Lille, le comte d'Artois, le duc de Berri, le duc d'Orléans, ont passé la frontière du nord, et sont allés chercher un asile chez l'étranger. Le pavillon tricolore flotte sur les tours de Calais, de Dunkerque, de Lille, de Valenciennes, de Condé, etc. Quelques bandes de Chouans avaient cherché à se former dans le Poitou et la Vendée; l'opinion du peuple et la marche de quelques bataillons ont suffi pour les dissiper. Le duc de Bourbon, qui était venu fomenter des troubles dans les provinces, s'est embarqué à Nantes.

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Qu'ils étaient insensés, continua l'Empereur, et qu'ils connaissaient mal la nation, ceux qui croyaient que les Français consentiraient à recevoir un prince des mêmes mains qui avaient ravagé notre territoire,

MÉMOIRES. I

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